Matthieu Orphelin écrit au président de la République : il faut briser le cycle infernal

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En amont de l’allocution de ce soir, le député enjoint le président de ne pas céder aux sirènes de la relance économique. « Le jour d’après ne pourra pas ressembler au jour d’avant. » Voici sa lettre.

Monsieur le Président de la République,

En amont de votre prochaine allocution devant les Françaises et les Français, mais surtout de nouvelles décisions si importantes pour notre pays, vous trouverez ci-après quelques réflexions, alertes et propositions. Elles portent sur la conviction suivante : entre se relancer dans le mur ou transformer notre société, c’est dès maintenant, et pas dans quelques mois, qu’il nous faut choisir.

La crise du Covid-19 remet en cause en profondeur notre modèle de société. D’abord, sur ce que nous avons de plus précieux : notre santé. Qui pensait vraiment que notre vulnérabilité sanitaire, comme celle de la quasi-totalité des pays du monde, était si forte qu’elle allait mettre le monde entier à l’arrêt ?

Ensuite, sur ses conséquences économiques. Le PIB français a chuté de 6 % entre janvier et mars, alors que nous n’avons eu sur cette période que deux semaines de confinement, ce qui présage une perte de 30 à 40 % du PIB sur l’année 2020. Du jamais vu, ni en 1929, ni pendant les deux guerres mondiales. Nous entrons dans une période totalement inédite dans l’histoire et notre manière d’y répondre doit être sans commune mesure avec les réactions du passé. Le jour d’après ne pourra pas ressembler au jour d’avant.

J’entends certains responsables politiques expliquer qu’il serait trop tôt pour penser « l’après », mélangeant, sans doute, arguments entendables (notre pays est encore au pic de la crise sanitaire), difficulté à se projeter politiquement dans l’après, mais aussi quelques considérations partisanes qui nous paraissent pour le moins décalées. Je ne partage pas cette position. 

Notre chance : l’économie a ralenti

Au contraire, si l’on ne veut pas repartir encore plus vite qu’auparavant dans la mauvaise direction, c’est dès maintenant qu’il faut commencer à construire la sortie de crise. Car, pour une fois, nous avons ralenti – certes contraints et forcés -, et ce ralentissement nous permet de tourner le volant avant de nous encastrer dans le mur. Et, que cette crise sanitaire dure deux ou six mois, les mesures à prendre seront les mêmes, seule leur amplitude peut encore différer. Pensons donc dès maintenant à l’avenir.

Alors que la propagation du Covid-19 semble avoir été favorisée par la destruction de notre écosystème naturel et par le transport international, alors que nous savons depuis des années que notre société doit changer en profondeur si nous ne voulons pas subir les effets néfastes du changement climatique et de la perte de biodiversité, il serait absurde – voire gravissime – d’élaborer un plan de relance conventionnel. 

Notre pays a déjà fait une telle erreur après 2008. Sur les 26 milliards d’euros injectés alors dans l’économie, moins de 20 % ont été favorables au climat. De plus, les plans d’austérité qui suivirent ont terriblement contraint l’action des pouvoirs publics pour prévenir la crise climatique. Rétrospectivement, l’occasion ratée saute aux yeux : ne reproduisons pas ce même échec.

Face aux conséquences du Covid-19 sur l’économie, les soutiens publics nécessaires se déploient en trois phases.

Interroger la nature des soutiens économiques

La première phase, déjà annoncée, ne souffre aucune critique. Les 45 Mds€ (+ 300 Mds€ de garanties) mis immédiatement sur la table par le Gouvernement ont été bien ciblés. Ils ont permis de couvrir une partie des salaires, de préserver le savoir-faire et d’éviter la faillite de nombreuses entreprises.

La troisième phase viendra en juin et prendra, je l’espère, la forme d’un grand plan de transformation de notre société voté au Parlement, à l’élaboration duquel la société civile et les citoyennes et citoyens auront été associés. Un plan qui nous permettra enfin de rattraper le retard de 15 à 20 Mds€ d’investissements dans la transition (chaque année !), tout en renforçant notre système de santé et en valorisant mieux celles et ceux qui le font vivre.

Mais c’est dans la deuxième phase qu’est le plus gros piège. Dans les prochaines semaines. Des dizaines de milliards d’argent public français et européens vont devoir être à nouveau déployés, en particulier pour des mesures sectorielles et urgentes. Les vraies questions se posent maintenant ; répondre à tous les besoins et accéder à toutes les demandes sans contrepartie n’est pas une bonne option. 

Orienter les aides sur ce que nous voulons obtenir

C’est une reprogrammation de notre économie qui doit être engagée dès à présent, et non un simple re-branchement à l’identique de ce qui a été débranché il y a quelques semaines.

Prenons quelques exemples. Peut-on raisonnablement envisager une baisse de la fiscalité sur les billets d’avion -ce que demande le secteur depuis quelques jours, alors même que la fiscalité sur l’aérien est déjà très favorable par rapport à d’autres modes de transport beaucoup moins polluants- ou la nationalisation d’Air France-KLM sans conditions ? Non, le soutien à ce secteur ne doit se faire que si celui-ci s’engage à se transformer en profondeur afin de réduire son empreinte écologique, par exemple en prenant des engagements sur la fin de certaines lignes intérieures quand l’alternative en train existe, en décidant un moratoire sur les extensions d’aéroports, ou encore en généralisant la propulsion électrique pendant le roulage des avions.

Peut-on imaginer revenir sur les objectifs européens de réduction des émissions de CO2 dans l’automobile, comme le demandent aujourd’hui certains constructeurs ? Certainement pas, l’aide dont a besoin ce secteur doit justement lui permettre d’accélérer cette réduction, notamment grâce à une meilleure mise en avant des véhicules les plus sobres et les moins polluants, et à une réorganisation de ses chaînes de production.

Ne serait-il pas inacceptable d’octroyer, sans aucune condition, un crédit d’impôt au secteur publicitaire (demande formulée à la fois par le secteur, par les diffuseurs, et par de nombreux politiques) alors qu’il a un rôle majeur dans le changement de nos comportements ? Par leur soutien économique, les pouvoirs publics ont enfin l’occasion d’impliquer ce secteur dans la promotion d’un modèle de consommation plus responsable et plus sobre. Il faudrait a minima que le secteur prenne des engagements fermes sur la sortie progressive de la publicité pour les produits les plus polluants.

La rentabilité n’est pas un critère d’utilité

Toutes ces décisions seront prises dès les prochaines semaines. Aux responsables politiques de soutenir le présent tout en préparant l’avenir. N’hésitons pas : les citoyennes et les citoyens soutiendront massivement ces décisions pour construire une société plus solidaire, plus résiliente, plus écologique et plus heureuse. Ils sont 70% à penser qu’il faut ralentir la recherche perpétuelle de rentabilité et réduire l’influence des actionnaires sur la vie des entreprises, 84% à souhaiter relocaliser en Europe le maximum de filières de production, 88% à souhaiter une sanctuarisation des biens communs tels que l’accès à l’eau et à un air de qualité et 76% dans le cas de la biodiversité.
N’hésitons pas, le jour d’après se joue aujourd’hui.

Matthieu Orphelin, député de Maine-et-Loire – Première circonscription

Cette lettre a été publiée dans le Nouvel Observateur le 13 avril. Je la reproduis avec l’accord de son auteur. Les inter-titres sont de moi.

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michel Hareng
3 années

Une bonne idée mais si on attend que les politiques fassent on est mal barré.
En attendant abonnez vous So good, un magazine de So press, pour un monde meilleur.
Il vous reste 2 jours.

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