Alors que le monde entier mise sur les pistes cyclables provisoires, l’Américain John Forester est décédé. Il aura été l’inlassable promoteur du « cyclisme véhiculaire ». Son aura a contribué à priver nombre de villes de pistes cyclables, notamment aux Etats-Unis, et aura découragé beaucoup de cyclistes potentiels. Par Sébastien Marrec.
En termes de personnalité, John Forester était ce qu’on appelle un homme de caractère : volontiers dédaigneux, inflexible, voire irascible, ne rechignant jamais au débat, il défendait inlassablement son point de vue avec fougue et constance.
Selon Carlton Reid, journaliste anglais spécialisé dans les transports, Forester était un lecteur assidu de G.H. Stancer, qui fut un secrétaire non moins opiniâtre du Cyclists’s Touring Club britannique.
Stancer s’était fait remarquer dans les années 1930 par son opposition au développement de pistes cyclables d’inspiration néerlandaise promues par l’Etat britannique, qui en construisit 450 kilomètres.
Dès le début les Pays-Bas ont été reconnus pour leurs innovations en matière de réseaux cyclables. Le pays ne faisait alors que réagir à la réalité des conditions de circulation et de sécurité des cyclistes confrontés depuis peu à la cohabitation avec les automobiles, des véhicules roulant à grande vitesse.
Le plan général d’expansion (AUP) d’Amsterdam, élaboré entre 1931 et 1935 par l’urbaniste Cornelis van Eesteren pour planifier de nouvelles zones d’extension urbaine jusqu’en l’an 2000, préconisait d’ailleurs que tous les déplacements puissent se faire en 30 minutes à vélo grâce à des pistes cyclables séparées des routes par de la végétation.
Source : Death Of A ‘Dinosaur:’ Anti-Cycleway Campaigner John Forester Dies, Aged 90 (Mort d’un « dinosaure » : le militant anti-piste cyclable John Forester est mort à l’âge de 90 ans). Carlton Reid, Forbes, 23 avril 2020.
Aux origines du cyclisme « véhiculaire »
Au début des années 1970, John Forester, alors quarantenaire et amateur de sorties sur vélo de route, manifeste son mécontentement en se voyant obligé d’emprunter une piste cyclable dans la ville de Palo Alto : il roule délibérément sur la chaussée devant un policier et se voit gratifié d’une amende. C’est le premier fait d’armes du militant.
Cette sanction propulse Forester dans le monde de la « défense des cyclistes », la bicyclette étant alors en voie de marginalisation. Forester s’auto-proclame chevalier blanc des derniers cyclistes américains, des hommes en écrasante majorité. Il prend alors la tête de l’Association californienne des associations cyclistes (California Association of Bicycle Organizations, CABO).
A cette époque, alors que les Etats-Unis dans leur ensemble sont quasi dépourvus de tout aménagement cyclable[1. Il ne faut pas croire qu’il n’y avait absolument aucun aménagement cyclable aux USA. Mais ils dataient fort. La première piste cyclable des Etats-Unis date de 1894 et la piste la plus ambitieuse pour cette période est sûrement le « California Cycleway » … Voir l’article de Hans Kremers : Les premières pistes cyclables du monde.], des villes américaines et notamment californiennes comme Palo Alto et Davis commencent à tracer des réseaux de pistes protégées par des terre-pleins pour isoler les cyclistes des automobilistes, inspirés par les Pays-Bas. Forester, sans jamais avoir pris la peine de s’être rendu aux Pays-Bas ni même d’échanger avec des interlocuteurs néerlandais, devint l’opposant précoce et acharné du concept de réseau cyclable séparé, comme troisième domaine de voirie, au-delà du trottoir et de la chaussée.
Pour Forester, le système néerlandais est néfaste en ce qu’il rend la pratique du vélo gênante ou infondée, du fait des sites propres et d’une politique de sécurisation jugée envahissante.
Pour lui, la ségrégation traduit l’incapacité à accepter le vélo comme un véhicule à part entière, dans un pays comme les Pays-Bas où les villes ont été largement façonnées avant l’ère de l’automobile, contrairement aux États-Unis.
Il existerait donc un usage du vélo proprement américain, qui ne saurait souffrir de la comparaison avec le vélo aux Pays-Bas.
« America first«
Pour Forester nul besoin de savoir pourquoi un quart des déplacements aux Pays-Bas se font à vélo malgré tant d’inconvénients, et pourquoi tant de Néerlandais adoptent les pistes. Forester n’y répondra que par des présupposés fragiles. Avec d’autres acolytes militants, des hommes principalement, pour qui rouler rapidement au milieu des voitures ne suscite guère de peur, il craint que le développement de pistes cyclables ne se traduise par l’obligation de les emprunter pour ne pas gêner les automobilistes, tuant l’efficacité du mode vélo. A leurs yeux il n’y a qu’une seule possibilité viable de faire du vélo au quotidien : en roulant en toute confiance dans la circulation automobile, en s’imposant comme un véhicule parmi d’autres.
Pensée magique : le vélo comme équivalent de l’automobile
Forester n’a pas inventé le concept de cyclisme véhiculaire à lui seul. Il était sous-jacent dans l’esprit de nombreux ingénieurs de la circulation dans les Etats-Unis de l’après-guerre. Dans les années 1970, l’un d’entre eux, Harold Munn, du très puissant Caltrans (California transports), soutient que les personnes qui s’entichent du vélo doivent se satisfaire de prendre leur place sur la chaussée. Le vélo est un véhicule comme un autre.
Forester a une théorie fondatrice : il estime que les automobilistes s’octroient un droit divin sur la chaussée, phénomène qu’il baptise « phobie de la supériorité des automobilistes ». L’effet pervers, c’est la relégation des usagers du vélo sur des pistes cyclables, qui ne peuvent être qu’une illusion dans ce cadre conceptuel. Les pistes retirent les cyclistes de la circulation et les dissimulent comme d’obscurs parias… Elles sont des espaces d’infériorité et de relégation.
Alors que l’hégémonie de la voiture semble un phénomène incontestable et que sa culture persiste à triompher aux Etats-Unis, les tenants du cyclisme véhiculaire ne peuvent considérer le vélo comme un véhicule légitime que s’il a la même place que les véhicules motorisés : sur la route, et non sur ses côtés.
Pour Forester, promouvoir les pistes cyclables relève d’une propagande délétère, multipliant inévitablement les accidents dans les carrefours, et allongeant dramatiquement les parcours des usagers. En s’appuyant sur cette pensée magique (ne faisant appel ni à des études, ni à la rationalité, ni à l’expérience), Forester met sur le même plan tous les modes dans une sorte de marché pseudo-pur et parfait des déplacements, et devient la figure de proue des cyclistes revendiquant le droit de prendre leur place sur la chaussée.
Conséquence concrète : l’interdiction des pistes cyclables
L’influence de l’école du cyclisme véhiculaire a cependant eu des conséquences tangibles sur les choix d’aménagements. Pour le chercheur et spécialiste américain du vélo John Pucher, « l’impact le plus profond de la philosophie de Forester a été l’interdiction effective des voies séparées dans le manuel de l’AASHTO », l’organisme de normalisation des routes aux Etats-Unis. L’édition de 1981 de cet organisme, qui ne fait l’objet d’aucune modification majeure pendant longtemps, est directement influencée par le guide de Caltrans pour l’Etat de Californie marqué par la philosophie de Forester et évoqué plus haut. Suite à ces publications et les interventions publiques de Forester, le développement de réseaux cyclables en site propre se tarit rapidement, malgré les répercussions des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979[1. Une source sur l’influence sur le temps long aux USA des thèses de Forester peut se trouver dans un article de Streetsblog USA (mars 2018) : A Brief History of How American Transportation Engineers Resisted Bike Lanes (Une brève histoire de la manière dont les ingénieurs des transports américains ont résisté aux pistes cyclables).].
Cependant tout n’est pas négatif puisque Forester contribue dans le même temps par ses actions en justice à éviter la multiplication des obligations de circuler sur des pistes souvent sur trottoir, mal conçues et parfois dangereuses.
Des décennies durant, et encore aujourd’hui, le cyclisme véhiculaire diffuse ses théories dans les organismes de recommandations / règlementation, les ministères, les élus, les départements des transports sans oublier nombre de militants « pro-vélo » et des associations entières. Malgré l’expérience des Pays-Bas et de villes en Europe, qui montrent tout l’intérêt de la séparation des modes et la modération de la circulation par la restriction du trafic et l’abaissement des vitesses dans les zones les plus denses, l’influence de Forester s’impose largement[1. On peut parcourir le blog de John Forester, avec ce slogan en tête : Fight for Your Right to Cycle Properly! The right of cyclists to cycle properly and safely is disappearing. If you don’t fight to preserve it, it will disappear. (Luttez pour votre droit à pédaler correctement ! Le droit à faire du vélo correctement et sûrement est en train de disparaître. Si vous ne vous battez pas pour le préserver, il disparaîtra).].
Les années 90
Aux Etats-Unis, il faut attendre le début des années 1990 pour que l’intérêt des pistes cyclables soit reconsidéré, et 2011 pour que l’Association nationale des responsables des transports urbains (NACTO, National Association of City Transportation Officials), une organisation plus récente et moins conservatrice que l’AASHTO, publie son premier guide de conception d’aménagements cyclables pour faire face à l’absence de recommandations publiques.
Forester n’a pas influencé seulement la régulation des pratiques du vélo et la place des usagers aux Etats-Unis, ses conceptions ont délégitimé durablement la création de pistes confortables, protégées et continues au profit d’aménagements peu pratiques mais répondant à une demande résiduelle de déplacement lents et non contraints (pour la balade familiale, par exemple), surtout dans les pays où la pratique du vélo au quotidien s’effondrait en silence. L’influence est alors très nette dans les corps des techniciens, par exemple en France directement sous influence des théories américaines en matière d’ingénierie de la voirie et de gestion de la circulation[1. Sur les ingénieurs français influencés par les USA voir Qui sont messieurs Gérondeau et Poulit ? dans un article de Marc Sauvez sur l’histoire des politiques cyclables en France.].
A partir du moment où le public du vélo au quotidien s’est réduit à un noyau dur d’irréductibles, que l’usage des deux-roues motorisés légers s’effondre à son tour et qu’en outre la priorité est donnée à la voiture quasiment en toutes circonstances, laisser circuler les quelques deux-roues restants sur des chaussées encombrées ne figure plus comme une préoccupation fondamentale pour l’aménageur.
Sébastien Marrec
Chercheur en aménagement de l’espace et urbanisme. Thèse en cours à l’Université Rennes 2 et la Ville de Paris sur « Les politiques en faveur du vélo et les transformations des espaces publics dans l’agglomération parisienne et dans la Randstad« .
Notes et compléments
Merci Sébastien, avec les propos » particuliers « , oh combien, de cet homme. Ainsi mon frère Hervé n’a jamais été « tué » par ce camionneur qui l’a pulvérisé, écrasé, envoyé dans une mort affreuse après une terrible agonie de plusieurs heures le crâne enfoncé par le camion ! C’est vrai, quoi, mon frère roulait paisiblement à vélo, rue du Général-De-Gaulle à Olivet (45). Oui mais, version » classique et tellement mensongère, le cycliste a fait un écart … » ! Et voila, y compris pour « dame Police » : tout cycliste, prolétaire de la rue (MA route selon le camionneur), donc doit « dégager ailleurs » car il ralentit la noble progression de tout véhicule à moteur. La messe est dite (y compris avant l’enterrement).
Une société dans laquelle la violence routière est vue comme « naturelle », comme l’inéluctable prix à payer (et qui s’avère être l’une de conditions nécessaires au maintien de la voiture comme symbole de pouvoir et de domination dans nos systèmes de déplacements) … ne peut pas voir que l’horreur de ce type d’accidents pourrait être inacceptable dans une autre société. Le fruit d’un changement de paradigme serait de donner aux usagers du vélo des réseaux sûrs, continus et maillés – c’est-à-dire une importance égale dans l’espace public et dans les infrastructures.
Je trouve ce jugement peu académique (arguments un peu décontextualisés) et à charge sur un défunt (irrespectueux). Mais bon, avez-vous connaissance des vitesses motorisées autorisées/accidentologie aux Usa avant 1990 (faible je croyais), des types de voirie (peu comparable au réseau français) et de l’état des liaisons inter-états de sites propres type greenways (début en 1986 et sans doute insuffisant et partiel)? Il faudrait une vision globale partagée des mobilités à 20 ans pour sortir des idéologies passées, un rêve en 2020 ?
Je suis (sans le savoir) un militant du refus des voies (dites) cyclables quand je les juge inaptes à l’usage roulant attendu ou me pénalisant via un parcours plus long que celui permis aux automobiles. Je ne connaissais pas John Foster. Merci pour ce bel article. Je salue cet homme de caractère, en espérant que dans son paradis il pédale heureux.
Cher Dominique, une question : Mon frère Hervé pédale-t-il « heureux » aujourd’hui ? A vous la réponse, merci.
Les automobilistes tuent, tous les jours, beaucoup. Et ils le font avec la bénédiction d’une population qui considère ces morts comme une fatalité, alors que chaque personne qui prend le volant et dépasse les 40 ou 50km/h sait qu’elle s’expose à tuer pour son seul confort.
Je mourrai sûrement sur mon vélo, car mes trajets réguliers dans des espaces dangereux et sans aménagements cyclables me font chaque jour sentir la mort qui me dépasse de près, à 90km/h. Une piste cyclable pourrait me sauver la vie. Mais elle serait aussi abdiquer mon droit à utiliser cette route, moi qui contrairement à l’automobiliste ne détruit pas le monde en rentrant chez soi.
Mon combat est d’abord de sauver ma peau, certes, en réclamant non pas une piste cyclable, mais un abaissement de la vitesse effective (officiellement 70 en pratique 90 et ponctuellement bien plus) avec des sanctions contre ces assassins en devenir. Les pistes cyclables n’empêcheront pas l’immense majorité des morts causées par les voitures, car ces morts sont causées par la pollution de l’air, le réchauffement climatique, ou des collisions entre automobilistes.
Des pistes cyclables, c’est reculer le problème, nier la réalité : il y a trop de voitures, elles vont trop vite. Ce n’est pas au vélo de se cacher.
Les études et sondages montrent que la plupart des usagers quotidiens ou occasionnels, mais surtout potentiels, demandent de la sécurité et de la séparation et pas de la mixité, en particulier en présence de forts volumes de véhicules roulant rapidement.
La part modale du vélo à Mâcon et Charnay est de 1%.
Merci. Il est très peu fréquent que les voies cyclables soient obligatoires. On voit encore des panneaux signalant les pistes ou les bandes obligatoires mais ils se font de plus en plus rares. Contester le caractère obligatoire d’un aménagement est légitime, sauf quand cet aménagement se justifie pleinement (le long d’une voie rapide réservée aux automobiles, par exemple).
Une question plus intéressante, à mon sens, est : qu’est-ce qui fait que des aménagements s’avèrent inaptes, inefficaces, dangereux dans la pratique ? Qui les dessine et les décide, au nom de quels principes ?
C’est facile de rendre John Forester responsable de l’état du vélo dans 196 pays sur 197. Le fait est que les Pays-Bas sont un accident dans l’histoire.
Tous les jours, et ce depuis 43 ans, je pratique le vehicular cycling, seul moyen dans ce pays d’arriver à vélo rapidement, et aussi confortablement et en sécurité qu’on puisse l’être, à toute destination. Merci, John Forester.
Les chercheurs néerlandais qui ont travaillé sur l’histoire des technologies et de l’aménagement aux Pays-Bas, comme Ruth Oldenziel et Adri-A Albert de la Bruhèze, l’affirment : il n’y rien de si spécial dans ce pays qui ne justifie qu’il ne pourrait y avoir dans d’autres pays une place si importante du vélo dans le quotidien de ses habitants. Attention aux raisonnements naturalistes et essentialistes en la matière.
Faire reposer sur un cycliste la responsabilité de la faible part modale de cyclistes c’est passer trop vite sous silence que le lobby automobile est bien plus puissant et audible que tous les Forester. Forester est au mieux un alibi pour les pro-voitures, mais sans lui ils seraient toujours gagnants.
Défendre à tout crin la piste cyclable c’est oublier de dire que celles-ci devraient ne pas exister puisqu’il ne devrait y avoir qu’une circulation résiduelle de motorisés, circulant lentement, et donc sans danger pour les cyclistes même peureux.euses.
La piste cyclable est TOUJOURS un échec, car elle vient avaliser la domination de l’automobile, accroitre l’emprise du bitume, et abandonner les routes aux nuisibles motorisés.
En ce sens, les Pays-Bas sont un enfer (j’ai traversé le pays deux fois en vélo): il y a des voitures PARTOUT et BEAUCOUP!! Ça n’est en rien un paradis cycliste, d’autant que s’il y a à peu près partout des pistes cyclables qui rendent la pratique cyclable aisée y compris pour les personnes qui ont peur des voitures (à juste titre, les voitures tuent!!) il n’y en a pas partout: le réseau auto reste premier, et dominant, les pistes sont là pour les cyclistes… mais tout AUTANT pour débarrasser les automobilistes des cyclistes, et des piétons et des scooters d’ailleurs, puisque les pistes sont partagées avec eux dans les villes. L’Allemagne est encore plus loin dans cette logique, c’est le paradis des criminels motorisés avec pourtant des pistes cyclables …
Il est plus simple de supprimer les voitures d’une ville que d’y mettre des pistes cyclables. Mais tout comme Forester a pu servir d’argument aux lobby bagnoles pour refuser les aménagements cyclables, les aménagements servent aujourd’hui d’alibi pour refuser la réduction automobile.
La vraie raison de tous ces aménagements est à chercher encore ailleurs, selon un collègue qui avait travaillé sur les politiques d’aménagement routier aux Pays-Bas.
L’objectif n°1 des ingénieurs néerlandais est de permettre la circulation la plus fluide possible et la plus rapide possible des camions sortant du port de Rotterdam et desservant l’hinterland immense du premier port commercial européen. D’où le fait de virer les cyclistes du réseau routier pour permettre une circulation rapide et très dense des poids-lourds, très peu compatibles avec la présence de cyclistes. Évidemment, un des effets collatéraux de ces aménagements est de permettre une circulation importante et rapide des autres véhicules motorisés.
Prendre les Pays-Bas en exemple en permanence est donc à double tranchant:
– pour les aménagements urbains, on peut copier sans problème, la plupart des villes étant allées très loin dans la limitation des espaces réservés à la voiture et dans l’apaisement de la circulation ;
– pour les aménagements interurbains, on peut questionner les choix du pays de créer de très nombreux aménagements totalement séparés pour les cyclistes (conduisant parfois à des aménagements dantesques comme le fameux rond-point cycliste suspendu d’Eindhoven).
On voit d’ailleurs que le point de vue de l’article est très surprenant. Si le vélo passait vraiment avant tout, le plus simple aurait été de réduire fortement le nombre de voies pour les voitures et leur vitesse.
Dans l’avant dernier billet de Mark Wagenbuur (Bicycle Dutch) sur sa bonne ville d’Utrecht il y a à la fin de la vidéo qui l’accompagne et le synthétise une remarque très intéressante sur la piste cyclable comme étape nécessaire du développement massif de la pratique du vélo (il y a des sous-titres en français).
Rotterdam a longtemps eu un réseau cyclable peu avancé par rapport à Amsterdam, Delft ou Utrecht. Par ailleurs, l’ingénierie des pistes cyclables date de l’entre-deux-guerres, et le sujet de la circulation des poids lourds n’était pas aussi prégnant qu’aujourd’hui… Je pense que mettre en avant un facteur unique ou même principal aux choix d’aménagements effectués aux Pays-Bas n’est pas conforme à une réalité multifactorielle, qui est le fruit de décisions politiques mais aussi largement de la pression citoyenne et d’associations comme la Fietsersbond.
Aucune ville dans le monde n’a supprimé la circulation automobile. Il n’y a guère que le centre historique de Venise comme exemple, pour des raisons évidentes : il n’y a pas de routes et tous les services sont assurés en bateau. Des villes ont fortement restreint la circulation automobile au profit des autres modes, mais dès lors que la ville est de taille importante, il reste un nombre non négligeable de véhicules, même avec des plans de circulation contraignants.
Concernant l’Europe, particulièrement pour la période de l’entre-deux-guerres, cet article (lu via le mooc Unravelling the cycling city) : Contested Spaces for Bicycle Lanes in Urban Europe, 1900-1995.
Traduction d’un extrait du résumé (par moi) : Les pistes cyclables n’ont jamais été neutres, elles ont été contestées dès le début. Cet article montre le rôle important que joue la représentation dans les politiques mises en oeuvre. Les urbanistes ont créé des pistes séparées pour les vélos plus dans un but de contrôle des classes laborieuses que pour leur facilititer les déplacements. (…) C’est seulement dans les années 70 que les pistes cyclables sont apparues comme de bonnes solutions et que les activistes en réclamèrent. – L’article ne parle que de certains pays : Suisse, Belgique, Grande-Bretagne et Allemagne.
Je crois commencer à comprendre.
– Il y a ceux qui ont connu le monde presque « sans autos », comme Forester, et qui ne se pardonnent pas que ce monde ait disparu. Dans les années 70, date du basculement, Forester avait déjà 40 ans.
– Il y a ceux qui sont nés dans un monde plein d’autos, pour lesquels elles font partie de la réalité. Ils pensent au vélo comme à une nouveauté qu’il faut introduire. C’est Sébastien Marrec par exemple.
– Il y en a enfin quelques uns qui ont connu les deux … qui gardent précieusement le souvenir de l’avant, dans leur prime jeunesse, et veulent continuer à rouler, rouler, rouler comme à l’époque du bonheur … Ils se disent parfois qu’ils sont relégués comme les Indiens d’Amérique, trouvent ça injuste … et tentent de pousser les murs et découvrir toutes les zones préservées. Ceux-là ont leur souvenir d’enfance et d’adolescence pour viatique, et la réalité qui les a pris de plein fouet, incontournable.
De 1970 à 2020 il y a 50 ans, c’est le temps que dure un état de la société.
Je pense aussi qu’il y a de ça. Stancer est né en 1878, il a roulé dans sa jeunesse sur des routes où le goudron et les voitures étaient l’exception.
Forester a grandi en périphérie de Londres dans les années 1930, puis a été adolescent et étudiant dans la Californie des années 1940 et 1950. Il y avait déjà des automobilistes partout et le vélo avait déjà vu passer son « âge d’or ». Forester expliquait qu’il n’y avait nullement besoin de plus de cyclistes sur les routes mais bien davantage de cyclistes formés et éduqués selon les préceptes du « cyclisme efficace ». Il s’opposait farouchement aux militants pro-vélo qui critiquaient la dépendance automobile et la société qu’elle engendrait. Il ne prenait pas au sérieux les nostalgiques de l’âge d’or de la bicyclette. La formation des conducteurs au respect des piétons et des cyclistes et la connaissance de leurs droits n’entraient pas non plus au rang de ses préoccupations.
A la fin de sa vie, Forester a rejoint l’American Dream Coalition, un groupe d’action politique conservateur dédié à « défendre la liberté, la mobilité et l’accession à la propriété abordable ». Ce groupe est très pro-automobile, défendant la voiture en tant que moyen d’avoir accès au maximum d’opportunités professionnelles, personnelles et récréatives.
Dans les années 60, il y avait déjà suffisamment de voitures pour qu’il y ait plus de 800 cyclistes tués chaque année. Des mondes sans voitures, sans guerres, sans voleurs seraient des mondes merveilleux.
On ne renversera la vapeur, si tant est qu’on y réussisse un jour complètement, que progressivement. C’est juste le constat des 120 dernières années dans tous les domaines de nos sociétés industrielles.
En attendant qu’il n’y ait qu’un minimum de motorisés et qu’ils roulent à une vitesse ne constituant pas un danger pour les piétons et les cyclistes il faut construire des voies séparées dès que la vitesse des motorisés n’est pas matériellement maîtrisable.
Forester était un doux rêveur ! Imaginer qu’il a freiné la construction d’aménagements cyclables me paraît tout aussi farfelu. Les industries automobile, pétrolière, le désir des populations d’accéder à la voiture n’ont pas eu besoin de lui. « Pensée magique » est l’expression tout à fait appropriée !
Eh bien voilà! Merci François! Il a fallu arriver au bout des commentaires pour trouver l’expression du bons sens. Comme toujours, je suis frappé de remarquer que les avis/opinions les moins visibles/audibles sont celles de la part majoritaire de la population.
Je pense que la majorité des gens pensent que :
– le vélo en ville a sa place dans la circulation
– la plupart des cyclistes sont aussi automobilistes
– le comportement des automobiliste changerait si une meilleure formation leur était donnée et s’ils roulaient plus à vélo
– rouler à vélo comportera toujours un risque, même si les aménagements bien faits permettent de diminuer les accidents (d’ailleurs les risques inhérents à la pratique cycliste persistent même sans voitures, comme le montre l’accidentologie sur l’île de Ré en été).
– faire du vélo sur des voies où les voitures roulent vite en grand nombre fait peur et décourage les cyclistes potentiels de prendre leur vélo
– les aménagements cyclables faits « en dépit du bon sens » et malcommodes sont contre-productifs
– les aménagements cyclables bien pensés et efficaces jouent un rôle positif pour augmenter la part modale du vélo.
La difficulté d’une politique vélo n’est pas dans la détermination de ce qui est vrai ou pas vrai mais dans sa mise en oeuvre dans une société démocratique, avec toutes les contraintes voire injonctions contradictoires.
Evidemment, les militants et encore plus, les chercheurs militants, n’en ont cure puisque par définition, ils veulent faire infléchir les politiques. Chacun son rôle. Pour être efficaces, soyons malins et sachons saisir les opportunités quand elles se présentent et même les créer, en instaurant la confiance avec les autorités, les bonnes relations, sans oublier de montrer les crocs et de mobiliser à bon escient pour maintenir la pression.
Il me faut le redire parfois : les commentaires sont modérés. Les parties offensantes sont supprimées, les fautes repérées corrigées, les hors-sujet retirés. Les commentaires trop longs sont allégés, tout en veillant à en conserver l’essentiel. C’est au bénéfice des auteurs que certains passages sont soulignés, cela vise à éviter que vos commentaires ne soient pas lus. Cependant je dois insister sur le fait que ce blog n’a pas été conçu comme un lieu de débats ou d’expression publique. C’est un blog d’information. Les commentaires courts complétant celle-ci y ont toujours été les bienvenus.