Pour en finir avec la vitesse, ouf !

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La vitesse est la mère de tous nos maux, auraient pu dire les auteurs de ce petit ouvrage. Mais ce n’est ni l’auto ni l’avion qui sont en cause, c’est l’organisation de nos vies. Il est urgent de la revoir, avant que la frénésie ne nous tue.

Réédition augmentée fin août 2023

On a beau faire partie d’un club dépendant de la SNCF ce n’est pas pour autant que l’on rêve de TGV partout. L’ouvrage présenté ici reprend un certain nombre des thèmes traités par le forum Vies Mobiles (les auteurs en sont les chevilles ouvrières) dont ce blog rend régulièrement compte. 
On en retiendra que notre « système socio-technique » s’est verrouillé au point de rendre très difficile toute évolution et que l’injonction à l’automobile reste très forte. L’ouvrage nous informe sur les distances, les fréquences et le temps passé en déplacements et souligne les disparités entre les plus riches et les plus en difficulté. Mais l’essentiel c’est que tant que l’on décidera d’en haut, en silo, en organismes parallèles, nous n’arriverons à rien. 

On se déplace beaucoup trop, mais de façon inégale

En moyenne un Français se déplace 10 heures par semaine et parcourt environ 400 km, soit l’équivalent d’une journée et demi de travail par semaine. Au lieu d’y consacrer 5 jours sur 7, vous consacrez donc au travail 6,5 jours sur 7. 1 Souvenez-vous des livres Travailler deux heures par jour », par un collectif d’auteurs sous le nom de Adret, coll. Points, 1979, et de celui de Ivan Illich, Energie et équité, 1973.

Cependant les disparités sont grandes, les plus diplômés et les plus riches se déplacent beaucoup plus vite que les autres, et y consacrent plus de temps car ils vont beaucoup plus loin. Loisirs, rencontres internationales ou commerce sont de la partie, pendant que les « classes populaires » se déplacent bien plus souvent (pensez à tous ceux qui ont plusieurs lieux de travail par exemple), plus lentement et y consacrent, pour le travail, beaucoup plus de temps. (p. 62)

Pourquoi toujours aller plus vite ? 

« Pour en finir avec la vitesse » est donc un titre qui ouvre de belles perspectives, sous un angle, non pas nouveau, mais auquel on pouvait ne pas s’attendre. Ce n’est pas la vitesse qui va être traitée ici, mais les causes historiques et sociétales de la course à toujours plus de vitesse, étant entendu, comme montré dès le début, que la vitesse est directement cause du dérèglement climatique.

J’aurais pu gagner du temps moi-même en abandonnant la lecture dès les premières pages car on y passe de l’extrême vitesse (disons avion et TGV) à la plus grande lenteur (à pied) en passant par l’automobile et les transports en commun… Retour aux années 90, ce qui n’enlève rien à la première conclusion selon laquelle la « transition mobiliaire (…) ne relève pas de l’usage des moyens mais bien d’un changement dans les rythmes de vie. »

Présentation par l’éditeur

La vitesse nous rend malades

Quoi qu’il en soit la vitesse contribue directement au changement climatique, les 10% des plus riches de la planète contribuant pour 52% aux émissions de CO2, la moitié des plus pauvres n’en produisant que 7%. Les 3/4 de l’énergie des avions est consommée par les 10% les plus riches (p. 73). Le livre rappelle que l’aérien a été exclu de la Loi sur les Mobilités.  
Ce n’est pas tout puisque la vitesse contribue directement à notre mauvaise santé, car elle oblige à se déplacer assis, et parce que l’automobile, occupant tout l’espace, empêche que s’épanouissent les mobilités à la force humaine. Sans parler des accidents.

Revoir notre organisation

Finalement le livre plaide pour un retour à l’unité spatiale dans la vie quotidienne. « Il s’agit de mettre fin à la métrique (unité de mesure) voiture comme valeur-étalon de la mobilité ». L’accessibilité est d’abord piétonne et cyclable » (pp. 97-98). Parler mobilité sans parler aménagement du territoire n’a aucun sens et ne peut aboutir au moindre progrès contre le changement climatique. Bien au contraire, un « processus infernal » a été lancé à coups de lignes de métro et d’augmentation de la taille des entités administratives. « La mégalopole francilienne (…) est devenue le théâtre d’un vaste mouvement brownien » (p. 102). 

Il ne faut pas faciliter les déplacements, il faut retrouver proximité et mixité. Cela ne dépend pas que du ministère des Transports, mais aussi de la Poste, de la Justice, des Impôts, de la direction du Commerce, de la mairie, de l’Education nationale, de la délégation au Tourisme, des représentants syndicaux et patronaux, etc. etc. 

Dans la dernière partie les auteurs s’essayent à la science-fiction. Ils imaginent une ville ayant pris le bon virage. Les temps de déplacement seront intégrés aux temps de travail et la valorisation de la mobilité -sous toutes ses acceptions- comme symbole de réussite y sera bannie.

Qui ne soupire de sa vie à 100 à l’heure ? Qui ne rêve de ne travailler que 4 jours par semaine ? L’aspiration au ralentissement du rythme de la vie est très partagée. 80% des Occidentaux aimeraient pouvoir faire de longues pauses, de 6 mois à plusieurs années, nous disent les auteurs. Les Français y sont prêts, à condition que les contraintes soient équitablement réparties. Ce livre remet la mobilité à sa place, celle de la vie et de la lenteur, contre l’apocalypse.

Pour en finir avec la vitesse
Tom Dubois, Christophe Gay, Vincent Kaufmann et Sylvie Landrièvre.

éd de l’Aube, août 2021. 15 €


Choix de présentations de travaux du forum Vies mobiles :

> La France traite la mobilité avec ses yeux de 1970

> Où étaient les racines de leur colère ??? Une bande dessinée juste avant la crise des gilets jaunes

> Mobilité, la terrible ambiguïté Entre injonction à la mobilité et aspiration à la sédentarité

> Les exclus du transport ont parfois besoin de l’automobile

> Ceux qui se déplacent le moins facilement sont aussi ceux qui se déplacent le plus 


Ecoutez Vincent Kaufmann sur le 30 à l’heure à Paris et la vitesse en général à la radio RTS.CH (1/4 d’heure). La vie stressante, la vie « jamais sans ma connexion », les nouvelles infrastructures, etc. suite aux annonces de la maire de Paris et à la parution du livre. Il nous révèle le cadre pré-élections présidentielles françaises de sa parution avec l’espoir que ce thème y soit pris au sérieux. Il clarifie aussi un point, celui de savoir qui sont ceux qui roulent le plus, ou plutôt qui consomment le plus de kilomètres. Ce ne sont pas les « gilets jaunes », et donc on peut soulever la question de l’équité dans les taxations. Des réponses bien claires. 

Le Forum Vies Mobiles suggère par ailleurs qu’au lieu de taxer on attribue des quotas de déplacements carbonés. Cela aurait en particulier pour avantage de donner à chaque Français le même droit, quels que soient ses moyens. Voir leur présentation

Réédition
Le livre sera réédité en août 2023 dans une nouvelle collection par les Éditions de l’Aube. Ce sera une version actualisée et augmentée d’un texte de l’écrivain Nicolas Mathieu (prix Goncourt 2018 pour « Leurs enfants après eux »). Il introduit le propos avec une histoire sensible et autobiographique de ses déplacements.

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2 années

Merci pour cette recension. Combien de pages fait le livre ?

Dominique Perruchon
2 années

A recouper, sans nul doute pour découvrir (ou redécouvrir) les pensées précédentes et plus que jamais actuelles de Jacques Derrida et Jacques Ellul, qui furent nos grands cartésiens ; attentifs à comprendre les accélérations technologiques, humaines, et leurs pendants.

Sylvie Dargnies
2 années

Avec les télétravailleurs qui vont passer une partie de la semaine à la campagne, on ne va pas aller dans le sens des auteurs, je le crains.

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