J’ai roulé à vélo de la Lorraine à la Champagne, malgré les autoroutes

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Rouler à vélo de Lunéville vers Paris requiert imagination et tactique. Il faut aussi s’imposer là où nous n’étions pas invités. Récit d’un parcours épique de Lorraine à Champagne.

Vous vous souviendrez que j’étais à Lunéville début septembre pour le lancement de la préparation du Meeting international des véhicules à propulsion humaine. J’en ai profité pour faire une partie du retour à vélo, de la Lorraine à la Champagne. Une bonne partie fut improvisée faute de cartes complètes et grâce aux renseignements obtenus des personnes rencontrées.

Sortir de Lunéville

Pour sortir de Lunéville il faut se fier au doigt et à l’oeil aux recommandations. Un alléchant panneau « toutes directions » me fit me retrouver à l’opposé de la mienne. Seule la vision de l’entrée de l’autoroute me fit comprendre, et faire demi-tour là où déjà ce n’était plus possible. C’est pourtant simple, il faut passer devant le château puis suivre les indications dirigeant vers Clévic. 

Sortir de Lunéville en direction de l’ouest

La RD 400 qui y mène n’est pas une petite route de campagne, aussi me laissais-je tenter par la visite de la nécropole nationale de Friscati. Bien m’en a pris, car, au-delà du raidillon du début, ce qui est devenu l’allée Marguerite-Wibrotte (du nom de l’institutrice qui soigna les blessés pendant la guerre de 14) est barrée ! Il n’en reste d’accessible qu’une partie sur le côté, transformée de-facto en voie verte ! 

Allée Margueritte-Wibrotte

Une fois arrivée à Varangéville (dont le maire était au lancement du meeting de 2023), les choses ne sont pas plus simples. Il faut traverser les voies de chemin de fer par la passerelle, continuer jusqu’à la gare, et là prendre à gauche une route pleine de camions qui mène à Saint-Nicolas de Port. Si au moins c’était indiqué !

Ceci est une carte cycliste, à la française …

Bienvenue dans le monde industriel !!! Ce n’est pas très rigolo mais heureusement ça descend. Le passage au-dessus de l’autoroute sauve la mise, et me voilà à pique-niquer à côté de « l’église qui a perdu son village ». Au fond l’autoroute qui lacère le paysage nous rappelle combien la Loraine aura payé cher son passage dans le 20ème siècle. 

Depuis la colline de l’église orpheline. Une plaine coupée en deux.

Fin de ce repos bien agréable et arrivée sur la voie verte. Je suis sur la V52, me dit la carte, et elle est magnifique. Seul problème, il n’y a à peu près aucune indication ! On en est resté à « boucle de la Meuse », sans s’apercevoir qu’on était sur un itinéraire reliant Paris à Prague … 

Mais les choses devraient vite changer, puisque avec son Plan vélo, le Département de Meurthe-et-Moselle change de braquet, avons-nous lu dans La Semaine. C’est ce secteur qui est en travaux et sera prêt pour le meeting (voir encore dans l’article).

A Pierre-la-Treiche la piste s’arrête, un panneau prétend nous faire passer la rivière et grimper une forte côte, je me braque devant cet affront et reprend la route sur la rive sud. La vitesse autorisée est de 70 km/heure, et la route commence par être déserte… elle se recharge ensuite, et je suis moins sûre de la justesse de ma décision.

Une carte insuffisante

Toul

J’ai mes habitudes à côté de la gare, au nord de la ville. Celle-ci se traverse par une route le long de laquelle sont juxtaposés en bas un quartier dégradé, puis la vieille ville dans ses remparts, suivie par un quartier très neuf, plutôt haut-de-gamme avec supermarchés. Le port fluvial et enfin la gare couronnent le tout. La route est étroite, bordée de stationnements et entre-coupée de feux. Vous imaginez des cyclistes là dedans ? En haut le vaste carrefour est transformé à titre d’essai en vaste rond-point sans feux, ce qui donne un peu de fluidité à l’ensemble. A noter que lorsque je demandais où je trouverais une supérette, je fus envoyée au seul établissement de cette sorte, dans la vieille ville, à presque 2 km. 

De Toul à Longeville en Barrois en fraude

Ceci n’était que le début. Au sortir de la gare il faut passer dans ce grand carrefour, dépasser le canal et le longer par le chemin de halage, parfaitement lisse, mais interdit d’accès et quasi invisible sur la carte … Vous ne serez pas les seuls cyclistes. Il faudra juste descendre de vélo pour franchir les barrières, arriver sur la commune de Foug (le terminus) et en atteindre l’église par une forte montée. La re-descente se fait par la très large route qui mène aux abords de Saint-Rémy puis à Pagny sur Meuse, et nous fait découvrir la vraie vie de l’industrie lorraine et l’invraisemblable trafic qui va avec.

Fraude avouée et pardonnée ?

Ensuite j’ai roulé sur la route qui longe l’autoroute jusqu’à Void, avec une belle descente après le changement de côté. J’ai continué jusqu’au Ménil-la-Horgne. Tout autre chemin m’exposait à de grands détours et à de fortes côtes. 

A Ménil-la-Horgne je me perd dans le champ d’éoliennes

Ce calme village, coincé quasiment sous l’autoroute, n’a d’autre intérêt ici que de m’apprendre à ne pas être trop gentille. Sur la carte IGN il y a une route en mauvais état au sud, parallèle à l’autoroute. Sur le terrain il y en a deux. Celle qui est interdite à tous les véhicules sauf à ceux qui y sont autorisés, que je n’ai pas prise et qui est certainement en bon état. Et celle qui commence peu après, qui ne figure pas sur la carte et qui passe au sud du champs d’éoliennes pendant que je me croyais au nord. 

J’aurais dû lire la carte avec une loupe ! Deux mois après je découvre les pointillés par lesquels je suis passée !!! Voilà ce que c’est que de faire des infidélités à ses cartes habituelles !!!

Si j’avais bravé l’interdiction, l’affaire était dans le sac. Au lieu de quoi j’ai dû pousser dans une montée de plus en plus dégradée sur ce qui était sans doute l’ancienne route, assez large, passant par des pans de forêt, et dont le revêtement avait commencé, en bas, par du banal goudron sous le nez d’un garage automobile. En haut je me retrouvais au milieu des éoliennes, avec des chemins passant à leur pied puis s’arrêtant, et je ne comprenais pas ce qui se passait. Finalement j’aperçu une auto, je fini par trouver presque par hasard une route qui semblait se rapprocher de l’autoroute, et en bas je découvre sur ma droite la sortie de la route qui j’aurais mieux fait de prendre. 

J’ai inventé les autoroutes à vélo ! 

Cette route reste interdite en continuant de l’autre côté du carrefour et là je décidais que je méritais amplement d’y être autorisée. Ce fut très commode, j’ai dû croiser une seule camionnette, et j’arrivais ainsi à Ligny en Barrois et passais la nuit un peu plus loin sur la canal à Longueville en Barrois.

Une route parfaite, à intégrer dans le réseau des véloroutes !

C’est peu avant Longeville que je fis la rencontre décisive du jour, un cyclo qui m’informe que mon hôtel se verrait depuis la piste (ce qui est faux, mais de peu) et qu’elle était faite jusqu’à au moins Vitry-le-François, le long de la rivière, ce que la carte n’indiquait pas, une fois de plus. Il s’agit pourtant d’une carte « IGN Tourisme et vélo » …

De Longeville à Vitry le François par le canal en mauvais état

Et c’est vrai, la voie existe, mais … à l’état d’abandon. Ça passe partout (il ne manque que 300 mètres environ), pour peu qu’on ait une « autorisation particulière » que nul ne vérifiera jamais. C’est d’ailleurs le secret depuis le début de ce petit voyage, avec celui de rester mordicus à proximité du canal lorsque canal il y a. 

Les chemins de halage comme en 14 ?

Bar-le-Duc

Je gardais des souvenirs terribles de cette ville qui fait la fière avec son lieu de naissance de la famille Michaux, à qui on attribue l’invention de la pédale, et pas d’autre intérêt pour le vélo. Cette fois ce fut pareil, sauf que j’évitais la principale erreur, celle de suivre les panneaux dédiés aux cyclistes. Il ne faut en effet pas s’y laisser prendre, de l’autre côté de la route, car ils vous emmènent dans des périphéries desquelles vous ne saurez pas sortir. Roulez sur le mauvais sentier minable que vous avez en face.

Traversée de Bar-le-Duc, heureusement qu’il y a une autorisation particulière pour des véhicules motorisés et que ce soit indiqué aux piétons et cyclistes !

Puis prenez la petite route portuaire à gauche du canal, interdite aux vélos, et changez de côté au grand carrefour. C’est là qu’il faut se tenir près du canal quoi qu’il vous en coûte. Vous roulerez dans de l’herbe, et peu à peu les choses s’éclairciront. Encore un changement de côté et vous voilà rassurés, la passerelle affiche bien la véloroute, après sa traversée et un petit retour en arrière, c’est un peu confus mais ça passe. On comprend d’ailleurs par ce qui précède que les autorités ne prennent pas le risque d’afficher que sur un pareil sentier passerait une véloroute internationale ! Continuez jusqu’à Vitry-le-François, et pour savoir quand il faut changer de côté c’est très simple, c’est quand il faut une « autorisation particulière » ! 

Pas tout à fait, ou pas partout, comme en 14

Vitry le François, ouverture vers la perfection

J’y avais une adresse, c’était complet, je réserve donc ailleurs, qui s’avère être dans la zone industrielle. Le problème est de traverser au pont qui convient, me dit le réceptionniste au téléphone. N’arrivez pas à la nuit, mais auparavant faufilez-vous à pied sous le pont, la broussaille et la boue vous laissent quelques centimètres. C’est une belle liaison entre les quartiers nouveaux et la ville ancienne, à moins que ce soit un canal oublié … 

Arrivée à Vitry-le-François depuis l’Est. La perfection c’est bientôt !

Le lendemain même chose, nous arrivons en ville par l’est. J’ai su par je ne sais plus qui que les travaux de la suite avaient commencé et que la piste allait jusqu’à Dormans. 

Vitry-le-François est un noeud de navigation.

C’est donc assez simple si on a un plan. Passez si vous voulez à la mairie, visez le quartier du Bas-village, prenez la jolie esplanade par le milieu et longez le canal par la droite. Au bout, large esplanade de réunion de canaux, passez à gauche et c’est bon. C’est bon et magnifique … si parfaitement réalisé que je m’y suis ennuyée !!! En tous cas on remarque de nombreux détails qui signent un soin très attentif. Le dernier est le guidage vers la gare d’Epernay, posé pile là où je me disais que ce serait bien qu’il y ait une pancarte… 

Une portion de véloroute très soignée vous attend
Contrôle d’accès bien pensé
Abri et bancs en matériaux recyclés
Pile là où il fallait !

Malgré tout le soin et le temps mis à collationner notes, cartes et photos il se peut que dans quelques cas j’ai fait erreur, notamment concernant l’emplacement des routes longeant la route nationale. Faute de cartes suffisantes (et pourtant les IGN top 100 semblaient prometteuses) j’ai eu du mal, parfois, à reconstituer l’itinéraire. Il nous manque un guide, et un bon ! J’en tire en tous cas une leçon : ne pas hésiter à utiliser ces routes de service, surtout lorsqu’elles nous évitent grands détours et fortes côtes. Ici on remarque que la plupart des routes sont orientées vers la route nationale, ce qui veut dire qu’il ne reste pas beaucoup d’autre choix. Je retire de ce petit voyage aussi que la véloroute n° 52, route de Paris à Strasbourg, n’est pas aussi « terminée » qu’on le voudrait. Ni en infrastructure, ni en jalonnement, et sans même compter ce qui se dégrade faute de considération.

Merci à Max Tissot pour sa relecture toponymique, qui m’a fait corriger plusieurs fautes. Il a pas mal voyagé dans la même région.

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Axelos
1 année

J’ai effectué un trajet assez similaire au vôtre en juillet 2019, de Nancy et Dormans, avant de bifurquer vers le sud.
Même si je n’ai pas emprunté les mêmes chemins lorsqu’il n’y avait pas de site propre, en réalisant certainement de gros détours, je valide le fait que la véloroute Paris – Strasbourg est loin d’être à la hauteur de son référencement.
Vitry-le-François m’aura laissé un souvenir très désagréable, une ville coupée en deux par la route nationale 4 et son flux interminable de camions. La traverse de la Marne sur des routes de campagnes qui n’en sont pas réellement aussi.
Quant à la réalisation à proximité d’Épernay, je suis en désaccord avec vous concernant les obstacles à proximité des écluses. Ils sont juste totalement inadaptés à l’usage du vélo, surtout lorsque ceux-ci sont chargés et équipés par exemple de remorques. Je considère d’ailleurs cela comme une aberration à déposer au plus vite avant de donner de mauvaises idées à d’autres aménageurs.

Pelloux
1 année
En réponse à  Axelos

J’ai réussi à faire supprimer tous ces cadres rotatifs sur la Via Rhôna entre Loire sur Rhône et Condrieu. Pour cela il a fallu la détermination d’un groupe de cyclistes locaux et organiser une réunion sur place avec le BE concepteur mandaté par le Maître d’Ouvrage. La présence d’un tandem, d’un handike d’handicapé, d’un vélo avec remorque d’enfant ont eu raison de affirmation avancée initialement que tous les vélos pouvaient passer. Les obstacles on tété enlevés et il n’y a pas de pb d’intrusion depuis 10 ans.

Marcel
1 année
En réponse à  Pelloux

Je vélotaffe par ce chemin (pont d’Ay) plusieurs fois par semaine et je vois régulièrement des scooters emprunter cette v52. Le collège et la gare d’Ay sont faciles d’accès par la V52.C’est simple, les scoots passent à côté, sur la voie remontant sur le pont et traversent la route pour rattraper la descente vers la voie verte. Ce sont des barrières qui bloquent uniquement le passage aux voitures. Donc l’obstacle sur la v52 ne gêne que les cyclistes, cela oblige à ralentir sous ce pont étroit. Une chicane large pourrait suffire. Sinon de Condé-sur-Marne à Dormans, c’est un boulevard, cette v52. Tous les touristes et bâteliers du dimanche parcourent très largement cette portion pour visiter les caves de la région.

Pons, Jean-Louis
1 année

Quel gâchis!
Le projet de la Paneuroparadweg Prague-Paris, poussée par nos amis Tchèques et Allemands, retenu au CIADT 2010, n’a pas été relayé par la région Lorraine pourtant favorable.
Il y a là une grave absence de leader et de gouvernance.
Quand on connait tous les bienfaits apportés sur un territoire par une véloroute, cette situation est véritablement scandaleuse.
Que fait le ministère de l’Ecologie?
Merci Isabelle pour ton témoignage qui vaut bien une mission d’audit!

Adrien
1 année

J’ai lu avec plaisir ce récit de voyage. Ces dernières années, j’ai beaucoup suivi des itinéraires officiels plutôt bien avancés (comme la Via Rhona) et très peu d’itinéraires à moitié (ou pas du tout) réalisés, comme celui-ci.
Ce récit m’a donc rappelé des souvenirs de mes plus anciens voyages à vélo, où il fallait souvent sortir la carte, improviser, se perdre, retrouver son chemin, choisir entre le chemin de halage non aménagé et la route circulée …
La Meurthe-et-Moselle est quand même particulièrement mauvaise. En 2014, quand je suis allé jusqu’en Belgique, toute la V50 était intégralement réalisée des Vosges au Luxembourg (avec certes quelques parties provisoires en Moselle, et sans jalonnement à l’époque dans les Vosges, mais sur un site propre continu où on ne pouvait pas se perdre)… sauf en Meurthe-et-Moselle où rien n’était commencé en dehors du Grand Nancy !
Je sais que ça a évolué depuis, mais je pense qu’il faudra du temps à ce département pour rattraper tout son retard.

Millotte
1 année

Pour info, concernant la carte IGN au 1/100 000 évoquée et beaucoup d’autres cartes routières :
Elles sont depuis une quinzaine d’année réalisées à l’ordinateur (et non plus dessinées), si bien qu’il y a une perte très importante de précision.
On le voit de façon flagrante quand on compare les nouvelles avec les précédentes. C’est pour cette raison que j’ai arrêté d’en acheter, alors que je trouvais que c’était un bon compromis entre la 1/25 000 et la 1/200 000 de Michelin.
J’ai fait la même expérience avec des cartes étrangères, comme les 1/200 000 de Kümmerly Frey. La différence est édifiante (et affligeante, car le dessin est simplifié et ne correspond pas à la réalité).

Michel Vernus
1 année

Merci pour ce récit de voyage et vos commentaires.
Petite précision : les améliorations récentes sur la V50 et la V52 ne sont pas apparues “toute seules”. L’association Vélo et Mobilité Active Grand Est oeuvre depuis des années auprès des collectivités locales auxquelles elle apporte son expertise d’usage. Elle est notamment intervenue très régulièrement sur ces deux itinéraires majeurs, avec succès, même si ses préconisations ne sont pas toutes retenues.
Concernant la V52 Paris – Prague, les travaux en cours pour résorber la discontinuité à l’est de Nancy devraient être terminés début juillet 2023 grâce à l’engagement du CD54 qui a fait de gros efforts financiers pour rattraper le retard pris il y a de nombreuses années. Donc mi-2023, vous irez de Strasbourg à Toul sans discontinuité sur un très bel itinéraire.

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