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mardi, 09 novembre 2010

La "cyclabilité" d'une ville, ça se mesure ?

Comment savoir, finalement, si une ville est « cyclable » ou pas ? .....................

Evidemment pas en comptant les « kilomètres de pistes cyclables » ni le nombre d’arceaux. Peut-être en comptant les kilomètres de routes non cyclables et non compensées, plutôt, ou les surfaces victimes de coupures ?

Un étudiant vient de se pencher sur cette notion de « cyclabilité ». Je vous laisse découvrir sa réponse ...


La méthode mise au point par Patrice Nogues en avait laissé certains dubitatifs lorsqu'ils avaient comparé ses résultats  à leurs pratiques et impressions correspondantes sur le terrain. Il avait alors précisé qu'il voyait plutôt ses résultats comme une aide à la prise de conscience. La méthode qu’a élaboré la société Moviken (dans le cadre du projet "Port vert"), devrait servir à établir des cartes ou des itinéraires. La société  distingue 5 niveaux de sécurité, calculés à partir de 3 critères : présence ou non d'aménagements cyclables, vitesses autorisées, débit et proportion de poids lourds, auxquels ont été ajoutés la qualité des revêtements et la largeur des voies, les pentes et les sens uniques. (Source : Ville, rail et Transports, Cartographie et information voyageurs, 21 février 2009, p. 3). La route est longue car les sources ne sont pas fiables : seuls les relevés sur le terrain peuvent l'être.

-- Un étudiant vient à son tour de se pencher sur cette notion de « cyclabilité », en la réservant à l’aspect « environnement construit ».

Son hypothèse est que la qualité urbaine intrinsèque a elle-même de l’influence sur le « degré de cyclabilité ». L’étudiant la divise en trois catégories :

Morphologie urbaine : connexion et densité
Fonctions et usages : mixité fonctionnelle
Morphologie paysagère : lisibilité, repères, etc.

Ca me paraît bien vu.

Pour l’enquête empirique, l’auteur a choisi le prisme du choix des itinéraires, et l'a testé à Strasbourg... Cela s'applique donc à des personnes déjà cyclistes, ce qui ne permet pas d'apprécier le ressenti des non-cyclistes. Surtout notre étudiant est amené à conclure sur « l’impact modéré des critères urbains sur le choix des itinéraires », c'est-à-dire sur l'invalidité de ses hypothèses. Au contraire, trop d’intersections et trop de zig-zag rendent les trajets mal commodes : les cyclistes préfèrent les grands axes, nous dit-il. "Cyclables" ou pas ! Mais le nombre de cyclistes qu'on y compte n'est-il pas lié à la cyclabilité générale de la ville ???

« Je cherche à aller au plus court de manière générale, donc je vais pas faire un gros détour pour passer devant un monument j’essaye de prendre le chemin le plus rapide que je perds mon bon goût vrai que c’est toujours plaisant quand le paysage est de qualité. » p. 97

-- Cette conclusion en tous cas nous donne raison, et aux Néerlandais, dans la promotion des Réseaux Express vélo. Dans ce travail, sur Strasbourg, le rôle négatif des coupures est d’ailleurs clairement mis en évidence pour le quartier d’Hautepierre. Notez en passant que cette conclusion est bien celle à laquelle étaient arrivés les services techniques parisiens lors du premier plan vélo, sous Jean Tibéri. Ils avaient alors privilégié les grands axes structurants.

« Ainsi, si la rapidité temporelle et la simplicité du parcours déterminent avant tout les choix d’itinéraires des cyclistes interrogés, il n’en reste pas moins que les morphologies urbaines et paysagères tiennent une place non négligeable dans les décisions de ces derniers : des espaces verts et ouverts sont agréables et attractifs bien que non nécessaires à l’utilisation du vélo, un tissu urbain dense incite plus à la pratique du vélo que des quartiers lâches et étalés même si une trame viaire trop complexe désoriente certains cyclistes ». p. 91

Même avec les biais de l’étude : « plus les cyclistes sont nombreux proportionnellement aux autres usagers de l’espace public, plus il est rassurant voire agréable d’utiliser son vélo comme moyen de déplacement » p. 110, l’auteur conclue : « nous ne sommes pas en mesure de proposer des préconisations opérationnelles en vue d’une élaboration de stratégies concrètes pour des opérations urbanistiques susceptibles d’induire l’utilisation du vélo dans les pratiques de mobilité. » P. 115. C'est du jargon, mais je crois que ça veut dire qu'on ne sait pas modéliser un schéma directeur vélo.

 

-- -- Alors je propose que la cyclabilité d'un territoire soit mesurée ... au résultat. Par exemple au nombre de cyclistes.

Ou qu'elle soit confiée à l'appréciation des experts qui ont l'oeuil pour détecter ce qui est fluide de ce qui est haché, ce qui rend service de ce qui pénalise, et, aussi, ce qui ne doit surtout pas être modifié, même sans aménagement visible.

Ceci étant, il est vrai que souvent je m'interroge sur la largeur optimale d'une voie de quartier. Dans l'une les automobiles acceptent tout à fait de ne pas doubler, dans l'autre ils s'impatientent, ayant l'impression, je crois, qu'ils pourraient doubler. Ce genre de mesure ... et aussi celle du temps passé à être à l'arrêt, font partie des questions que j'aimerais voir élucidées. Amusant aussi serait de mesurer le taux de refus d'utiliser certains axes aménagés, qui sont évités par des cyclistes qui tous comptes faits préfèrent encore se coltiner la circulation que d'utiliser les dits-aménagements. Nul doute qu'on retrouverait encore les notions d'obstacles et d'arrêts... Je suppose que le bruit ambiant pourrait aussi rentrer dans les critères, ainsi que celui de la "piétonisabilité" ... A ville agréable, ville agréable.

-- -- Et je propose aussi que des cartes cyclistes sérieuses soient éditées. Car si les grands axes sont préférés, entre un mauvais et un bon, il se pourrait que le bon soit le meilleur... Un relevé des aménagements, couplé à des mentions de largeur, de pente et de trafic (comme sur nos bonnes vieilles cartes...) semble tout à fait adapté. C'est ce que publient de nombreux éditeurs (Danemark, Suisse, Pays-Bas, Allemagne...). C'est aussi ce que nous avions préparé autrefois pour la région d'Ile-de-France.

 

-- Thomas Lecourt, De l’influence des qualités urbaines sur la cyclabilité d’un espace, le cas de Strasbourg. Mémoire de Master Aménagement & urbanisme, septembre 2010. Sous la direction d’Antoine Brès. Université Panthéon Sorbonne, Paris 1

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Ajout du 10 novembre

Découvert sur le site du groupe Chronos, des informations sur la recherche menée par le Club des Villes cyclables :

"En collaboration avec Frédéric Héran, le Club met en place des indicateurs d'évaluation des politiques publiques cyclables. Le parti est pris : la réussite d'une politique d'aménagement se mesure en termes de ville apaisée et de cyclabilité, c'est-à-dire :

  • D'une vitesse apaisée (indicateur : pourcentage de voies à 30, 40, 50... km/h),
  • D'une circulation en double sens (indicateur : pourcentage de voiries en double-sens cyclables)
  • Des voies de circulation aménagées pour les vélos, quels que soient le type d'aménagement (indicateur : pourcentages de voiries aménagées). "A Genève, 56% des voiries sont aménagées pour le vélo, selon un calcul de Frédéric Héran. C'est un score que les villes françaises n'atteignent pas encore (voir le tableau ci-dessous), mais on y travaille", ajoute Alexandre Laignel."

"Chacune des collectivités et agglomérations membres du Club (150 territoires concernés) est interrogée sur ces trois grandes composantes : l'aménagement de la voirie (en termes de voies et de stationnement), les services (système de vélo partagé, gardiennage, entretien...) et la communication (les documents d'informations et les événements). Le Club en ajoute une quatrième qui porte sur la gouvernance (présence ou non d'un schéma directeur vélo, d'instances de concertation avec les usagers, d'un référent vélo technique, d'un référent vélo chez les élus)."

Commentaires

Sujet passionnant et suscitant le débat (c'est peut-être un des principaux intérêts des cartes de cyclabilité que d'obliger à se demander ce qu'est une rue, un quartier ou une ville cyclable ...), d'où un atelier spécifique lors de la prochaine journée d'étude de la FUB le 15 avril à Clermont-Ferrand, avec une place prépondérante donnée aux échanges.

Écrit par : Patrice Nogues | mercredi, 10 novembre 2010

Bonjour Isabelle
Dans cette reprise de commentaire :
« Je cherche à aller au plus court de manière générale, donc je vais pas faire un gros détour pour passer devant un monument j’essaye de prendre le chemin le plus rapide que je perds mon bon goût vrai que c’est toujours plaisant quand le paysage est de qualité. » p. 97
Pourrais-tu rendre la fin plus intelligible ?
Amicalement, JJ92

Écrit par : Jean-Jacques M. | mercredi, 10 novembre 2010

Isabelle, j'imagine que les recherches auxquelles tu fais allusion sont celles que l'on trouve sur le site de la FUB (lien dans la signature).

Écrit par : pH|Re | mercredi, 10 novembre 2010

En réponse à JJ, je cite bien le bas de la page 97 :
« La qualité architecturale des bâtiments qui environnent votre parcours elle être un critère important ? Oui et non, c’est-à-dire que je cherche à aller au plus court de manière générale, donc je vais pas faire un gros détour pour passer devant un monument ; mais c’est pas parce que j’essaye de prendre le chemin le plus rapide que je perds mon bon goût e c’est toujours plaisant quand le paysage est de qualité. » Sylvie ".

Écrit par : Isabelle L. | mercredi, 10 novembre 2010

De toute façon, démarche intéressante et... courageuse, car je crois que, dans son ensemble, les enseignants impliqués dans les questions de mobilité continuent, pour la plupart d'entre eux, à considérer le vélo comme un sujet anecdotique porteur, toujours, de relents de "lampe à huile".
C'est vrai qu'il y a un point de départ important : on approche les cyclistes ou les non cyclistes ? A quand une recherche qui réalise une approche en négatif : en quoi le territoire est non cyclable, via l'avis des non cyclistes. On peut faire la même chose dans plein de domaines : pourquoi ne triez-vous pas vos déchets etc... Souvent utile pour avancer.
Anecdotiquement, je pense à deux choses :
1) issu des Pays-Bas : 5 critères à satisfaire dans l'élaboration des mailles d'un réseau cyclable : sécurité, compétitivité, commodité, compatibilité, attractivité;
2) venant d'Allemagne : je crois qu'à Fribourg-en-Brisgau, on n'édite pas de carte de réseau cyclable car la ville dans son ensemble est sensée être totalement cyclable, entre grands axes équipés de pistes ou bandes cyclables, zones 30 et rues à jeux. Ce qui veut dire que, sur l'ensemble de la ville, on est sensé, en circulant à vélo, voir satisfaits les critères de continuité, rapidité et sécurité, déterminants pour encourager le choix de ce mode. A noter également qu'on tâche d'y mettre en place des axes cyclables structurants fluides (pas d'intersection occasionnant d'arrêt), ce qu'on peut faire en longeant un cours d'eau par exemple.
L'élaboration d'une ville cyclable est-elle retorse à la modélisation ? La tendance générale est à la modélisation : c'est "scientifique" et c'est "le progrès". Et puis il y a les cyclistes et les experts qui privilégient le terrain et qui constatent que cela ne colle pas. Est-ce que pour autant on avance ou est-ce une démarche inadaptée ? Je pense qu'il faut des critères à "graver dans le marbre" et s'efforcer de les satisfaire. L'audit me paraît également important (ce qu'a fait Karlsruhe en 2005 - BYPAD Bicycle Policie Audit) pour s'améliorer et éviter de reproduire les mêmes erreurs.

Écrit par : Nicolas Pressicaud | jeudi, 11 novembre 2010

- La typologie de forme urbaine en 3 critères est pertinente car elle reflète une approche "vélo" intéressante.
- Par contre, j'émettrais des réserves concernant l'importance de la rapidité. Pour avoir enquêté sur Bordeaux, beaucoup de cyclistes privilégient ainsi les quais même si cela induit un détour. Ils ne sont pas "cyclables" mais offrent un agrément paysager, de sociabilité ("il y a du monde sur les quais") et de continuité (pas de feux). Si la rapidité est actuellement citée en priorité, peut être devrait-on la rapprocher d'une part de la population qui utilise le vélo de façon "utilitaire" à son paroxysme (peu de place pour le loisir, les achats…) ?
- Des mesures opérationnelles existent (intégration des parkings vélo aux documents cadres, etc.) mais ne semblent pas toutefois bénéficier d'une évaluation de leurs impacts respectifs. La comptage de cyclistes reste ambigu et peut être trop généraliste. Bref, les méthodes d'évaluation dans ce domaine sont, je crois, encore à construire.
- Enfin, il est clair que la lisibilité du réseau, express ou non, est à développer !

Écrit par : Emmanuel Raoult | dimanche, 14 novembre 2010

Avez vous fait un classement des villes cyclables en France avec les critères ci dessus ?
Je vous invite à venir à Nimes où tous les aménagements, lorsqu'ils existent, ne correspondent pas aux recommandations officielles. Amicalement Annick P

Écrit par : Potier | vendredi, 19 novembre 2010

Les commentaires sont fermés.

 
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