Isabelle et le vélo

Francis Papon est polytechnicien (Ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, docteur pluridisciplinaire en transport de l’université de Paris XII). Est-ce là ce qui lui permet de présenter son travail sous la forme peu académique d’un vélo ? Ingénieur il est, c’est-à-dire spécialiste de rien, dit-il, ou spécialiste d’un objet lui-même pluridisciplinaire qu’il aborde de façon non conventionnelle, par la philologie, les sciences, la géographie, l’histoire, la prospective ou encore l’urbanisme, sans omettre la question des déplacements, elle-même tout autant pluridisciplinaire …

Est-il seulement un scientifique ? Il revendique une posture opérationnelle : faire de la recherche pour aider à la décision, car ce qui prime, c’est l’action, nous dit-il. Est-il ingénieur, militant ou chercheur ? Faut-il être indifférent pour bien travailler, faire des choses que l'on croit inutiles, ignorer les réalités ? Francis Papon espère être les trois à la fois et affirme son choix de méthodes empiriques, voire même poétiques.

N’est-ce pas «empirique» et utile que d’avoir introduit le vélo dans nombre d’enquêtes de déplacements, d’avoir créé les enquêtes biographiques (basées sur le souvenir des gens et permettant de différencier les générations), d’avoir posé des questions sur l’agrément du déplacement et sur ce qu’on fait pendant ? Tous ceux qui le connaissent savent combien il est un puits de science et combien sa participation peut être précieuse; sa bibliographie est impressionnante, et lumineux sont les résultats de ses compilations de chiffres.

Les membres du jury, tout éminents qu’ils aient été, ont, dirons-nous pudiquement, surpris... L’un confond VAE et 2R à moteur, l’autre ricane sur le fait que, sur l’invitation, était indiqué le chemin à vélo alors que lui-même habite à 70 km, le même (vous comprendrez que je ne les nomme pas !) mettant en doute les effets bénéfiques du vélo sur la santé (les vieux, autrefois, étaient fatigués d’avoir tant marché, pense-t-il), le 3°  traite quasiment Fr. Papon de ringard (pourtant le vélo ci-dessus n'est pas une randonneuse d'avant-guerre !) qui ne pourra jamais attirer de jeunes chercheurs. On prétend qu’il veut «mettre le bordel» dans la circulation pour promouvoir le vélo (3), un autre croit savoir qu’il n’y a pas d’études montrant les inconvénients de l’étalement urbain … On va même lui reprocher de ne pas avoir d’ancrage philosophique (celui des chercheurs sur les tramways ou les bactéries, sans doute ? en demande-t-on à ceux qui s'intéressent à l'automobile ?!). Seul André Guillerme, en historien, fut poétique. Pour lui le vélo est "en équilibre métastable", on ne sait même pas comment il tient ni «pourquoi la pédale». Le vélo c’est l’histoire d’amour du couple vélo et ville, amour qui passe à l’indifférence et revient sur le tard en grand amour …

Photo : une partie du jury.

Ces commentaires peu brillants ont laissé le public (4) sans voix, mais l’essentiel est que le vélo soit reconnu comme objet de recherche académique. Peut-être fallait-il pour l’imposer un polytechnicien à l’allure modeste, à l'humour discret, et qui ne tente jamais de vous impressionner par son  verbe ... Le temps de Jean-René Carré, précurseur isolé et peu encouragé  par sa hiérarchie, dans ce même organisme, commence, peut-on croire, à s’éloigner. (5)

Photo : lors du pot de l'amitié

 

Les photos ont été prises par Francis Robin. 
Les autres images sont des extraits de la présentation de Francis Papon.

(1) IFSttar. Institut public de recherche sur les transports. S'appelait auparavant INRETS.

(2) Membres du jury : Jean-Pierre Orfeuil, IUP, Université Paris 12, président ; Gabriel Dupuy, CRIA, Université Paris 1 ;   André Guillerme, CNAM ; Charles Raux, LET, Université Lyon 2 ; Dominique Lebrun, Coordonnateur Interministériel ; Jean-Loup Madre, Ifsttar ;  Dominique Mignot, Ifsttar ; Jean Laterrasse, ENPC.

(3) Mettre le bordel dans la circulation pour promouvoir le vélo ? Voir à ce sujet Embouteillages contre vélos / vélos contre embouteillages, novembre 2012.

(4) Dans le public j’ai reconnu Dominique Riou, Frédéric Héran, Sylvie Abours, Sophie Roux, Abel Guggenheim, Francis Robin. Que les absents envoient leur mot d’excuse.

(5) Dans la longue liste des remerciements, on note Jean-René Carré, Frédéric Héran, Sylvie Abours, Claude Soulas.

Des noms, des noms !!! Voici le compte-rendu reçu peu de temps après: l'auteure ne prend pas les mêmes précautions que moi et les balance tous... Tant pis pour eux ! (mis en ligne le 5 janvier 2013)