Isabelle et le vélo

Ce bouquin est euphorique. C’est un ensemble de textes de presse et de guides ou manuels (et quelques oeuvres littéraires), parus entre la fin du vacarme de l’hyppomobilité et le début de l’horreur de l’automobilité. Une cinquantaine d’années à peine où l’humanité a suspendu son souffle, avant de renoncer au bonheur et sombrer dans la guerre.

Les textes sont classés par thèmes, Pignons et goupillon, Dompter la bête, Vélocipédards, Rubrique des cyclistes écrasés, La reine a son apôtre, Explications mathématiques, Entraînement à l'emballement, etc. et même le Sprint final (qui tient lieu d’épilogue) pose la question qui nous taraude : «Pourquoi l’aimez-vous ?»

«A ces envieux une seule réponse convient : mettez-vous en selle et vous répondrez vous-même» (Véloce sport, 1892).

Tout le livre est drôle, comme on l’était à l’époque de la bicyclette. Par exemple, en 1869, «une municipalité édicte un règlement qui ordonne aux Vélocemen de s’arrêter, s’ils renversent quelque voiture ou quelque charrette pesamment chargée : en revanche …»… en revanche nous n’avons rien inventé, mais c'était dan'l'journal !

Mais où se tenir, lorsqu’on est un cavalier vélocipédique accompagnant une dame ? A sa gauche, bien sûr, pour diverses raisons que vous comprendrez aisément. Mais il faut naturellement se tenir à sa droite si on est gaucher,  sauf au croisement d’une voiture. Alors il faut «passer devant elle et gagner la gauche. Manœuvre fatigante, oui. Mais quelle drôle d’idée d’être gaucher !». Il s'agit bien d'un livre de presse et de manuels, comme vous voyez, tous objets sérieux, crédibles et respectables... bien loin des anthologies (respectables et délectables aussi) de littérature (*) ! 

Au-delà du plaisir, immense, qu'elle vous procurera, cette lecture vous aidera à comprendre pourquoi nous sommes si peureux, si pusillanimes, pourquoi nous nous efforçons d’empêcher notre concitoyen, et nous-même, d’accéder au bonheur. Vous apprendrez aussi pas mal de choses sur le rôle de la bicyclette (presse oblige) dans la guerre, dans la colonisation, au travail …

« Devant ces progrès inouïs du cyclisme, en face de ce mouvement stupéfiant qui en moins de cinq ans a bouleversé l’aspect des rues et des routes, ressuscité les auberges mortes, repeuplé les grands chemins déserts, changé les habitudes de toute une jeunesse (… ), en présence de cette révolution par la vélocipédie, on se demande : « où cela s’arrêtera-t-il ? » (1894)

"La révolution vélocipédique qui est en train de s'accomplir (...) est pacifique, elle est lente, qui sait si dans une trentaine d'années les moeurs, les habitudes des populations en Europe n'en seront pas complètement transformés?" (1894)

Hélas ... Vite, en selle !

Les bienfaits de la vélocipédie, anthologie
Ed. Le Pas de côté, février 2013. 
253 pages, illustrations. 16 €

 

 

(*) les autres livres dont je parle sont :

à bicyclette, anthologie établie par Edward Nye, aux Belles lettres. Gros et élégant livre publié en l'an 2000, encore disponible et à un prix ... inférieur au prix nominal (passé de 22,10 € à 19,00 €). Anthologie de littérature. Beaucoup de ces textes sont traduits de l'anglais, ce qui nous donne en prime l'humour brittanique. Irrésistible ! 

Le goût du vélo. Textes choisis et présentés par Hélène Giraud, paru en décembre 2011 au Mercure de France. Petit livre charmant des meilleurs textes littéraires français, des origines à aujourd'hui. Présentation sur ce blog. 6,60 €.

La littérature est reflet de l'époque de son écriture, de ses rêves ou terreurs. La presse est reflet direct de ce qu'elle vit. Les deux nous renseignent à leur manière. Mais dans tous les cas, je vous l'avoue : les textes "anciens" sont bien plus drôles et délicats que ceux d'aujourd'hui; à l'euphorie de la liberté a succédé la violence. Pour votre plaisir ou votre instruction, lisez Les bienfaits de la vélocipédie.