lundi, 24 février 2014
Décès de Frank Davidson, initiateur de l’association CyclotransEurope
A l’occasion du décès Frank Davidson, Philippe Bernard nous présente la vie de son ami, notamment ce qu’ils ont réalisé ensemble: la création d’une association ayant pour unique objectif la réalisation d’une véloroute reliant Moscou à Saint-Jacques de Compostelle.
Son originalité dans le paysage français lui a valu bien des réticences, qu’elle paye cher aujourd’hui, mais lui a permis aussi d’atteindre un niveau d’efficacité inégalé dans son domaine.
Photo : Building the world
Frank Davidson, qui est mort le 20 février, à l'âge de 95 ans, m'avait demandé, à l'été 1996, de l'aider à créer une piste cyclable entre Paris et Moscou. A cette fin, j'ai créé, en octobre de la même année, Cyclo Trans-Europe. Frank en a assuré le financement pendant trois ou quatre ans, ajoutant quelques contributions ultérieurement, jusqu'à ce qu'un financement régulier puisse être assuré.
L'idée lui en était venue au cours d'un dîner (auquel je n'assistais pas) au cours duquel il avait déclaré, "s'il y a une piste cyclable, l'année prochaine je vais à Moscou à vélo". Mais il m'avait dit ensuite qu'il ne savait pas comment procéder, je lui avais dit qu'avec mon expérience de la planification régionale, je saurais à peu près comment il fallait s'y prendre.
F. Davidson lors de l’accueil de la randonnée
de Dynamobile en 2007, mairie du X° arrt de Paris.
Débarquement en France
Frank, né je crois à New York, s'était engagé au début de la guerre comme volontaire dans l'armée canadienne, sans doute même avant que se constitue l'armée américaine. Comme officier, il avait participé au débarquement en Normandie, non pas le 6 juin, mais dès le 19 juin 1944, et il en était très fier. Chaque année, pour les cérémonies commémoratives, il était au premier rang pour accueillir les vétérans. Quelques années après la guerre, il avait épousé Izaline Dol, d'une famille protestante française. Quand je l'ai connu, dans les années 80, par son frère qui a vécu 30 ans en France, il était Joint ou Assistant Professor à la célèbre Université Massachusetts Institute of Technology (MIT). En 1984, il m'avait invité à prononcer une conférence au Harvard Faculty Club (formation en sciences humaines dans les grandes écoles françaises).
A Paris, Frank était membre, comme moi-même, de l'association Prospective 2100, composée principalement d'ingénieurs. Avec elle, ou plutôt indépendamment de celle-ci, et quoique non versé dans la technique, il avait favorisé la promotion à la fois théorique, pratique et financière de "grands projets", dont quelques uns se sont réalisés, mais dont d'autres continuent à être du domaine du rêve (1), la liste, incomplète d'ailleurs, en est longue et variée. La piste Paris-Moscou devait être l'une d'elles.
A tribute to Frank Davidson, Sophia-Antipolis. "Véritable «Père de la « Macro-ingénierie», Frank Davidson est à la fois ingénieur, créateur, visionnaire."
Frank Davidson a eu ainsi un esprit fertile qui a passé son temps à se saisir de grandes idées et à entreprendre lui-même de les mettre en pratique, un esprit typique sans doute de la façon américaine, mais dont il disait toujours que la genèse en avait été sans doute plus encore française. On en voit la preuve dans les deux gros volumes de "Building the World", qu'il a écrits et publiés en 2006 avec Kathleen Lust Brooke, dans lesquels ne sont pas oubliés des grands projets français ou d'origine française, tels les aqueducs romains, les ponts mobiles de Charlemagne, les canaux de Suez et Panama, la Tour Eiffel…
Les débuts de la véloroute
Dès 1997, Frank, et surtout Mme Davidson (en faisant participer des membres de sa famille), ont organisé une grande randonnée sur le tracé futur en Ile de France de notre nouvelle voie cyclable (2).
Le logo de l'association, une colombe portant
un rameau de paix au dessus d'une roue à rayons.
Dessiné par Mélanie Erhardy.
La première réunion d'importance de CTE eut lieu en janvier 1998 à Compiègne, grâce à l'obligeance du président de la communauté de communes de Compiègne de l'époque. Frank était présent. A notre invitation, quatre Belges, venant de Bruxelles ou Namur, s'étaient déplacés. Avec eux, nous avons décidé du futur tracé depuis Paris.
La possibilité la plus évidente était de suivre le tracé du canal de Saint Quentin, faisant traverser les villes assez importantes de Compiègne, Saint-Quentin, Cambrai et Valenciennes, en direction de Bruxelles et des Pays-Bas. Mais le canal, qui empruntait un tunnel pouvait n'être pas très varié, et traversait beaucoup de paysages industriels.
Maintenir une liaison avec la Wallonie semblait d'autre part intéressant, car en traversant la Thiérache et l'Avesnois, on a des paysages peu connus et de grand intérêt touristique. De plus la voie ferrée traditionnelle Paris-Berlin à Moscou et St Pétersbourg passe par Maubeuge, Liège et Cologne.
C'est ce trajet que nous avons alors décidé de retenir, et qui est devenu celui de l'EV3 conformément à nos choix. Cet itinéraire a été lui-même retenu, y compris sa prolongation vers l'Espagne, lors de l'adoption en décembre 1998, sous la présidence du Premier ministre Jospin, du Schéma national des véloroutes et des voies vertes. Il a alors été convenu que nous nous occuperions de l'ensemble (3).
A noter que l'Association européenne des voies vertes (sans les pays d’Europe du Nord), avec siège à Namur, créée avec le soutien de la région de Wallonie, nous a donné une subvention en 1999 ou 2000, et a organisé un colloque international à Lille. Frank a connu toute cette période de notre activité.
Je ne vais pas continuer ici toute cette description de notre activité, nos études de terrain, et nos recherches de soutien, mais dire quelques mots de ce qui a fait notre spécificité.
Un positionnement original pour la France
Nous n'avons jamais voulu rechercher d'autres activités que l'aménagement de cette voie unique, poussant par suite à la création, par Jean-Paul Lepetit, de l'AF3V (novembre 1998) en tant que fédération.
L'itinéraire dont nous nous occupons est le seul du Schéma national ou du projet Eurovélo de l'ECF qui soit soutenu en France par une association privée, et non par une collectivité publique.
La puissance publique se réserve le droit d'agir
Or ce n'est pas bien ce qui correspond à la façon habituelle d'agir en France : les activité privées de ce genre ne peuvent que se proposer de mettre en branle l'activité publique. Dès notre fondation, il m'avait été d'ailleurs signalé par la Préfecture de police de Paris que la signalisation figurant dans le descriptif de notre action était un monopole public (alors qu'existaient avant la guerre des "bornes Michelin" et autres signalisations non publiques).
Nous devons notre particularité à la façon, qui me semble intelligente, dont nous avons été créé. Elle aurait du être un atout, mais, je le crains, elle a longtemps suscité des réticences, jusqu'à ce qu'aboutisse la solution, que nous avons jugée nécessaire, de la désignation d'une région comme chef de file, qui s'est dans l'immédiat révélée à notre détriment.
Ce pays néglige l’expertise du terrain
Le fait que nos travaux puissent être d'aussi bonne qualité et bien moins chers que ceux que peuvent effectuer les communes, communautés de communes ou d'agglomération, ou départements, qui dès qu'ils se saisissent d'un problème vélo, ont recours à des bureaux d'études qui ne connaissent rien au sujet, coûtent cher et sont lents, n'a jamais été pris en considération (sauf verbalement par certains élus). L'expertise ancienne des directions départementales de l'équipement est d'autre part négligée.
Le tracé d'Eurovélo et du schéma national, bien qu'il ait suivi nos choix dans la France du Nord, a été un carcan dans la France du sud : pour ma part, je souhaitais qu'après avoir suivi le trajet de la Loire à vélo, d'Orléans à Tours, que nous puissions aller jusqu'à Saumur et rejoindre ensuite La Rochelle, en traversant en particulier le marais poitevin, puis les dunes de l'Atlantique jusqu'au pays basque, itinéraire appelé à un grand succès. Mais il nous a été répondu qu'à partir de La Rochelle, il s'agissait du trajet de l'EV1, et que le nôtre, celui de l'EV3, avait à suivre à peu près le trajet de la voie ferrée Paris Madrid et de la route N 10, lequel n'a jamais vraiment intéressé ni la région Poitou-Charentes, ni la région Aquitaine.
Philippe Bernard
président honoraire de CyclotransEurope
(1) Projets initiés par Frank Davidson (liste incomplète !) : tunnel sous la Manche dans les années 50 et 60, transmission de courant électrique par micro-ondes depuis des satellites à destination de pays pauvres et isolés, trains se propulsant dans des tunnels sous vide avec sustentation magnétique à des vitesses fantastiques, structures financières et techniques pouvant intervenir rapidement dans le monde en cas de catastrophes naturelles, guerres ou épidémies, port artificiel, aéroport, zone franche et polders à créer en face de Gaza en Palestine …
(2) Je n’ai pas participé à cette randonnée, car, en chutant de vélo lors de la sortie exploratoire, je m’étais fait une fracture du bassin qui m’immobilisa plus de deux mois.
(3) Il est possible que, comme il me l'a dit ultérieurement, Abel Guggenheim ait joué un rôle à ce sujet, mais à ma connaissance, nul document administratif n'a formalisé cette responsabilité de fait.
07:00 Publié dans Personnalités | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cyclotranseurope
Commentaires
C'est par votre blog que j'ai appris la mort de Frank que j'aimais beaucoup et avec lequel nous avons partagé quelques merveilleux moments à parler toujours de grands projets. En ce jour de Toussaint, ça me fait triste au coeur.
Écrit par : mary44 | samedi, 01 novembre 2014
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