Assises de la mobilité : Que doit contenir la Loi ? J. Demade

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Déterminer sa logique en fonction des distances à parcourir
Julien Demade

Réfléchir à la mobilité, dans l’ambition de mieux adapter les politiques menées à son égard, c’est nécessairement d’abord s’intéresser aux distances que permet de parcourir chaque déplacement, puisque la première définition d’un déplacement est bien de surmonter une distance.
En France, 98 % des déplacements relèvent de ce que l’on appelle la mobilité « locale » (qui intègre tous les déplacements inférieurs à 80km). Parmi ces déplacements locaux (qui peuvent donc quand même couvrir de belles distances), l’essentiel se fait à petite distance ; en effet, 35 % ne dépassent pas 2km, et 60 % font moins de 5km.

Pourquoi cette observation est-elle cruciale ? Parce que 5 km, c’est 20 minutes à vélo. C’est donc en France une part considérable des déplacements qui pourrait être basculée vers la marche et le vélo, si du moins ces modes n’étaient pas, comme c’est encore généralement le cas aujourd’hui, chassés de la voirie par un aménagement tourné vers les seules voitures – ces voitures qui pourtant en agglomération sont utilisées à 40 % pour ne faire que des trajets pas supérieurs à 3km (soit l’équivalent de 10mn à vélo).

Mais, dira-t-on, tout le monde n’est pas capable de faire du vélo ! Tout le monde peut-être pas, mais enfin certainement au moins déjà les 27 millions de vélos français ont-ils un ou une propriétaire bien capables de les utiliser, ce qui fait une belle base de départ (le parc automobile français n’est pas beaucoup plus développé).

Un tel report de la voiture vers la marche et le vélo n’entraînera pas seulement de considérables gains en matière de pollution, et donc de considérables économies en termes de coûts sanitaires (rappelons que par exemple la pollution aux particules fines provoque à elle seule chaque année en France la perte de 500.000 années de vie). Il y va aussi bien d’une exigence d’équité sociale.
En effet, à rebours de la présentation usuelle des mesures pro-vélo comme des politiques pro-bobos, plus les ménages sont pauvres, plus la part dans leur mobilité des déplacements inférieurs à 5km (et donc assurables à vélo) est importante, et plus également la marche et le vélo représentent une proportion notable de leurs déplacements.

Pour le quart le plus pauvre de la population française, c’est ainsi jusqu’à 67 % des déplacements qui font moins de 5km (contre 53 % seulement chez le quart le plus aisé), et les modes actifs représentent 37 % de leurs déplacements, contre seulement 20 % chez les plus aisés.

Réaménager la voirie au profit de la marche et du vélo, et donc nécessairement au détriment des voitures, est ainsi non seulement une politique économiquement rationnelle mais aussi une politique socialement juste.

La première exigence d’une loi sur la mobilité, c’est donc de déterminer sa logique en fonction des distances qui caractérisent le plus grand nombre de déplacements : en fonction donc, aussi bien, des formes de mobilité qui sont le mieux adaptées à ces distances.

Mais on ne saurait s’arrêter là : parce que, toutes choses égales par ailleurs, plus un déplacement se fait sur une distance restreinte plus il est économe en temps, en énergie et en argent, parce que donc plus un déplacement est court plus il est efficace, ce sont les déplacements à distance mesurée, et les modes, actifs, qui leur sont le mieux adaptés, que se doit de privilégier toute loi sur la mobilité.

Julien Demade
Chercheur au CNRS
A notamment publié :

  • Les embarras de Paris ou l’illusion technicise de la politique parisienne des déplacements. L’Harmattan, 2015.

Nombreux articles, notamment :

Dans la série Que doit contenir la LOM ?
Introduction 27 octobre 2017
F. Héran 30 octobre 2017 Instaurer des plans de traitement des coupures
B. Beroud 31 octobre 2017 Affirmer la nocivité de l’automobile et en tirer les conséquences
J. Demade 2 novembre 2017 Déterminer sa logique en fonction des distances à parcourir
A. Guggenheim 3 novembre 2017 Les trois premiers articles de la Loi !
J.L. Saladin 6 novembre 2017 Appliquer aux transports le principe de subsidiarité
Is. Lesens 7 novembre 2017 S’assurer de l’adéquation des règles et aménagements aux besoins des cyclistes
F. Papon 9 novembre 2017 2 principes et 6 mesures pour préserver la santé publique, le développement durable et la cohésion sociale
F. Luciano 10 novembre 2017 Hiérarchiser les modes en fonction de leurs impacts et orienter les usages par le biais des taxes
Conclusions 12 novembre 2017

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6 années

Clair, net et concis.
Merci à Julien Demade.

Dalva
6 années

20 minutes pour faire 5km ? ça me semble peu. Certes je ne me chronomètre pas et mon compteur est cassé depuis longtemps ! Vive le vélo à Paris, c’est la liberté.

BikePower
6 années

Oui Dalva, 15km/h en ville c’est tout à fait à la portée d’un.e cycliste moyen.ne, en respectant le code de la route s’entend !

BikePower
6 années

Excellente démonstration de la part de Julien Demade, comme d’habitude !
Je me permets d’ajouter deux arguments supplémentaires en faveur d’une loi favorisant les modes actifs, et non des moindres : l’urgence climatique, dont il s’agit justement de prendre toute la mesure du terme « urgence », et un avenir proche où l’énergie quasi gratuite du pétrole va progressivement se transformer en une douce nostalgie !
Cette loi doit absolument intégrer ces deux dimensions.

Dambrine Michèle
6 années

Oui à tout cela !!! mais aussi ne pas oublier le réel plaisir d’aller à vélo à son travail, à l’école, voir ses amis, à des spectacles, faire ses courses ! et il y a des moyens pour faciliter tous ces déplacements ! Surtout ne pas oublier de mettre en avant (pour ceux qui hésitent encore à sortir leurs vélos et ne « savent pas ») ce moment de joie et de partage qu’est notre petite tranche horaire sur notre vélo !! Bon vélo à tous!

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