Reflets de Pierre dans le Miroir est un recueil d’articles parlant de cyclotourisme parus dans Miroir du Cyclisme entre 1962 et 1971 sous la plume de Pierre Roques. C’est un intéressant reflet de ce qu’était la vie de cyclo-touriste dans ces années-là ainsi qu’une réflexion sur ce qui différencie le cyclotourisme du sport, et le vélo du cyclomoteur.
Voici un livre émouvant pour les connaisseurs de la légende du cyclotourisme à la française. Pierre Roques fut une des grandes figures du cyclotourisme vécu comme une quasi-chapelle, en tous cas une énorme passion, dont le fondateur et premier apôtre fut Velocio.
Ces Reflets de Pierre dans le Miroir sont en effet des reflets du passé de Pierre (dans le miroir du rétroviseur), décédé en janvier 2018, édité avec grand soin par Gilbert Jaccon. Etalés sur une dizaine d’années leur choix reflète bien l’esprit de la FFCT à l’époque des trente glorieuses et aide à comprendre ce qu’elle est devenue.
Et tout d’abord la tension récurrente, voire permanente, entre sport (classements, primes, argent …) et cyclotourisme, que Pierre Roques explique bien, mais aussi l’incompréhension grandissante de la nature-même du plaisir de rouler, de fournir un effort, de vivre dans la nature.
Vélo, vélomoteur, sport, tourisme, promeneurs …
Le « vélomoteur » est déjà en lice dans les années 60 et Pierre Roques préfère l’appeler cyclomoteur. Il l’assimile plus à une automobile qu’à un vélo, et rapproche le vélo de la marche. Ces deux derniers passent partout sans effort excessif à condition d’y aller sagement, montre-t-il, tout en célébrant à de nombreuses reprises des grands rendez-vous du cyclotourisme tels que les Brevets alpins ou les Bayonne-Luchon.
Il insiste d’ailleurs sur la proximité du cyclotourisme avec le sport cycliste, les deux ayant à ses yeux la même valeur de puissance et de courage, avec des méthodes de pédalage différentes. Ecrivant dans une revue sportive, il se fait l’apôtre de la pratique non-sportive.
S’il est parfois sur la défensive pour le cyclotourisme, l’auteur souligne que marche ou cyclisme relèvent de l’amour de l’effort physique, qui lui-même décuple les forces du pratiquant. Le mot Sport ne vient-il pas de l’ancien Desport signifiant Plaisir ? Il tente régulièrement d’expliquer en quoi réside le plaisir du vélo, et y arrive par bribes. Le cycliste « éprouve des sensations vives et marquantes que le touriste passif dont l’inertie engourdit (…) les facultés d’attention» ne peut qu’ignorer.
Je n’ai pas ressenti Pierre Roques (que je n’ai pas connu) comme fier ou méprisant, mais je comprends fort bien la distinction qu’il opère entre promeneurs à vélo et cyclotouristes. Par ailleurs il évoque peu le voyage (qu’il qualifie lui aussi d’itinérant) mais lui donne tout de même (une fois) du « forme supérieure et achevée du cyclotourisme », pensant bien sûr plutôt aux grands brevets qu’à nos pratiques, arrivées plus tard, d’itinéraires aménagés et balisés.
Un charme un peu suranné mais pas toujours dépassé
Le livre a le charme amical et suranné d’un livre qui évoquerait « nos belles années » pour la génération née avant guerre (Pierre était né en 1932 à Blajan, à une soixantaine de km à l’est de Tarbes). C’est un charme qui s’estompe, tant les pratiques ont évolué, dans le cadre de la FFCT comme ailleurs. Nous avons affaire ici avec une pratique sans casque ni maillot, en chemisette et short, et entre hommes. Il suffit pour le voir de relever les expressions « ces garçons » (les cyclo-campeurs), « le mâle visage du randonneur » (aux prises avec un grand col), « ce garçon à vélo » (pourra-t-il payer l’hôtel, se demande le patron), un garçon qui, un jeune gars qui (s’attaque au Tourmalet), le jeune homme (qui part en vacances) …
Il n’y a guère de femmes dans ce monde-là, il n’y en avait pas plus lorsque je l’ai connu dans les années 80. Il y a tout juste « comme cela arrive de temps à autres, quelques dames ou demoiselles aux allures dégagées », le vélo étant le dénominateur commun du « rude mâle solitaire » et de « la plus aimable demoiselle assistée d’une cour de prétendants ». On rencontre parfois des « dames et demoiselles en rupture de talons hauts » et des « globe-trotters, barbus et un tantinet crasseux, chevauchant de lourdes haridelles sans dérailleur qui leur servent de canne à la moindre côte. » … Evidemment1 Et pourtant, si ce que l’on me dit est exact, Pierre considérait que son épouse était bien meilleure cyclote que lui. … La jeune génération se rend-elle compte que c’était vraiment comme ça ? Le problème c’est quand ça l’est encore, mais Pierre Roques n’est ici que le reflet de son époque.
Un ouvrage instructif
Voici donc un ouvrage à recommander à tous ceux qui s’interrogent sur ces drôles de pressés du dimanche matin, avec leurs ravitos et leurs trophées, leurs chaussures à cales, leurs casques et leurs caleçons moulants, et surtout sur ces énormes « semaines fédérales » d’été à la période la plus caniculaire, Paris-Brest-Paris, BRM, BRA, club des cent cols, confrérie des 650, confrérie des randonneurs cyclotouristes sans frontières … ou enfin simplement sur ce monde à part dans le monde du vélo. Quant à ceux de la Fédé, je pense qu’ils seront sensibles au fait que Mireille, fille de Pierre, ait souhaité m’offrir ce livre. Je suis sûre que ses lecteurs aimeront se replonger dans ces grandes heures du cyclotourisme vécu comme une grande famille, et apprécieront d’en comprendre quelques arcanes.
Reflets de Pierre dans le Miroir
Recueil de textes de Pierre Roques, choisis et illustrés par Micheline Roques et Mireille Costes.
En vente auprès de Gilbert Jaccon, éditeur,
au prix de 20€ + port (4€ pour la France).
Une belle analyse de ce livre en effet indispensable pour toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à l’évolution du cyclotourisme et qui apprécient la belle écriture et la photographie de qualité.
Avec l’accord des différentes parties, il est désormais possible de télécharger les textes de cet ouvrage sur la page de Biblio-Cycles.
Cette possibilité est également offerte pour les autres textes, tout aussi importants, de Pierre en suivant le lien. Rien ne remplaçant la lecture d’un livre… évidemment !
Sur « les femmes » on me fait remarquer que la position de Pierre Roques n’était pas du tout celle que j’ai perçue dans ce recueil. Au contraire « son épouse l’accompagnait dans toutes ses randonnées même les plus sportives et dans les nombreux voyages itinérants qu’il organisait pratiquement tous les ans, en France et à l’étranger. »
Quand on lit Pierre dans ses autres livres, Micheline y occupe une place très importante (voir la Mouette !) me signale l’éditeur. « Mais dans ces Reflets, Godefroy n’avait pas encore rencontré « sa Micheline”… Et il est vrai qu’à l’époque les “cyclotes” étaient rares, mais toujours dotées d’une très forte personnalité (voir Régina Gambier et autres vedettes d’avant la guerre !). Vous avez sans doute aussi remarqué que Micheline est très présente dans les photos qui illustrent ce livre ! J’ai inséré volontairement tous les clichés d’elle que Mireille m’avait envoyés » et ça je l’avais en effet remarqué !
Je suis le petit-fils de Pierre et je suis tombé sur cet article au gré de mes recherches Googlesques. Je vous remercie d’ailleurs de l’avoir publié.
Quand il écrivait dans Le Miroir, mon grand-père était déjà marié à « sa » Micheline (ils se sont mariés aux alentours de 1953 si mes souvenirs sont bons). Elle ne l’a par contre suivi que progressivement.
Elle m’avait d’ailleurs raconté que c’était assez mal vu à l’époque que l’institutrice du village s’en aille vadrouiller en vélo vêtue d’un short !
Merci à vous ! Votre témoignage me conforte dans ma perception, et me donne raison de ne pas avoir modifié mon texte, sauf l’ajout d’une note, malgré l’amicale pression de l’éditeur ! Comme je l’explique, c’était comme ça à l’époque.
J’étais abonné au Miroir du cyclisme et ardent lecteur de la rubrique de Pierre Roques, dont je suis un peu triste d’apprendre le décès, avec quatre ans de retard, comme j’avais été triste de la fin abrupte de sa rubrique dans le magazine… En 1973, avec un bon « vieux » vélo « routier », banlieusard ne connaissant que les côtes de la vallée de Chevreuse, j’ai excursionné dans les Pyrénées, fort des conseils qu’il avait livré dans le Miroir. Petits développements, gardes-boue, pneus demi-ballon, sacoche au guidon, appareil photo, short et maillot sans pub, et en souvenir la photo de mon biclou devant la borne en haut du Tourmalet. Fierté quand même. de mes vingt trois ans, hors de toute compétition si ce n’est qu’avec soi-même. Alors bien sûr en ces temps pourris de sport-fric et chauvin, relire les pages de « Godefroy », c’est prendre un bain de jouvence. Merci de les avoir signalées.