Vélo à Rouen : le pli est pris, l’avenir est ouvert !

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Lors de ma venue à Rouen, le 23 mai 2025, à l’invitation de l’association Sabine, j’ai découvert une ville où le vélo n’est plus un inconnu. Les élus parlent Plan vélo (ils m’invitaient pour en parler) et déjà on s’aperçoit que beaucoup a été fait. Mieux encore, ils l’ont fait sans se faire lyncher par les automobilistes. Cela se traduit notamment par de longues pistes cyclables en double-sens, que la Métropole rêve être des REV (mais non, il y a des critères pour ça), des pistes sur les ponts du centre et sur le boulevard de rocade de la rive-droite comme de la rive gauche… La rue Jeanne-d’Arc, dont je comptais dire qu’elle était un crime tant elle coupe le centre-ville historique en deux, elle-même est prise en mains avec prudence afin que soient raboutés les morceaux, et que l’on joigne facilement la gare rive-droite à la future gare rive-gauche. J’ai également été émerveillée par le nombre de rues et places devenues piétonnes dans la ville ancienne, ce qui donne beaucoup de douceur.

L’ancienne ville da Rouen, autrefois (il y a cinquante ans) détestée par ses habitants, engloutie dans sa brume, coincée entre Paris et Le Havre, dévote en café-calva 45°, prisonnière de sa bourgeoisie surannée, ne grimpe toujours pas sur ses collines mais se transforme en une ville ouverte aux vents du large.
Tout cela ne donne plus qu’une envie… que cela s’accélère, alors-même que je sais bien que tenter de bruler les étapes ne donne jamais rien de solide.

Ceci dit on me demandait d’évoquer une politique du vélo « en grand », ce qui revenait à parler pour l’avenir.

⭐️ J’ai alors d’abord tenté d’indiquer quelques règles que l’on pouvait se fixer

La principale que je vois est 👷‍♀️Que tout point du territoire puisse être atteint raisonnablement à pied ou à vélo.

J’invitais à veiller notamment sur les constructions neuves d’établissements publics, où la tentation du foncier moins cher peut être très pénalisante à l’usage.

Plusieurs raisons d’agir ne donnent pour résultat que du rapiéçage ou de la médiocrité, et des traitements ponctuels. Parmi ces raisons je proposais se débarrasser de la pression d’une association ou réagir à un accident très grave, ou à l’impression de danger rapportée par un questionnaire, alors que réalité et impression sont rarement synonymes.

Une autre erreur est de vouloir répondre aux parents qui croient que « si c’est bon pour les enfants c’est bon pour tout le monde ». C’est presque l’inverse … d’abord les enfants n’ont aucune raison de traverser seuls la ville entière. Deuxièmement il leur faut une sécurité totale, donc contraignante, dont s’affranchissent les cyclistes adultes aguerris. Enfin, ce que nous devons faire pour les enfants, c’est de leur permettre de jouer autour de leur maison ou immeuble.

D’autres motivations d’action existent, le souci de notoriété ou celui de ne pas se voir accusé d’être ringard étant fréquentes. Elles ne donneront pas mieux.

Je ne jure pas que les élus de Rouen aient été tentés par ces motivations, j’en connais ailleurs qui le sont jusqu’au rabâchage, je donnais juste des réflexions basées sur mon expérience. Je concluais donc que, selon moi, à Rouen, aujourd’hui, le seul objectif valable doit être de permettre à chaque citoyen de se passer d’automobile

Je ne parlais pas de « atteindre 12% de part modale dans le centre-ville et 5% à l’échelle de la Métropole d’ici 2035″ (Rouen Métropole) et pourtant des objectifs chiffrés sont aussi recevables, quoique moins ambitieux ou motivants, ils ont la vertu d’obliger à veiller à ce qu’on fait. Et pour les moyens, relier les différentes parties de l’agglomération et-ou desservir les principaux pôles ce qui manque d’originalité mais peut servir de fil conducteur. Je crois volontiers en la vertu dynamisante des mots.

Plusieurs types de cyclistes ne justifient pas de les écarter du chemin en leur demandant même de se faire piéton. Une erreur de conception qui n’aurait pas pu avoir lieu si on l’avait testée, en public et avant sa mise en service.

Cartographier pour objectiver

Evidemment il y a beaucoup à faire, aussi suggérais-je de commencer par y voir clair grâce à la cartographie. C’est le boulot en général des agences d’urbanisme, et ce boulot n’est pas fait partout. Où sont ces fameux pôles, où sont les axes structurants, et où est tout ce qui reste, qui devrait devenir des quartiers non traversables en automobile. Ces cartes élaborées en équipe et partagées avec tous permettent de parler la même langue avec tout le monde.

Je donnais pour exemple une école au Mesnil-Esnard, sur le haut d’un coteau, et l’adresse proche du centre-ville de Rouen de l’ancienne professeure que j’y avais été. Je pouvais m’y rendre en autobus, ce qui me faisait arriver un quart-d’heure en avance. J’y suis donc allée en 2CV. Mais à y regarder de plus près, la distance n’est que de 7 km. Une piste dans chaque sens, un ascenseur public comme au Havre, des escaliers mécaniques couverts et entretenus comme à Issy-les-Moulineaux … ou la découverte d’un chemin en pente douce comme à Poitiers … auraient permis de relier cette commune aux autres, et même peut-être m’éviter l’achat d’un vélo-solex. Naturellement le raisonnement s’applique aussi à l’université sise très loin sur plateau de Mont-Saint-Aignan, comme à toutes les communes des collines ou de la boucle de la Seine.

J’ai aussi fait quelques recommandations pratiques, que je résume ici: 

🤔 Il FAUT aller voir ce qui se passe ailleurs, et il faut l’oublier aussitôt. Le but des voyages d’étude n’est pas de plagier mais de se nourrir. On observe, on teste par soi-même, on tente de comprendre, et tout va aller se cacher dans un repli du cerveau. En cas de besoin cela ressortira, le besoin appelant le remède. Aucune ville, aucun lieu, n’est jamais semblable à un autre, et chaque lieu a son histoire d’avant ce que nous voyons. Vous n’alliez copier qu’en ignorant contexte et détails, sans même savoir qu’il en est à sa troisième ou quatrième version. On ne peut bruler les étapes. Ne copiez pas non plus Paris … qui elle-même copie mal ce que ses élus ou responsables ont aperçu ailleurs et dont ils ignorent les motivations. Il ne faut jamais copier sur le voisin. Je me disais aussi que si je devais recruter un ingénieur j’exclurais les candidats n’ayant pas fait plusieurs voyages d’étude (et çà je ne l’ai pas dit car le temps tournait)..

🔔 Elus et citoyens ne devraient jamais penser en termes de moyens (une piste, un chaucidou, un feu, un mot à la mode …) mais en termes de problème à résoudre ou d’objectifs. Les moyens c’est de la compétence des techniciens, vous vous êtes le client qui dicte les objectifs. Un moyen pris comme objectif n’a même aucun sens. « Faire 40 ou 125 km de pistes cyclables » : même si elles ne sont pas utiles, pas prioritaires, pas raccordées ? Même si des solutions légères seraient bien mieux ? Au menuisier vous ne commandez pas un nombre de vis ou de cales mais un meuble !

👨🏽‍🦼🚶‍➡️🚲 Veillez à la polyvalence de vos aménagements, rentabilisez-les, pensez à ceux qui vont les utiliser. Vous voulez desservir un collège, mais il y a la forêt plus loin, et aussi l’hyper-marché. Les façons de traverser ne seront pas les mêmes, par exemple. J’ai parlé d’un couloir, en Ile-de-France, pensé pour les cyclo-sportifs le long d’une voie d’accès, qui s’est retrouvé utilisé par les grand-pères équipés de déambulateurs… il fallait donc faire autre chose qu’une belle bande cyclable. Employés, sportifs, enseignants, étudiants, parents, grand-parents, médecins, menuisiers, flâneurs et bien sûr livreurs et commerçants … tous ont besoin d’axes confortables, et par chance ils n’ont pas les mêmes horaires. Monter à la fac de Rouen c’est aussi aller à Mont-Saint-Aignan ou prendre le chemin de la forêt Verte et de Ry, ou même de la ville de Tôte.

🧨 Résorbez les coupures et assurez les continuités. Le plus difficile à faire c’est les carrefours. Un « carrefour dangereux » ne doit pas le rester, il est une rupture sans remède pour les gens en fauteuil, les cyclistes débutants et les enfants filant loin de leurs parents. Un détours en longeant un boulevard ne sera jamais attractif, il ne sera jamais que du dépannage. En ville trouvez des raccourcis agréables, exploitez tout ! J’ai évoqué (ou oublié de le faire) les parcs et les grands terrains… qui pourraient être dotés d’une allée cycliste sur leur bord…

👷‍♀️ Je préconisais ensuite que les chantiers ne soient pas déclarés terminés tant qu’ils n’avaient pas été testés en public par leur concepteur. Cela éviterait bien des détails épineux, d’autant qu’on en prend pour 20 ans. Ce serait aussi très formateur. Notez que pour la conception il en va de même, on n’est jamais certain que « ça passe » si on n’est pas passé soi-même. La méthode du test pour décider de la solution, je l’ai utilisée plusieurs fois. C’est très efficace …

🏅 Enfin je disais qu’il fallait aussi construire des REV, ce que je décrivais par Faire du beau, large et grand, sans carrefours et aux dénivelés pris très loin, des routes à vélo qui relient les communes les plus peuplées, rendent le déplacement facile, et vont même jusqu’à donner envie de vélo et rendre fier d’être rouennais … Mais là, amis rouennais ne le prenez pas mal, je brulais quelques étapes. Grenoble a commencé, comme Strasbourg, dans les années 80. Il n’est point besoin de se jouer de mots. Sinon, quel mot vous restera lorsque vous ferez des vrais Réseaux Express Vélo ?

⭐️ ⭐️ ⭐️⭐️

Pour conclure je prenais conscience lors de cette soirée que la délégation de la voirie à une instance supérieure, Métropole, Communauté ou autre, avait quelques inconvénients. Par exemple de démobiliser les élus de terrain et les fonctionnaires, qui n’ont plus de prise sur rien, ou que la vision d’ensemble, utile, en vienne à occulter la vision du détail, indispensable aussi. Car aménager « pour le vélo » ne peut se faire bien qu’en ayant une vision d’urbaniste, de globalité, de beauté et d’histoire de la ville, et du détail rendant possible l’accueil de tous, y compris des fantômes du passé. Cela doit se faire en veillant sur chaque commerçant, chaque résident, même automobiliste, chaque sortie de résidence, chaque façade, chaque carrefour … Je prenais conscience aussi que j’avais fait une réponse générale à la question de la stratégie, et pas répondu aux questions rouennaises, pour lesquelles une promenade et quelques documents ne me donnaient aucune légitimité.

La suite de la soirée revient à Cyrille Moreau, Conseiller municipal de Rouen, présent ce soir en tant que 4ème Vice-président de la Métropole en charge des transports, des mobilités d’avenir et des modes actifs de déplacement, et aux animateurs de l’association Sabine. Au passage j’ai vu que Rouen avait beaucoup évolué depuis mes années d’avant 1980, et qu’elle avait désormais des partenaires solides. Tout devient possible à qui agit avec méthode, et vision.

On m’écoute avec attention !

Remerciements particuliers à Antoine Channarond pour la visite et les photographies.

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