Y aller franchement, tout en étant organisé et réaliste, voilà ce que doivent faire autorités et professionnels, si j’en crois les conclusions de la journée du 15 décembre dernier où les professionnels du transport étaient les invités de Alain Vidalies. Le « numérique » est loin d’être la panacée, l’objectif premier c’est de s’affranchir du pétrole. Une vision ferme, à moyen et long terme, et plus de respect ne nuiraient pas, ont-ils ajouté. Les Transports sont au coeur de la transition énergétique, ont proclamé les invités en l’absence de la ministre mais en présence d’un secrétaire d’Etat bien en phase. Il est toujours bon de s’accorder sur l’essentiel.
A décisions claires et réalistes, marché adaptable
Créer des zones à basse émission dans plusieurs villes d’un coup, et l’annoncer pour une date pas plus lointaine que le nécessaire, obligerait le marché des véhicules propres à se créer et à trouver des solutions économiques acceptables. En revanche, si vous ne mettez aucune limite dans le temps, le marché ne se créera jamais.
Pour Patrick Oliva, directeur chez Michelin[1. Patrick Oliva : directeur chez Michelin des relations extérieures et de la mobilité durable. Voir aussi l’article MOVIN’ON, sommet de la mobilité durable par Michelin, signalé par le « scoop it » du Centre Ressource Régional en Ecomobilité du Nord.], c’est un enjeu majeur décrit dans son rapport « Transports décarbonés, une dynamique de transformation – feuille de route mondiale pour un transport au service d’une économie « zéro émission nette », présenté lors de COP22.
Et cela passe par l’arrivée de l’électricité bas carbone et par le fait de rendre propre l’hydrogène, créer des carburants de synthèse et diversifier les origines. La mutation électrique accélérée est indispensable, insiste-t-il.
« Emission nette » ne signifie pas ne rien émettre, ça veut dire que l’on va émettre le moins possible et compenser pour le reste. Pour M. Oliva, rien ne va sans réalisme sociétal et économique. Rien ne va non plus si on fait tout seul, c’est donc dans ce sens qu’il propose un cadre commun de réflexion.
Le 15 décembre dernier Alain Vidalies avait réunit les dirigeants du monde du transport, ainsi que quelques journalistes, à réfléchir sur le thème de « Mobilités et transitions ». Patrick Oliva parlait l’après-midi, mais son propos était si fort que je commence par lui. Nul doute d’ailleurs que le ministère n’avait pas envisagé le tour qu’a pris la journée.
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Un cadre commun de réflexion
M. Oliva propose 8 priorités :
(1) Transformation coordonnée de l’urbanisme. Par exemple le Département des Landes pourrait avoir des cultures à basse émission dans 3 ans.
(2) Transition énergétique forte, par l’intelligence de l’approvisionnement.
(3) Défragmentation des circuits de fret. En contre exemple Michelin, qui travaille de façon très fragmentée, dans le monde entier. Pour M. Oliva il faut raccourcir les distances d’approvisionnement.
(4) Alternatives aux déplacements inutiles.
(5) Valoriser la décentralisation. On peut à nouveau penser au monde rural, dont le fonctionnement n’est plus que pseudo-rural, les limites entre urbain et rural se font ténues.
(6) S’adapter aux changements climatiques. Les infrastructures ne résisteront pas au changement en cours.
(7) Créer et utiliser les instruments économiques qui accéléreront les innovations. Par exemple pour le transport il faut trouver un instrument plus efficace que la taxe carbone.
(8) Permettre au monde des affaires d’investir sur le long terme, en lui limitant les risques. Jouer par exemple sur la réduction des temps d’amortissement.
Le mépris de l’Etat pour les Transports
Si la loi NOTRE a heureusement donné aux régions la compétence sur les transports, les routes continuent de dépendre des départements, regrette notamment Michel Neugnot, de l’association des Régions de France, qui suggère la création d’un secrétariat d’Etat à la mobilité plutôt qu’aux transports, et même le rétablissement d’un ministère sur ce sujet.
Pour l’heure il a surtout été noté que du nom du Ministère de l’Environnement le mot Transports avait même disparu, alors même que son rôle dans les questions climatiques est essentiel, et qu’aucun candidat à la Présidentielle ne parlait de transports (Depuis cette rencontre, seul M. Jadot en a parlé.).
Pragmatisme et … volonté claire sont conjointement indispensables
Les décisions doivent être au service des citoyens, insiste Louis Nègre, sénateur.
Sous cet angle les services de covoiturage pourraient parfaitement bénéficier du versement transports. Geneviève Laferrère, qui s’exprime au nom de France Nature Environnement, va dans le même sens en montrant la nécessité d’une réglementation pour les nouveaux services. Elle donne l’exemple des étudiants qui organisent le retour des copains après les soirées, alors qu’aucun opérateur ne veut le faire. S’ils se font rétribuer, même symboliquement, ils relèvent de l’enrichissement personnel hors cadre légal…
Les Pouvoirs publics doivent fixer des objectifs, rencontrer le marché pour innover au bon moment, décider des étapes, et appliquer, selon Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris pour l’urbanisme. Il se félicite des décisions claires et nettes sur les véhicules qu’a pris la Ville de Paris, et ce malgré les pleurnicheries de leurs représentants présents dans la salle. On peut parler, on peut vous aider à vous adapter, mais vous devez arrêter de nous enfumer, a-t-il dit en quelque sorte.
Le numérique ne change pas les modes de transport, il en change l’usage
Loin de l’engouement facile pour les nouvelles technologies ou l’électrique, Michel Savy (professeur émérite à l’université de Paris-est) montre que l’avènement du numérique ne change rien aux modes de transport, mais en permet les combinaisons.
Ainsi le numérique peut permettre d’abandonner les navettes vides pour des transports à la demande, soulignera Louis Nègre.
Florence Parly (directrice de SNCF voyageurs) s’intéresse aux usages, conformément à l’appellation « usager » qui est un peu usagée, comme elle dit. Ce sont les usagers qui font changer les transports, et ça va très vite.
Il y a 10 ans covoiturage et vélo étaient anecdotiques, aujourd’hui 25 à 30% des voyageurs enchaînent les modes ou pratiquent le covoiturage. On peut désormais organiser des déplacements complets par enchaînement de plusieurs modes, y compris marche et vélo, constatait M. Savy.
Cependant, et en digne représentante de la SNCF, Mme Parly défend l’articulation entre transport de masse et de longue distance, et ce qu’elle appelle le « capilaire », ou maillage. Cela va du train, qui transporte 1500 personnes par train, à l’avion (150 personnes) ou le bus (50). En fin de chaîne il y a même le véhicule autonome (et marche et vélo, dois-je ajouter).
Elle insiste là-dessus car elle tient à ce que la SNCF reste assez grosse pour entretenir ses infrastructures, ce qui est une impasse, selon Michel Neugnot[1. Michel Neugnot : président de la commission transports de Régions de France.]. Les vieilles entreprises disparaissent, beaucoup de nouvelles apparaissent, commente M. Savy.
Chez Flexibus on constate que 30 à 40% des clients ne se seraient pas déplacé sans eux, et qu’une partie encore importante de leurs clients vient du covoiturage (lequel est mal organisé, pour le quotidien au moins, selon le représentant de la fédération des plans de mobilité).
Ceci est d’ailleurs conforme aux résultats de l’enquête de l’Arafer dévoilée le 6 janvier 2017 par le magazine Mobilicités : « une clientèle aux revenus modeste, une offre au détriment de la voiture (individuelle et covoiturage, pour 44% des clients), l’autocar préféré au train en raison des prix. (…) 17% des utilisateurs des autocars Macron n’auraient pas voyagé en l’absence de ce nouveau service. » Mais l’enquête montre aussi que « 37% des personnes interrogées se sont détournées du train, dont 24% du TGV » nous dit encore le magazine en ligne.
L’offre créé la demande, rappelle Florence Parly. Ainsi la simplification des forfaits a induit du volume de transport, se réjouit-elle, au grand dam de Valérie Pécresse (un autre jour), présidente de la région d’Ile-de-France, qui sait qu’il faut le financer !
Attention quand même. Pour Jean-Luis Missika le numérique a pour contre-partie la déstabilisation sociale des professions du transport, ou la catastrophe. Par exemple, si le véhicule autonome devait devenir privé ce serait vite le cauchemar, car aux heures de pointe les kilomètres parcourus seraient multipliés par deux.
Au total …
la régulation est nécessaire. Dire « l’électrique, l’électrique » n’aurait pas suffit. L’innovation ne remplace pas le report modal, ni l’implication des Pouvoirs publics. L’Etat doit fixer les objectifs, les règles et les dates, et s’y tenir. Il doit avoir la décarbonisation comme critère premier. Dites-le aux candidats.
— Note —
Jusqu’ici, dans la campagne des Présidentielles, je n’ai entendu que Yannick Jadot parler de décarbonisation, et même de transports. Très peu d’entre vous ont d’ailleurs osé lire l’article où j’en rendais compte, comme je m’y attendais : personne n’a envie de connaître les mauvaises nouvelles.
Lire éventuellement aussi l’article d’Actu-environnement du 17 janvier : L’écologie pointe son nez dans les primaires de la gauche, où ça reste très prudent sur le diesel et la fin du carbone.
Lire aussi Climat, la bombe méthane est sur le point d’exploser, dans E-RSE : 1 g de méthane (…) contribue à réchauffer le climat 28 fois plus fortement (que le CO2) ! (…) des quantités gigantesques de méthane (…) pourraient bientôt être relâchées dans l’atmosphère à cause de la montée des températures…
Ce n’est pas directement du transport, mais c’est la rubrique « Ces nouvelles que nous ne voulons pas voir. »
Mais l’article d’à côté, lui, parle bien de transports : Et si la pollution de l’air nous rendait progressivement fous ?, sujet déjà abordé dans la revue de presse du 14 janvier. …
Pour compléter, conférence de Jean-Marc Jancovici sur les transports (env. 1h30; lien dans ma signature): Oublier les agrocarburants et la voiture électrique, qu’elle fonctionne à batterie ou à hydrogène. La « voiture électrique » du futur? Le vélo.
Il ne faut oublier la qualité de l’air déplorable dans la plupart des villes et métropoles de France (à l’exception des villes en bord de mer) à cause d’une mobilité type quasiment « tout bagnole » et le chauffage individuel au bois.
Pour illustrer cela, j’habite Lille et chaque hiver d’octobre à mars se succèdent des périodes de pollution de 20 à plus de 30 jours où les recommandations OMS (20 ug/m3 pour les PM10 et 10ug/m3 pour les PM2.5) sont très largement dépassées. Aux Pays-Bas il est impératif de conjuguer les plans de déplacements urbains et les plans d’amélioration de la qualité de l’air.
Et on sait que le vélo et la marche sont bons pour l’air, bons pour le climat et bons pour la santé humaine. Aux Pays-Bas le vélo est considéré comme une arme essentielle de la bonne forme et, en particulier, de la lutte anti-obésité.
On se félicite de l’interdiction basée sur un critère d’âge du véhicule, alors qu’aucune étude n’a permis de prouver l’efficacité de cette mesure, dont, six mois après sa mise en place, les récents pics de pollution permettent de supposer l’inefficacité : soit parce que la pollution aurait une autre origine que l’automobile[1], soit parce que les véhicules anciens représentent une part négligeable du parc[2].
Je rejoins le commentaire ci-dessus qui dit que la voiture du futur devrait être le vélo, tout du moins en milieu urbain. Mais au lieu de cela, il semblerait que certaines politiques aient moins pour objectif le report modal qu’un renouvellement du parc automobile, bien lucratif pour les constructeurs. Bref, ce n’est pas ça qui va faire avancer la cause du vélo, et plus globalement celle des villes apaisées, agréables et durables.
[1] Argument de type « 40 millions d’automobilistes » auquel je ne crois gère.
[2] Beaucoup plus vraisemblable et réaliste que l’argument précédent.