Mis à jour le 6 mars vers 8h30.
Les élus parisiens vont-ils demander des explications sur l’avenant au contrat de vélos en libre-service qui vient d’être signé dans leur dos ? C’est en tous cas ce dont ils ont eu à débattre en conseils d’arrondissement.
Lundi et mardi 23 et 24 février les élus des arrondissements de Paris avaient à donner leur avis sur un voeu proposé par le groupe Indépendants et progressistes, c’est-à-dire macronistes. Par ce voeu, qui sera débattu au Conseil de Paris la semaine prochaine, le groupe entendait demander à la maire de Paris de communiquer sur la situation financière de Smovengo et obtenir qu’elle en tire matière à perspectives « précises et transparentes sur l’avenir de Vélib’ à Paris ». Manque de chance pour eux l’actualité a été plus rapide puisque l’avenant au contrat, dont on connaissait la demande, avait été signé quelques jours avant le vote du voeu.
Dans le 15ème j’ai été amenée à donner mon avis, en une intervention très courte comme il est de règle. Je n’ai donc pas fait un travail d’historienne, mais tenté à mon tour de rappeler quelques faits et de poser quelques questions. Voici l’essentiel de mon intervention.
Nous nous souvenons que le second marché des vélos en libre-service parisien avait été attribué en 2017 à un groupement ayant pour porte-drapeau une PME montpelliéraine, dont le nom allait servir d’ossature au nom du groupement. La PME elle-même allait bientôt disparaître du paysage parisien, après avoir été omniprésente et seule représentante du groupement le temps de la candidature. Le journal Challenge le racontait bien.
La vérité sur… Smoove, le gagnant du Vélib’2. Challenge, 2 juillet 2017
Ce groupement était le moins-disant devant JCD, mais hélas aussi le moins expérimenté, et cela était très facile à constater, ce que pourtant personne à l’époque n’avait voulu voir.
Quelques uns des marchés de Smoove : 2700 vélos à Moscou, 3430 à Helsinki, 1000 à Astana, 60 à Slough (Royaume-uni), 300 à Marrakech, 290 à Abidjan, et 20 000 à Paris …
D’un coup son chiffre d’affaire passe de 9 à 700 millions !!!
Manque d’expérience
Pourtant une simple exploration sur internet montrait que Smoove avait effectivement des marchés de vélos en libre-service dans le monde entier, mais que ces marchés étaient assez petits, sans commune mesure avec celui de Paris et que, même en France, la fiabilité des dispositifs n’était que rarement au rendez-vous.
Moi-même j’avais rendu compte publiquement de mes essais de location à Clermont-Ferrand et à Lorient. Dans un cas cela ne marchait pas s’il faisait chaud, et l’entraînement par cardan faisait un boucan d’enfer sans être efficace. Dans l’autre j’avais dû m’y reprendre à 3 ou 4 fois pour ouvrir la porte et réussir à obtenir un abonnement pour la journée, et de même pour clore la session.
A Clermont-Ferrand, les VLS ça chauffe
Lorient rend des services au vélo
Vous imaginez ce que pouvait donner le saut de taille et de complexité auquel cette entreprise allait être confrontée. On a vu.
Un sujet politique ou un sujet de politique ?
Je rappelais que si l’appel d’offre n’avait pas été déclaré infructueux c’est bien parce que ce service relève de la politique, et pas de la politique du vélo, et que jamais n’a été examinée sa réelle utilité, ni même énoncés ses objectifs en termes de service ou de stratégie. On peut même se demander si, au-delà des mots, ce service fait bien partie de la stratégie de développement du vélo, ou s’il s’agit seulement d’un argument publicitaire pour la Ville, ainsi que l’avait conçu JCD (un élément de concurrence internationale, comme je l’ai montré dans Les élus agissent pour la gloire… rendu dramatique par l’arrivée des Jeux Olympiques en principe en 2024).
Le scandale du Velib’gate, dans le site de l’Ecole de guerre économique, 12 décembre 2019.
La valse des dirigeants
J’évoquais également le fait que la Ville avait failli tout arrêter en 2018, et que seule l’arrivée d’un nouveau président, redresseur d’affaires, avait permis de temporiser. Il se dit d’ailleurs que le départ de Arnaud Marion, au bout de un an et demi seulement, était dû, non pas au fait qu’il ait réussi sa mission de sauvetage, mais au fait qu’il ne voulait pas que lui soit attribué un désastre qu’il savait inévitable. Notez aussi que sa successeure, madame Mattlinger, en septembre 2019, ne sera restée que moins d’un an (arrivée en même temps qu’un nouveau directeur général, Jacques Greiveldinger, qui est toujours là), jusqu’au recrutement de M. Stephane Volant, qui a pris ses fonctions en juillet 2020 et semble découvrir la situation financière.
Je m’étonnais aussi de lire dans les journaux que le gros du problème viendrait des vélos électriques, alors même qu’ils étaient présentés jusqu’alors comme bien plus rentables que les vélos tout court.
Un débat sur quoi finalement ?
Un débat public sur toutes ces questions ne pourra qu’être instructif, mais les participants risquent quand même d’en apprendre moins à écouter les déclarations de l’entreprise qu’à lire les journaux. J’avais ce soir-là avec moi le Canard enchaîné du 13 janvier, Le Parisien du 17 février et Le Monde du 18 qui parlent des 4 millions d’euros censés « sauver vélib’ ». Les conseillers de Paris risquent de vouloir arranger tant bien que mal des affaires qui ne marcheront jamais, au lieu de se poser les vraies questions : à quoi ça sert, qui s’en sert ? Ne doit-on pas arrêter les vélos électriques, ou en limiter l’usage; ne doit-on pas restructurer l’offre, la transformer, la remplacer, que sais-je encore… Par exemple je connais certains systèmes de location à longue durée qui fonctionnent très bien (l’offre proposée par la Région d’Ile-de-France). Se poser les bonnes questions en tous cas plutôt que de foncer tête baissée, d’autant que l’avenant avait déjà été signé (jeudi 18 février 2021), sans qu’aucun élu n’ait été tenu au courant, ni ceux qui participaient pendant le dernier mandat aux réunions de suivi, ni même les conseillers de Paris ou les maires d’arrondissement.
Ma conclusion était que ne pas approuver ce voeu serait le signe que l’on trouve que tout va bien, ce qui paraissait difficile, et que l’approuver pourrait être le signe d’une vigilance accrue. Les élus de la majorité du 15ème ont donc voté le voeu proposé par La République en Marche.
Les écologistes ont voté Non au motif de l’illégalité de demander publiquement des comptes à une entreprise. Les socialistes ont aussi voté Non, au motif que Vélib’ « est devenu un service public » qui, avec le temps, est « reconnu nécessaire », et que de toutes façons il n’est pas géré par la Ville mais par la Métropole. Les conseillers de Paris en discuteront à l’Hôtel de Ville pendant la session du 9 au 11 mars prochains.
….. Commentaires ………..
Je fus moi-même un temps complice de Smoove et même de Smovengo…
- Paris : Smoove gardera-t-il le marché Velib’2 face au perdant JCDecaux ? Isabelle et le vélo, 2 avril 2017
- Retards de Vélib’ 2 à Paris : Smovengo s’explique. Isabelle et le vélo, 11 mars 2018
Mais en 2018 j’avais viré ma cuti en suggérant déjà qu’il était temps de changer de politique :
- Fiasco du Vélib’, comment relancer le vélo à Paris? Les Echos, 6 août 2018, avec Jean-Claude Degand.
La toile est archi-pleine d’articles sur la question. J’en distingue Save Ze Vélib trouvé en cherchant les mots catastrophe velo smoove. Je n’ai pas réussi à retrouver en revanche le « wiki du velibgate », site collaboratif où étaient décrits les sites équipés et leur fonctionnement, d’où il ressortait que ce n’était vraiment pas difficile de voir que nulle part le fonctionnement n’était satisfaisant.
Pourquoi il est difficile de trouver un Vélib’ qui fonctionne
Et en 2021, le 24 février, le journal Le Parisien fait un sujet dans son podcast Code source, avec de nombreux points d’histoire (44 minutes) et rappelle combien tout ça coûte à la Ville de Paris.
Nouveaux compléments, du 5 mars
Le site Autolib’ Vélib’ Métropole a publié un article présentant le contenu de l’avenant. On y lit en particulier que c’est une utilisation intensive des vélos à assistance électrique par rapport à celle des vélos mécaniques pendant la pandémie qui a provoqué le besoin d’un avenant au contrat. Il est dit que plus de 59 % des kilomètres parcourus en 2020 ont été effectués en électrique alors qu’ils représentent 35% des vélos disponibles. Le syndicat a donc dans un premier temps décidé de prendre acte de cette évolution en augmentant le nombre de vélos à assistance électrique, portant leur proportion à 40 % des vélos mis à disposition.
Dans un second temps la grille tarifaire va être modifiée afin d’augmenter la différence de prix entre les deux types de vélo (certains abonnements les mettent même au même prix, pour des durées différentes) et de limiter leur usage pour les trajets très courts. Sont visés les acrobaties à vélib… et, paraît-il, certaines livraisons de repas, activités qui gèlent des vélos destinés à se déplacer. Un élu membre du syndicat m’a d’ailleurs expliqué que Vélib’ était devenu indispensable dans les stratégies de déplacements multi-modaux des Grand-parisiens. L’avenant lui-même n’est pas rendu public.
Naturellement je n’avais à défendre ni Vélib’ ni l’opérateur, et n’avais à adopter qu’un point de vue intra-parisien.
Lire aussi …
Vélo et vélib’ sont dans la même galère, mais ne se valent pas
Cycliste et vélibeur, deux mots bien moins synonymes qu’on le voudrait souvent. Une étude nous en montre les principales différences et nous amène à conclure qu’on ferait aussi bien de se passer des vélib’s.
Effectivement il semble que la location longue durée soit une bonne solution.
Subventionner un moyen de transport n’est pas absurde. Le ticket en Ile-de-France est subventionné à 70 %. Mais il faut que le vélo fasse partie de la politique de transport.
Or si je ne m’abuse quand on décide d’un moyen de transport pour un itinéraire le vélo ne fait pas partie des options. Le vélo n’est pas considéré comme un moyen de transport de masse, ni la marche à pied d’ailleurs.
Véligo et vélib ne s’opposent pas. Ce qui est intéressant dans le concept de Véligo, c’est qu’il ne subventionne pas la location longue durée de vélo électrique mais l’essai sur une durée déterminée. Ensuite au pratiquant de se décider à continuer ou non. C’est une bonne manière de mettre le pied à la pédale, de surmonter ses appréhensions.
Ce qui l’est moins, c’est qu’il ne concerne pas le vélo. Les élus ont vraiment du mal à imaginer qu’on puisse se déplacer sans moteur.