Tout le monde va dans le même sens : il est grand temps de réformer notre système de mobilité. Et pour commencer, obtenir que les candidats à la Présidentielle se saisissent du sujet.
1- Le forum Vies mobiles veut réduire l’obligation de mobilité
2- Le Shift project veut sortir l’économie de la dépendance aux matières fossiles
3- Guillaume Gouffier-Cha veut que la France recréé une filière économique robuste et large pour le vélo.
➡️ Sous le titre Plan de transformation de l’économie française le Shift project veut décarbonner l’économie française en réduisant notre dépendance aux énergies fossiles. Pour cela il faut avant tout un vrai Plan d’action, il faut savoir où on veut aller et comment.
Le Plan élaboré par le Shift project doit être concerté à tous les niveaux des entreprises et des filières. On doit viser la sobriété et la justice, et notamment anticiper sur les changements de métiers et de compétences, ce que dira aussi le rapport de G. Gouvier-Cha. Tout cela ne marchera que si l’on sait faire envie.
Aujourd’hui on consomme en 30 ans ce qu’on avait pour 100 ans.
Dans 20 ans il n’y aura plus de réserves.
Ce plan a été présenté le 7 février dans les locaux de Sciences-Po à Paris avec 4 personnalités du monde des entreprises, Patrick Martin, président délégué du MEDEF, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, Eva Sadoun, présidente du mouvement Impact France et Estelle Brachlianoff, directrice générale adjointe de Veolia.
En voici quelques éléments.
Passer à l’électricité
On ne va pas tout changer du jour au lendemain, ni l’urbanisme, très long à modifier, ni le système industriel un peu moins mais quand même.
Par contre ce qu’on peut faire assez vite c’est passer des énergies fossiles[1. Les énergies fossiles s’épuisent et produisent du C02, ce truc qui fait une cloche autour de la terre l’empêchant d’évacuer l’air trop chaud.] à l’électricité, qui, elle, peut provenir d’origines diverses sans émission de CO2 [1. Brice Lalonde explique bien les atouts de l’électricité dans son tout récent livre Excusez-moi de vous déranger aux éditions de l’aube, dans lequel il étrille aussi les errements d’un parti qui se croit seul détenteur de la vérité en matière d’environnement tout en luttant contre le nucléaire.]. Notez en passant que c’est aussi ce que dit le fondateur du Réseau de Transport de l’Electricité, cité par La Tribune le 16 février :
Il faudrait 50 EPR d’ici à 2060, un scénario 100% renouvelables n’est pas réaliste. (André Merlin, fondateur de RTE, cité par La Tribune, 16 février 2022)
Pour le Shift project il faut transformer toute l’économie, et vite, en la décarbonant d’urgence.
Cela s’applique aux industries comme à l’alimentation, aux déplacements comme au bâtiment[1. On peut voir la très intéressante exposition Terrafibra sur la construction en pisé, terre coulée, bauge, adobe, torchis ou bloc de terre comprimée, murs isolés en bottes de paille ou terre-chanvre, charpentes en bambou, couvertures en roseau… au Pavillon de l’Arsenal à Paris jusqu’au 28 février.], alors qu’aujourd’hui, par exemple, la moitié du chauffage domestique provient du fossile, gaz ou fuel.
Etre cohérent
L’administration publique devrait être exemplaire, c’est 20% de l’emploi et 10% de la commande publique. Le Covid nous a obligés à enfin concevoir la notion de santé en lien avec l’environnement, mais l’implantation des hôpitaux contribue à aggraver la question climatique, ce qui aggrave l’état de santé général. Je traduis en disant : Un centre de soins auquel on ne peut pas se rendre à pied ou à vélo est une contradiction dans les termes.
La culture et l’emploi sont également passés en revue, pour conclure que la Cyclo-logistique et le vélo sont pile à la bonne échelle. Nous ne nous en sortirons que si l’on ne raisonne plus en termes de coûts financiers mais en termes de compétences.
So-brié-té
Comme on ne peut pas tout faire d’un coup le Shift project plaide pour qu’on ait sans cesse en tête le mot de Sobriété, qu’il associe avec Navigation prudente et avec Plan. Il faut travailler globalement, par filières et par territoires.
La nouvelle économie exige plus d’électricité et plus de technique. Il faut faire vite ce qui est le moins difficile à faire, recyclage des plastiques et modes de construction.
Pour la mobilité il faut se défaire de la dépendance à l’automobile, et pour ce faire il faut viser la proximité et faire système de déplacements. La Fub comme le forum Vies mobiles disent la même chose. La mobilité est au coeur de nos vies, et aucun candidat à l’élection présidentielle n’en parle. Le rôle de la fiscalité, bien pensée, devra jouer ici un rôle important. En revanche la transformation des filières automobile et aérienne est assez facile car métiers et savoirs, tous de haut ou très haut niveau, sont communs avec la filière du vélo, et cela, Guillaume Gouffier-Cha l’a bien vu aussi.
Passer de l’auto-satisfaction à la vraie trouille
Les grandes entreprises n’ont sans doute pas encore « la trouille », selon les mots de Jean-Marc Jancovici, et c’est dramatique C’est bien aussi l’avis de Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, pour qui ceux qui sont aux manettes n’ont pas assez la trouille. Vivement la relève, car les jeunes, eux, ont vraiment la trouille, dit-il.
Le panel des responsables (pour rappel, Patrick Martin, MEDEF, Laurent Berger, CFDT, Eva Sadoun, Impact France et Estelle Brachlianoff, Veolia) invités à commenter lors de la soirée de présentation m’aura confortée dans cette impression partagée, malgré la relative jeunesse de certaines responsables, et m’ont plutôt donné l’image d’une totale incompréhension du discours du Shift. Seul Bergé était à la hauteur.
Les autres ont avancé la croissance et la compétitivité avant la justice et la modération, la vente de produits propres avant la vie de l’entreprise. Le vélo, que le Shift convoque souvent comme mode de déplacement préférentiel, n’a été cité par aucune de ces responsables, qui ont préféré parler de capitaux financiers. Veolia a fait savoir qu’il avait vendu deux (deux !) systèmes de chauffage à partir de ses sous-produits que sont les eaux non-traitées et les déchets, mais Mathieu Orphelin, je l’ai découvert le lendemain, a enquêté sur la mise en place du forfait Mobilités durables dans les grandes entreprises. Veolia n’a même pas commencé à y réfléchir…
Documentation
Un Plan de transformation de l’économie française
Il vise à proposer des voies pragmatiques pour décarboner l’économie, secteur par secteur, en favorisant la résilience et l’emploi. Il repose sur 4 piliers, ici résumés :
- Il adopte une approche globale, systémique et cohérente du point de vue des lois de la physique et de la technique, et des flux économiques.
- Il s’intéresse aux vraies ressources rares : les ressources physiques et les compétences, l’emploi étant au cœur du dispositif.
- Il fait des propositions pragmatiques, opérables dès à présent, avec un rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’environ 5 % par an dès aujourd’hui.
- Il ne repose ni sur le pari de la croissance économique, ni sur des évolutions technologiques supposées advenir mais encore non éprouvées.
Ce plan repose sur l’industrie, qui est l’organe vital de l’économie et dont la décarbonation est indispensable, à la fois pour lui assurer sa propre résilience et pour rendre possible la transformation de l’ensemble de l’économie. L’industrie représente près de 1/5 des émissions territoriales françaises, soit bien plus que son poids économique.
Comment faire ?
Seule une combinaison des trois familles de leviers disponibles permet d’atteindre l’objectif de – 80 % des émissions carbonées à 2050 pour le secteur :
- Le progrès continu (efficacité énergétique, changement des combustibles des fours, recyclage mécanique etc.), permet d’assurer 40 % du chemin total de décarbonation du secteur.
- Les ruptures technologiques (recours à l’hydrogène produit par électrolyse, recyclage chimique etc.), permettent d’assurer 40 % du chemin total de décarbonation du secteur.
- La sobriété (emballages, construction neuve etc.), permet d’assurer 20 % du chemin total de décarbonation.
Le plan permet de décarboner l’ensemble Acier-Ciment-Chimie (soit 70 % de l’industrie lourde) de plus de 80 % à 2050 avec un point de passage à 2030 d’environ – 30 %.
La sobriété est une valeur incontournable, notamment parce que aucun progrès technologique n’est assuré de réussir … JM. Jancovici, en conclusion.
L’industrie manufacturière fait quant à elle face à deux grands défis :
- Adapter ses volumes de production sur l’évolution des usages finaux, affectés par les évolutions des secteurs situés en aval (mobilité, logement, culture etc.) ;
- Assurer la structuration, à la bonne échelle, des nouvelles filières de l’économie transformée. Parmi elles, celle de la production de batteries devra rendre possible le transfert de nos usages vers le vecteur électrique.
La filière de l’après première vie
Elle rassemblera quant à elle la réparation, le réemploi et le recyclage, dans un ensemble d’acteurs en mesure de donner une cohérence générale et une direction commune à leur développement.
En vidéo (3 heures)
Décarbonner l’industrie sans la saborder. Résumé en pdf : PTEF-Decarboner-lindustrie-SYNTHESE
Le plan de transformation de l’économie française. Éditions Odile-Jabob, 12 euros. Un livre aéré plein de croquis et dessins à commander chez votre libraire.
Le journal Le Monde a publié un article plus savant sur le même sujet : « Il n’y a pas d’échappatoire au changement climatique« . ⏩ Supplément Planète du dimanche 20 février 22.
Cette incompréhension totale de la part de ces dirigeants d’entreprise n’est malheureusement pas étonnante, elle est typique de la plupart des dirigeants économiques et politiques, et avec eux des électeurs. Les élections allemandes l’ont prouvé encore tout récemment, le seul parti établi dont le programme allait à peu près dans le bon sens (Die Linke) s’est retrouvé avec moins de 5% des voix.
Malheureusement même ce Shift project ne rompt pas avec la logique productiviste actuelle. Miser sur l’énergie atomique (le vieux cheval de bataille de Jancovici) est typique de cela. Mais nous n’avons pas seulement une catastrophe énergétique, nous avons aussi une catastrophe de la biodiversité, une catastrophe des ressources naturelles, une catastrophe des produits chimiques et du plastique dans la nature, une catastrophe de l’usage des terres, une catastrophe de la justice sociale et de la santé… Et toutes ces catastrophes deviendraient encore plus (!) graves, si vraiment nous parvenions à résoudre la question énergétique.
Diminuer la mobilité, comme décarboner l’économie n’est pas simple. Un peu déçu par les conclusions du Shift ! On se déplace trop parce qu’on subventionne trop, y compris les vélos en libre service. Un péage urbain dissuade de prendre la voiture et rentabilise tout le reste, notamment le covoiturage !
Étonné de lire « Il faudrait 50 EPR d’ici à 2060, un scénario 100% renouvelables n’est pas réaliste. (André Merlin, fondateur de RTE, cité par La Tribune, 16 février 2022) » Alors que RTE, justement publie des scénarios pour le futur dont plusieurs visent la sortie du nucléaire.
Je sais que le nucléaire est incontournable pour Jancovici et c’est pour moi un point de désaccord, car il balaie un peu vite à mon sens les dangers de la chose. Il me semble que les actuelles batailles à proximité de Tchernobyl et des centrales Ukrainiennes jettent une lumière nouvelle sur le sujet.
C’est un détail par rapport à l’article, mais, je note : « L’administration publique devrait être exemplaire, c’est 20% de l’emploi et 10% de la commande publique. »
Pour ma gouverne, c’est qui, qui n’est pas de l’administration publique et qui concentre 90% de la commande publique ?