Rien ne va plus dans nos rues. Les piétons ont peur des cyclistes et les accusent de faire n’importe quoi, les cyclistes répliquent que le danger vient des véhicules motorisés. En réalité les modes dits actifs s’adaptent à une signalisation incohérente qui crée de toutes pièces un conflit entre eux.
Abel Guggenheim se demande si la responsabilité ne doit pas être recherchée dans les aménagements et leur signalisation.
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Certaines associations cyclistes ont, au fil des années, pris l’initiative d’élargir leur champ d’action aux piétons, et donc d’englober la marche dans les modes de déplacement qu’elles promeuvent. C’est par exemple le cas de 2 pieds 2 Roues à Toulouse ou de Brest à pied et à vélo.
Plus récemment, le Club des Villes et Territoires Cyclables est devenu Club des Villes et Territoires Cyclables et Marchables et Thierry du Crest, nommé il y a 3 ans coordonnateur interministériel pour le développement du vélo, a vu ses fonctions prolongées par décret du 22 octobre 2022, mais cette fois-ci comme coordonnateur interministériel pour le développement du vélo et de la marche.
Ces rapprochements semblent évidents, tant il apparaît depuis longtemps que cyclistes et piétons ont des intérêts communs, et que les mêmes mesures, en particulier la modération de la circulation motorisée, leur sont favorables. C’est aussi ce que traduit l’usage de plus en plus généralisé de l’expression qui les rassemble, modes actifs.
(1) Nature des conflits
(2) Description pour le cas des pistes latérales à double-sens
(3) Conclusion
(1) Malentendus sur fond de vérité
Mais on ne peut qu’observer que ces rapprochements se produisent précisément au moment où est de plus en plus visible et sensible un conflit entre piétons et cyclistes, qui dans nos grandes villes s’est rajouté aux problèmes avec les véhicules motorisés.
On peut se demander s’il ne s’agit pas en réalité plutôt de répondre à ce conflit entre modes actifs, souci bien réel mais que personne ne semble avoir anticipé. On pourrait alors craindre qu’il ne s’agisse que d’un simple affichage et que ces associations et institutions continuent de se comporter essentiellement en lobby cycliste et ne défendent pas vraiment l’intérêt des piétons.
La réalité ne peut être niée : beaucoup de piétons se sentent agressés, et plus mis en danger par les cyclistes que par les voitures et 2 roues motorisés. Sur les réseaux sociaux, la réponse des militants cyclistes est de poster des tableaux statistiques de l’accidentologie respective des vélos et des véhicules motorisés. Mais un ressenti, même contraire à la réalité statistique, est une réalité humaine : cette réponse ne convainc que les convaincus et est donc inutile et inefficace.
S’ajoute à cette crainte sécuritaire la conviction que les cyclistes seraient particulièrement irrespectueux du code de la Route. Dans la réalité les cyclistes ne sont ni plus ni moins hors-le-code que les autres, mais là aussi cette argumentation est vaine : la personne qui venait de s’offusquer en voyant un cycliste passant un feu au rouge à qui j’ai signalé qu’elle était en train de traverser au même endroit à pied alors que la figurine piéton était rouge, n’a visiblement pas compris le sens de ma remarque.
Quand un troisième s’invite dans un couple
Le problème est que la croissance significative de l’utilisation du vélo est récente et qu’on est passé rapidement d’un univers à deux personnages (piétons et véhicules motorisés) à un univers à trois personnages : dans le couple piéton-automobile on a fait rentrer le vélo, bousculant l’équilibre qui s’était établi entre les deux premiers.
Il faut bien dire que cet équilibre se faisait surtout au détriment des piétons, qui sans vraiment s’en rendre compte avaient accepté de se plier à diverses contraintes dictées par les véhicules motorisés, certaines par le biais du code de la Route, d’autres par des comportements et habitudes bien ancrées, d’autres enfin par des aménagements établissant clairement cette hiérarchie, comme les panneaux « Piétons Attention, Traversez en 2 temps » ou « Piétons Attention, Feux décalés » privilégiant l’écoulement du trafic automobile sur le confort des piétons, y compris lorsque ces derniers sont nombreux.
Lorsqu’un enfant arrive dans un couple, la vie des parents change du tout au tout : les espaces sont redistribués, les horaires sont chamboulés, chacun s’adapte à la nouvelle situation, Mais cette arrivée est généralement souhaitée.
A l’inverse, lorsque les cyclistes ont fait leur apparition en nombre non marginal dans le vieux couple piétons/véhicules motorisés, cette arrivée n’était attendue ni souhaitée par aucune des parties, et a spontanément plutôt été vécue comme indésirable. Il a fallu restreindre l’espace (le plus souvent au détriment des automobilistes) et il a fallu changer le mode d’utilisation de la rue, surtout au détriment des piétons. Ce n’était bien sûr pas volontaire, mais c’est la réalité, et surtout c’est ainsi que ça a été ressenti par un nombre important de piétons.
Les pistes cyclables ont modifié la perception par les piétons des axes où elles ont été implantées, et l’ont même bouleversée dans le cas des pistes bidirectionnelles latérales.
(2) La piste bidirectionnelle latérale : et les piétons ?
La piste bidirectionnelle, qui d’après la doctrine constante devrait être l’exception en zone urbaine, s’est largement généralisée et est par exemple, comme je l’envisageais dans ma note d’octobre 2020, quasiment devenue la norme sur les grands axes à Paris. Elle pose des problèmes en termes de circulation des vélos et des véhicules motorisés, en particulier aux carrefours. On a cherché, et souvent assez bien réussi, à les régler dans la théorie et dans la pratique.
Mais, dans la théorie comme dans la pratique, de même qu’hier on ne tenait pas compte des cyclistes, la réflexion sur l’insertion des pistes bidirectionnelles n’a pris en compte que les vélos et les véhicules motorisés, et pas du tout les piétons. Ou pour le dire plus précisément, la possibilité de les traverser à pied, qui n’a pas de raison d’être un sujet moins important que la circulation des cyclistes et des véhicules motorisés, n’a pas été réfléchie autant qu’elle aurait pu et dû l’être, et surtout pas résolue.
Cette absence de réflexion globale aboutit à des configurations variées, et en particulier à des signalisations de traversées piétonne différentes d’un endroit à l’autre. Pour reprendre l’exemple des bidirectionnelles latérales parisiennes, plusieurs modalités existent :
- Des passages piétons sans feu
Il existe d’abord des cas où la traversée se fait par un passage piétons sans feu, tant pour la circulation générale que pour la piste cyclable. La règle posée par le code de la route est claire, et fixée par l’article R 415-11 du code de la Route :
Tout conducteur est tenu de céder le passage, au besoin en s’arrêtant, au piéton s’engageant régulièrement dans la traversée d’une chaussée ou manifestant clairement l’intention de le faire.
Dans la réalité cette règle est peu respectée, aussi bien par les automobilistes que par les piétons, qui le plus souvent attendent sagement au bord du trottoir que les véhicules motorisés soient passés. On observe que son application entre cyclistes et piétons n’est pas non plus spontanément évidente.
Aux endroits où la traversée piétonne de la circulation générale est gérée par des feux, on observe trois modalités :
- Un seul feu pour toute la traversée
A certains endroits, la traversée piétonne de la circulation générale et de la piste cyclable est réglée par un seul feu sur toute la largeur de la voie, Il y a alors un caisson de signalisation aux piétons sur chaque trottoir.
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- Un feu pour la circulation générale + un feu pour la piste cyclable
A d’autres endroits, la traversée piétonne de la circulation générale et celle de la piste cyclable sont réglées par des feux différents, Il y a alors en plus deux caissons piétons dos à dos sur le séparateur entre circulation générale et piste cyclable.
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- Des traversées avec et sans feux à la fois !
Mais il existe aussi une autre modalité, où la traversée de la circulation générale est réglée par un feu, et celle de la piste cyclable se fait sans feu.
C’est cette dernière disposition qui pose le plus de problèmes :
Il n’existait jusqu’à présent pas de traversée piétonne dont une partie se fait par feux et une partie sans feux. C’est pourtant ainsi qu’ont été organisées ces traversées, théoriquement pour les piétons en observant les feux à la traversée de la circulation générale, et suivant la règle de l’article R 415-11 à la traversée de la piste cyclable.
Cette disposition est incompréhensible et incomprise, aussi bien par les cyclistes que par les piétons. J’ai essayé, dans les paragraphes 9 et 10 de mon article déjà cité1 Les pistes cyclables à double-sens ont-elles des pouvoirs magiques ? octobre 2020. Un passage en revue de tous les cas parisiens, avec configurations comparées et évaluation des avantages et inconvénients., d’expliquer avec des photos les diverses modalités de traversée par les piétons du boulevard de Sébastopol (Paris-Centre). Pour n’en donner qu’une caractéristique, les piétons qui se trouvent sur le trottoir du côté de la piste cyclable voient une figurine piéton rouge ou verte en face d’eux mais ne peuvent savoir si cette indication s’adresse à eux soit à ce moment (photo de gauche), soit après qu’ils aient traversé la piste cyclable (photo de droite).
Un inventaire de la localisation des différents types de traversées piétonnes des pistes bidirectionnelles parisiennes est en cours. Une carte en sera publiée ici très bientôt.
(3) Unifier et appliquer
A mon avis cette disposition doit être abandonnée, et la traversée des voies comportant une piste cyclable doit se faire, comme pour celles qui n’en comportent pas, soit entièrement par feux soit entièrement sans feux, ce qui revient surtout à rajouter des feux sur des traversées de pistes cyclables. Je n’ignore pas que cette installation, en plus d’être contraire aux souhaits de la plupart des spécialistes de la circulation, serait coûteuse. Mais il me semble que ce serait un coût raisonnable pour un début de la pacification aujourd’hui indispensable des rapports entre cyclistes et piétons.
On pourrait aussi, à l’inverse, choisir de généraliser le mode mixte : des feux sur la voie de circulation générale et pas de feux sur la piste cyclable, mais cette solution serait sans doute bien plus complexe à mettre en oeuvre, et il faudrait aussi la rendre publique, l’expliquer et la faire appliquer, ce qui ne me semble actuellement pas raisonnablement possible.
Le plus important est d’unifier le mode de traversée des pistes cyclables par les piétons, afin que des habitudes, gages de confort et de sécurité, puissent être prises, comme cela l’est malgré tout entre piétons et automobilistes, et comme cela tend à le devenir entre cyclistes et automobilistes.
Analyse très pertinente. 👏
Bravo ! Mais je lis que l’on traite ici de « modes actifs », ce qui devrait exclure trottinettes et autres engins électrifiés, dont la vitesse (et le sens de la politesse et de l’urbanité au sens littéral), d’un autre registre que celui des vélos « musculaires », induit effectivement pas mal de désagréments pour les « modes actifs » dignes de ce nom, qu’ils soient piétons ou cyclistes. Le problème serait-il le même sans ces engins et leurs usagers ?
Merci pour cet article qui synthétise assez bien les problématiques ; pour autant les comportements « anarchiques » des piétons sont peu évoqués alors qu’ils contribuent également à ces conflits.
Je suis en Alsace sur une bande cyclable en ville où le trafic routier est soutenu. J’aborde un passage piéton sans feu quand un piéton se présente pour traverser. Je freine et je m’arrête. Le piéton est surpris car il s’apprêtait à me laisser passer, tandis que les voitures qui me suivent s’arrêtent spontanément. Dans « l’esprit piéton », il semble qu’un modus vivendi attribue une priorité au vélo. Le cycliste ne serait qu’un autre piéton « sur roues » qui utilise la chaussée. C’est ce que je suppose … ou alors il sait, par principe, qu’un cycliste ne respecte pas le code de la route … je m’interroge.
Vélotaffeur et cycliste pour mes déplacements à plus de 500m, je suis aussi piéton, évidemment. Et quand je suis à pied, alors que j’exerce, sauf danger, systématiquement ma priorité à un passage piéton vis à vis d’un motorisé, j’ai tendance à laisser la priorité au cycliste. Parce que je sais qu’à vélo, l’arrêt redémarrage est le truc pénible à souhait en ville dense ; le truc où passe l’essentiel des efforts à Paris / proche banlieue.
Les réponses « aménagement » et « réglementation » doivent être accompagnées par un processus d’« apprentissage » si on veut que piétons, cyclistes et automobilistes fassent évoluer leurs comportements et s’adapter aux nouvelles conditions de mobilités. Surtout quand se multiplient des effets de foule (grand nombre de cyclistes par exemple). C’est un maillon faible de l’accompagnement des politiques mobilités actives que nous devons corriger.
Belle analyse !!!
J’habite en province, je suis automobiliste (très peu en ville), beaucoup cycliste et moyennement piéton. Selon chacun des 3 points de vues, je constate que dans les autres modes les gens sont pour une part non négligeable indisciplinés. J’ai l’occasion d’aller assez souvent en Suisse, le contraste est frappant avec un gros bonus pour la Suisse.
Je vais assez souvent à Grenoble, où un nombre significatif de cyclistes roulent sur les trottoirs, où les piétons marchent sur les Chronovélos (pistes cyclables « rapides »), parfois des mamans avec des poussettes, même dans des rues où les aménagements piétons et cycles sont bien séparés et signalés.
Concernant la priorité des piétons sur les traversées matérialisées, vu de l’automobiliste je constate que les piétons se sont faits une raison de la priorité inverse et sont dans leur majorité « timorés ».
Vu du cycliste, même comportement, sinon plus accentué : je suis surpris de la réaction du piéton qui, dans quasi 100 % des cas, non seulement est craintif, mais me signifie clairement de passer.
Merci pour cette analyse très pertinente. Il y a même des cas à Paris où certains axes comme Sébastopol sont un panachage de l’ensemble des modalités exposées. C’est inévitablement une insatisfaction pour les piétons et une idiotie pour les cyclistes qui ne savent plus quoi respecter…
Plusieurs grands axes parisiens, dont le boulevard de Sébastopol où ont été prises les photos illustrant les 3 dispositions décrites, mais aussi les quais rive gauche de la Seine, comportent effectivement un panachage de ces diverses modalités. La carte qui va bientôt être ajoutée à l’article le montrera clairement.