Vélo et Droit, un couple mal assorti

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couverture_velo_et_droit-t157-0mmbp-recto3On se souviendra du titre « Il faut changer les bases du code de la route » paru en octobre 2013, avec 3 articles publiés à la suite du colloque « Vélo et droit » de l’université du Havre. La démonstration était lumineuse, encore faut-il la mémoriser.
Aujourd’hui est paru le recueil complet des communications de ce colloque. C’est passionnant autant qu’édifiant. Vélo-transport et vélo-sport, dès qu’on touche au droit c’est pas joli, joli …(Remarques préliminaires sans conséquences majeures.)

Dans ce livre lumineux, il se peut que, parfois, seuls les juristes comprennent. Qu’est-ce en effet que le «droit positif», qu’est-ce qu’une «action récursoire» (p. 92) ? L’article de Mme Ophèle se termine d’ailleurs ainsi : «Si pratiquer le vélo n’est pas en soi une activité dangereuse, il est éminement préférable de ne jamais être victime ou auteur d’un accident … Trouver le bon fondement juridique est une aventure bien incertaine !». L’intérêt de ce livre est tout trouvé.

J’ajoute, juste pour ne pas y revenir, que se demander si le vélo est brevetable n’autorise pas à propager des erreurs historiques. Cher-e-s professeur-e-s, le vélo, brevetable lors de son invention, ne se distingue pas du vélocipède par l’action des pieds sur le sol (p. 95) mais par l’usage de la transmission indirecte. D’être juristes vous n’en êtes pas moins piètres historiens.

Mais juristes ils le sont, et pédagogues aussi, comme vous allez le voir. Et pas qu’un peu.

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Encourager la pratique du vélo – transport ne passe pas de façon déterminante et suffisante par la fiscalité 

Mme Cayol cite Philippe Goujon (p. 40), lequel signe un rapport qui dit que « si chaque Européen pédalait 2,6 km par jour, ça économiserait 15% des émissions de dioxyde de carbone dans les transports. »

Le vélo, selon elle, est encouragé, même si cela ne se voit pas, puisqu’il ne subit pas de taxes. Mais comme il ne permet pas non plus de déduire de frais, c’est quand même un encouragement à utiliser l’auto que nous constatons. J’avais rédigé un résumé sous le titre de «Fiscalité et vélo, peut-être une mauvaise piste.» Elle parlait de fiscalité visible, par exemple aide à l’achat, qui ne peut pas avoir d’impact réel sur l’usage puisque déjà une grande proportion des vélos acquis ne roulent jamais. Notre IKV n’y était pas mentionnée, mais elle aurait sans doute été considérée comme un signe nécessaire plus que comme un encouragement direct.

Le code de la route est affaibli depuis le début par de graves défauts

Faut-il rappeler que les premières réglementations de la route remontent à mars 1899, et que le 1er code de la route date de 1921 ? C’était un règlement relatif à la circulation des automobiles, et il l’est resté.

Le code de la route a été créé par peur de l’automobile.

Les défauts du code de la route ont été signalés dès 1921, mais n’ont toujours pas été corrigés. La première codification a été faite à la hâte pour pallier au danger ressenti causé par les premières automobiles. Le «code» sort de tout cadre législatif dès le début, n’est jamais soumis au Parlement, sa rédaction reste obnubilée par le problème de la sécurité routière et est toujours centrée sur l’automobile (p. 66), nous montre le professeur Dechepy.

A force d’ajouts et autres rustines il est incompréhensible.

Par ailleurs le texte est incompréhensible, au moins du point de vue des cyclistes qui, pour commencer, sont nommés par trois mots différents, avant même de constater qu’en plus certaines règles s’appliquent à «tout véhicule», laissant bien souvent le cycliste incrédule. Par exemple (p. 70), le stationnement est interdit sur les trotttoirs, passages piétons et bandes ou pistes cyclables. Le délit de conduite en état d’ébriété est passible de deux ans d’emprisonnement assortis de 4500 € d’amende…

C’est cette absence de proportionnalité des peines qui créé au choix l’impunité ou le sentiment d’injustice.

L’auteur parle alors (p. 72) du «piège de l’amende forfaitaire» (à lire d’urgence) et conclut (p. 75) par ceci : «En tant que phénomène criminel, la circulation des cycles n’a pas subi de changements favorables et bienvenus». Il propose que les peines soient assises sur le pouvoir de nuisance, lui-même calé sur l’énergie cinétique. Si vous n’avez pas encore le livre, lisez au moins le résumé (validé par l’auteur) que j’en avais publié, et prenez connaissance du montant des amendes (voir en bas de ce texte).

Les règles applicables en cas d’accident restent d’une grande complexité, mais logiques

Il y a de nombreux points juridiques qui peuvent paraître de détail, mais qui n’en sont pas. Par exemple un accident de vélo avec un tramway est-il régi par la Loi Badinter ? Réponse p. 82. Si un motocycliste aide un cycliste dans une côte, et que le cycliste tombe, la faute revient-elle au pousseur ? Et si l’accident a lieu en milieu fermé, par exemple sur une simple route barrée ?
La loi Badinter couvre-t-elle les dommages matériels ? S’intéresse-t-elle aux accidents sans «VTM» (véhicule terrestre à moteur!). Et que se passe-t-il si le dommage est causé par le vélo ?
Enfin, notez bien que dans le cadre du sport les règles ne sont pas les mêmes, et ceci même lorsque le cycliste est professionnel.

La contrefaçon se contrôle même si les brevets ne sont pas faciles à déposer

Le vélo, c’est aussi un commerce et une industrie. Sur la contrefaçon, sur la protection juridique apportée par les brevets et par … les droits d’auteur, qui peuvent s’appliquer à la forme du vélo, vous lirez le chapitre qui s’y rapporte. Vous en lirez les subtilités et comprendrez que le droit des affaires est chose subtile…

Le sport cycliste est avant tout un spectacle gratuit qui rapporte gros

Vous lirez aussi le chapitre sur l’économie du sport cycliste, dans laquelle, malgré les antagonismes d’intérêt, toutes les parties, finalement, sont gagnantes, alors même que le spectacle est gratuit. Tiens, en quoi le sport cycliste peut-il être qualifié de spectacle ? Encore un beau débat juridique à lire ici.

Mais comment maintient-on l’intérêt du public depuis tant d’années ? Vous saurez bientôt ce qui augmente l’audience (pp. 118-119) et comment sont structurées les «courses dans la course» du Tour de France, bref comment s’établit ce fameux «équilibre compétitif» de la course, gage de succès commercial. Enfin vous verrez que le dopage ne nuit pas au Tour de France, que cette épreuve soit considérée comme sport ou comme affaire commerciale.

Mais qui commande ici ?

Les affaires juridiques reprennent tous leurs droits lorsqu’il s’agit de déterminer qui, de l’UCI (Union Cycliste Internationale, de droit suisse), des fédérations nationales, des organisateurs ou des Etats, est le patron. Et puis, où sont les limites du monopole de ASO (Amaury Sport Organisation) sur le Tour de France ? Et de ASO sur la communication sur le Tour de France ?

La lutte contre le dopage est affaire récente, et les enjeux de pouvoir y sont énormes

Enfin, puisque la deuxième partie porte sur le sport (partie à laquelle je n’avais pas assisté), il ne vous reste qu’à en lire les textes. Je ne le regrette pas pour ma part, tant l’histoire de la lutte contre le dopage (p. 179) se révèle intéressante. Tous les journalistes sportifs doivent lire les deux ou trois chapitres concernés ! Y sont présentés l’histoire, qui ne commence que dans les années 60, mais aussi les moyens dont dispose l’Agence chargée de cette lutte, ainsi que le cadre juridique.

L’agence n’a été créée qu’en 1999 sous forme d’un Conseil, puis sous forme d’agence en 2006 seulement, ce qui montre qu’on n’était pas si pressés. Mais qui commande ? Les fédérations, les nations, le code mondial anti-dopage, l’agence française de lutte anti-dopage, le mouvement olympique, l’Union Cycliste Internationale, ou bien ASO pour ses deux courses majeures ? Les règles qui régissent les contrôles et les sanctions dans ce domaine ne sont pas des plus limpides…

Le chapitre intitulé « Petite leçon de modestie pour les juristes » dresse d’abord le constat de la longue inaction de l’UCI (de droit suisse, créée en 1900 à Paris, sise désormais au Canada) en matière de «doping». Il aura fallu le décès de Tom Simpson au mont Ventoux en 1967, puis l’affaire Festina en 1998, pour qu’elle devienne un peu plus efficace dans ce domaine, ce qui est très relatif, puisque l’affaire Amstrong est survenue en 2012. Selon l’auteur (qui douterait de la véracité de ses dires?), «si l’UCI est bien au cœur de la lutte antidopage, elle est aussi en cause dans ce domaine».

Les « nationalités » sont surtout au service des intérêts financiers mondiaux

A lire encore les chapitres sur « compétition et nationalité », ou l’on voit que la notion de nationalité est ici assez floue et sert à l’UCI dans son entreprise de reprise de pouvoir grâce à la mondialisation. Les règles mises en place par elle lui permettent de tout contrôler, les coureurs et les équipes, lesquelles sont composées d’abord des directeurs financiers. Ce maillage planétaire a aussi pour objectif de donner une visibilité maximale aux sponsors. Le « droit du travail » qui s’applique aux coureurs est draconien et se retrouve au-dessus des règles nationales, ce qui, il est vrai, évite le dumping social qui sinon serait pratiqué dans certains pays. Tout ça est plus ou moins opaque, ou complexe, en tous cas il n’est pas mauvais de s’en faire une idée. « Le cycliste n’est pas un salarié comme les autres » nous dit le livre …

Sport ou transport, le cycliste est toujours le principal oublié.

Il vous reste à lire ce qui traite de la responsabilité civile dans les compétitions cyclistes (où vous verrez comment sont bafoués les droits fondamentaux de certains coureurs), ce qui traite des accidents en compétition et du code de la route (où il est largement ignoré, puisqu’on ne peut reprocher un excès de vitesse à un coureur, ni exiger que les dépassements se fassent par la gauche…). A noter que, par un amusant retour de manivelle, l’UCI n’en impose le respect qu’aux voitures suiveuses, alors même que le code s’applique aux courses cyclistes et que la FFC le répète souvent. Enfin vous vous intéresserez à la responsabilité du médecin … et plus jamais vous ne regarderez le Tour de France comme avant. Ni les cyclistes de nos rues.

couverture_velo_et_droit-t157-0mmbp-recto3Vélo et Droit : transport et sport.
Sous la direction de Johanna Guillaumé et Jean-Michel Jude.
Édité par l’Institut Universitaire Varenne, collection Colloques & Essais.
30 €

Un livre que tous les jeunes qui rêvent de devenir coureur devraient lire … et aussi tous les grand-parents qui ont un jeune qui rêve de devenir coureur … Quant à moi, je n’ai aucun regret. Coureur, c’est vraiment un très sale métier. Déjà que cycliste … Un livre que devraient lire tous ceux qui croient que les cyclistes « font n’importe quoi ». Ça fait deux bonnes raisons de lire ce livre, même si ces deux sujets n’ont pas grand’ chose en commun.

Les 4 résumés de 2013 :

Il faut changer les bases du code de la route, nous dit l’Université. (M. Dechepy)
Prendre un VLS est un acte juridique complexe. (Jean-Michel Jude)
Fiscalité et vélo : peut-être une fausse piste (Amandine Cayol)
En cas d’accident le cycliste n’est pas toujours protégé (Claude Ophèle).

Du montant des amendes applicables aux « VTM » individuels et aux cyclistes: Les amendes amères.

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Dominique Perruchon
8 années

Superbe travail dont je viens de faire l’acquisition. Merci Isabelle pour le rappel de cet ouvrage, quasi indispensable, pour la compréhension de notre univers cycliste et sa réelle complexité. Puissent l’avenir et le législateur nous conserver la liberté qui nous est si chère …

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