Personne ne respecte le code de la route. Il faut donc intervenir, disent les pouvoirs publics. Y’en a marre de ces cyclistes et monteurs de trottinettes, disent les élus et d’autres. Alors que faire? Punir ? La réponse n’est pas si simple.
La semaine dernière la maire d’un arrondissement parisien de gauche se disait « très favorable au vélo » et n’en exprimait pas moins son agacement au sujet des « cyclistes qui roulent sur les trottoirs et grillent les feux ». Elle se réjouissait donc de l’initiative de la maire de Paris de créer un code de la rue1 Vers un code de la rue pour Paris : Civisme sur la route, la maire de Paris s’en remet au peuple.. Une dame dans la salle fit remarquer que le code n’était pas non plus fort respecté par les motards et les automobilistes.
Je voulais justement vous faire connaître l’éditorial que m’avait demandé, sur un sujet de mon choix, Léry, pour sa première lettre du Concentré vélo de 20232 Le concentré vélo. Mon texte est dans le n° 78.. Voici mon texte, modifié pour revenir à ce que j’aurais souhaité publier si une drastique limite de taille ne m’avait alors été imposée.
Faut-il respecter le code de la route ?
- Sans doute faudrait-il respecter le code de la route, car les codes c’est ce qui permet de souder les sociétés. Saluer aimablement une rencontre, s’effacer pour laisser passer quelqu’un, proposer sa place dans le métro… en font partie. Mais parle-t’on de la même chose ? Respecter le code de la route, ou bien son application?
Faut-il respecter toutes les règles ? La règle c’est qu’il faut s’arrêter au feu rouge. Mais fallait-il mettre autant de feux ? Mon dernier PV m’est venu d’avoir franchi un feu qui n’avait pas lieu d’être, dans un couloir de bus à droite d’une rue sur laquelle il fallait gérer les accès, eux-même interdits de couloir de bus … Ce feu fut plus tard doté d’une autorisation de franchissement par les cyclistes.Le code a été créé pour organiser la circulation motorisée, pas pour la sécurité. Le sens interdit élargit l’espace de stationnement et simplifie les carrefours. Les feux obligent à ne pas le bloquer, et à laisser passer les piétons; le code interdit de stationner n’importe où, de kaxonner sans raison urgente et de faire demi-tour en pleine voie …
- Le code force les piétons à attendre au feu pour traverser, leur faisant perdre la priorité que le code leur accorde. Son application aggrave le danger, les sens interdits envoyant les cyclistes sur les grands axes et dans les carrefours difficiles, les feux incitant les automobilistes à rouler vite pour passer au vert, invitant cyclistes et piétons à franchir le carrefour en confiance.
- Il est incompréhensible, incohérent et injuste pour les cyclistes, expliquait le professeur Depechy, de la faculté de Droit de Rouen, parlant des règles et des pénalités.
- Peu le respectent, les automobilistes brûlent l’orange, bloquent les carrefours, klaxonnent, se posent n’importe où. Les piétons traversent quand ça les arrange, les 2/3 d’entre eux traversent au rouge-piéton s’il n’y a pas d’auto en vue. Les cyclistes brûlent les feux, prennent les sens interdits, roulent ponctuellement sur les trottoirs, et doublent même par la droite.
- Le danger pour les cyclistes ne vient guère des infractions qu’ils commettent, la preuve, les règles suivent. Double-sens obligatoire en zones 30, tourne-à-droite aux feux, sas pour attendre aux feux en étant devant, autorisation de s’éloigner des portières, couloirs réservés à droite de la chaussée … Les exemples sont nombreux d’évolution du code, ou de son application. A une époque on avait remarqué que les femmes étant plus prudentes elles avaient plus d’accidents dans les carrefours régis par des feux… Pourquoi empêcher un parent de rouler avec son petit sur le trottoir ? Il suffirait de changer la règle, par exemple de se caler sur poids, encombrement, vitesse pratiquée, mise en danger d’autrui … pour attribuer les espaces.
- Piétons et cyclistes ne se comportent pas comme les motorisés et n’ont pas les mêmes besoins, comme le film Why we Cycle le montre bien. Le vélo est régi par des interactions subtiles, l’automobiliste par des machines.
- La machine doit-elle nous commander? Si encore les feux étaient réglés en fonction des piétons et des cyclistes, et non sur l’écoulement du trafic motorisé, même lorsqu’il n’y en a pas, on pourrait voir. Faut-il respecter la priorité à droite lorsqu’il n’y a personne à droite ? Faut-il s’arrêter devant un passage lorsqu’il est sans piéton? Le code ne l’exige pas, mais la machine l’exige ! Est-il logique de devoir attendre un temps infini le bon vouloir d’un poteau ? L’automobiliste sage n’a pas toujours besoin de feu pour vous laisser passer. Contre le fou les feux ne peuvent rien.
Je terminais par cette remarque, destinée aux cyclistes croyant encore que le code était fait pour tous :
- Respecter le code ne nous apporte aucune considération, personne ne le voit. Si le cycliste est rejeté c’est qu’il est nouveau venu sur la scène. Ça passera, surtout si on tient compte de ses besoins.
Citation
Evidemment ce sujet mérite un article entier
Alors qu’on vient de fêter les 100 ans de l’éviction des piétons de la chaussée grâce à des panneaux et des feux doit-on encore être condamnés à obéir à des machines ?
Alors que la plupart des cyclistes morts par accident routier le sont sur route départementale, comme on l’a vu récemment3 Les chiffres très trompeurs des accidents de vélo., ou que les piétons sont presque toujours tués là où ils sont dans leur plein droit, c’est à dire sur un passage piétonnier ou sur un trottoir, à quoi sert-il de rappeler « l’importance du respect du Code de la route par tous les usagers de l’espace public » (FFCT) ?
Les cyclistes en ville n’ont-ils pas pour première cause d’accident les angles morts, certes parfois par inconscience (lorsqu’ils doublent un bus ou camion par la droite), et souvent par non respect par autrui de leur priorité à traverser la rue perpendiculaire ? Si vous parcourez l’Observatoire des accidents de vélo vous verrez que l’accident est rarement de la faute du cycliste, trop conscient qu’il est de son risque ! Et puis, le droit à l’erreur ne devrait pas être un ticket vers l’échafaud !
« Alors qu’il patientait derrière une voiture au feu rouge, le cycliste a été percuté par un automobiliste qui arrivait derrière lui. Le choc a projeté le vélo sur une quinzaine de mètres. Le jeune homme est retombé sur le capot du véhicule. Il souffrait d’un double traumatisme crânien et dorsal et de douleurs au bassin au moment de sa prise en charge par les secours. Il a été évacué vers le centre hospitalier de Périgueux. » Sud-Ouest, 15 février 2023.
La vraie solution c’est de changer de méthode
La vraie solution, c’est plutôt de réduire la taille des carrefours, d’organiser des traversées claires, visibles et courtes, de créer des couloirs à droite de la circulation, de faire réduire les vitesses par les aménagements, de toujours penser au piéton d’abord. Un petit carrefour à angles droits bien dégagés offre plus de sécurité que le même en plus large avec des feux. Un feu sur une piste cyclable pour protéger un passage piéton n’est d’aucune utilité aux heures où il n’y a personne, une bonne visibilité sur le carrefour est bien plus efficace. On atteint l’absurde quand certains feux ou panneaux ne sont posés que parce que le code de la voirie l’exige, et bien que l’on sache que personne ne les respectera (et parfois il vaut mieux) !
Les règles sans objet ou incomprises ne sont jamais respectées. C’est d’ailleurs la tournure que semble prendre le projet de Code de la rue parisien, selon le journal Le Parisien du 16 février citant l’adjointe à la Participation citoyenne : « Tout débutera par la sécurisation des sites les plus accidentogènes ou ressentis comme tels ».
La Ville n’est pas un espace rationnel, la puissance publique doit s’intéresser à ce qui se passe avant de faire ses premiers croquis. Les concepteurs devraient passer plus de temps dehors que devant leur ordinateur, et devraient tester eux-même leurs aménagements.
La vraie solution c’est aussi de faire connaître le code de la route. Car s’il est fait pour organiser la circulation motorisée et éviter qu’elle ne se bloque, et qu’il est appliqué aussi pour limiter les infractions comme les vitesses excessives ou le non-respect des traversées à pied … certaines règles conservent leur utilité sociale. Par exemple la priorité à droite, le respect non-négociable du plus faible, l’interdiction du stationnement gênant, le respect du sas, l’obligation de traverser dans l’axe de là d’où l’on vient, de ne doubler que par la gauche et avec 1 mètre de distance minimale, de respecter les vitesses prescrites et maîtriser son véhicule, etc.
Personne ne connait le code
L’autre jour une dame me prenait à témoin d’un scandale : pour tourner à droite en auto et prendre le pont, cette dame était gênée par les cyclistes venant d’en face ne la laissaient pas passer ! J’ai dû lui expliquer que, se trouvant sur une piste cyclable, leur priorité était la même que celle des véhicules se trouvant sur la chaussée principale, tout comme les piétons. La même erreur était commise par des discuteurs de tweeter, se revendiquant cyclistes, affirmant que l’auto sur la photo avait priorité sur la piste, alors même (avais-je vu) que le marquage leur assurait la protection !!!
Rassurez-vous, même les agents des Ponts et chaussées se trompent4 Qui connaît encore le code de la route? Personne, pas même les fonctionnaires de l’Equipement.! Pendant ce temps au Sénat, en alternance avec l’Assemblée Nationale, on propose rituellement tous les deux ou trois ans d’immatriculer les vélos pour mieux punir les cyclistes.
Que faire ?
Changer le code de la route, comme le fait régulièrement l’Etat pour s’adapter aux évolutions, au risque que personne ne connaisse le code ? Se mettre au contraire à verbaliser à la moindre incartade ? Ou bien commencer par comprendre pourquoi la rue reste, depuis un siècle, un vaste champ de bataille où le code joue un rôle marginal ? Organiser en partant des besoins des humains plutôt que des machines ? Je suis plutôt de cette dernière catégorie.
Le problème ce n’est pas qu’il faille s’arrêter aux feux.
Le problème c’est leur emplacement et leur phasage.
Saines lectures
- Vélo et Droit, un couple mal assorti.
- Il faut changer les bases du code de la route, nous dit l’Université.
- Code du cycliste, la seconde édition vient de paraître.
- « Le code de la route c’est pour tout le monde », par Abel Guggenheim.
▶️ Sûr que toute la ville et ses usagers sont sommés de se rendre à la raison des seules automobiles :
— rythme des feux qui obligent les cyclistes (les plus « polis ») à s’arrêter constamment ;
— voies cyclables fermées chaque jour de marché alors que les voies pour les automobilistes restent libres ;
— palissades de travaux ordonnant, pancarte « Piétons : traversée obligatoire » à l’appui, aux passants d’aller marcher de l’autre côté de la rue (même si c’est de ce côté-ci qu’ils ont à faire juste après), c’est-à-dire de prendre le temps d’un détour pour que les voitures puissent, elles, rouler dans la continuité sans obstacles ;
— pancartes « Cyclistes : pied à terre » en cas de travaux ou d’autres opérations spéciales sur la chaussée, tout aussi comminatoires et quasi humiliantes dont les automobilistes sont exempts …
▶️ Mais ce qui semble faire défaut à nombre de citadins — automobilistes, cyclistes ou piétons —, c’est souvent la civilité, voire un minimal souci de l’autre. Assortis d’un opiniâtre oubli d’une des règles les plus basiques : le dépassement sur la gauche. (J’ai eu hier, à vélo, talonnée par un gars en trottinette électrique, l’intuition que celui-ci cherchait peut-être, consciemment ou non, à se protéger du maëlstrom urbain en me dépassant sur la droite : je le « protégeais » de la rue et il n’avait à sa droite que le trottoir ou des voitures garées donc immobiles.)
Les aménagements c’est un peu la tarte à la crème. On pense que c’est la seule solution pour permettre de rouler sereinement à vélo. Alors que c’est la part de l’automobile dans nos rues qu’il faut faire baisser. Et cela ne coûte rien, bien au contraire. Il suffit de persuader ou de contraindre les automobilistes qui effectuent de courtes distances (et ils sont majoritaires) de se déplacer autrement.
Un article d’utilité publique, chère Isabelle, qu’il faudrait faire lire à tout le monde. Lors d’une traversée de la ville à vélo, un ami se trouve très choqué que je brûle un feu rouge dans un quartier sans voiture aucune. Je lui fais remarquer qu’il ne respecte jamais les limitations de vitesse en voiture. « Oui, mais ce n’est pas la même chose… » Ainsi, la gravité de l’infraction est complètement faussée par sa perception du soit-disant respect du code de la route et il ne peut pas concevoir qu’un cycliste qui ne met personne en danger qu’éventuellement lui-même commette un « péché véniel » comparé à la dangerosité avérée de tout excès de vitesse en voiture.
je ne vois qu’une solution … le faire connaître ! … Merci pour l’appréciation aussi !
Le comble de l’indifférence à l’égard d’autres que voitures, c’est le système de gestion de la temporisation des feux dit « Gertrude » à Bordeaux. Il ne tient compte que des voitures. Ainsi j’ai pris un PV à vélo car surpris par l’apparition du rouge après 6 secondes de vert (le minimum légal). J’ai donc filmé la durée du rouge : 1min 48 sec. J’étais le seul dans la rue, et donc ne comptait pour rien. PV contesté le 3 octobre, pas de réponse depuis. D’ailleurs on ne reçoit de réponse que quand la contestation est refusée et vu le délai de réponse, automatiquement passé au tarif supérieur. Total mépris du citoyen que de ne pas l’avertir de l’acceptation de sa contestation. Le tribunal de police semble totalement acquis à la maréchaussée. Pire , serait-il juge et partie ?
Par ailleurs, la police prend un malin plaisir à se mettre en faction aux feux rouges, verbalisant même quand il n’y aucune voiture abordant le carrefour, verbalisation bien plus facile et rentable que de courir après de vraies infractions (comme l’usage des trottoirs). Même reconnaissant qu’il n’y avait aucun danger, leur réponse est toujours « la Loi, c’est la Loi ». Défendre le texte de la Loi, comme parole divine, semble plus important que leur mission de service public. Réduire nos fonctionnaires à l’état mental de machines permet de plus en plus de les remplacer par des radars. Dans le code de la rue, il faudrait aussi revoir le rôle de la police de la circulation et la former à faire preuve de considération plutôt que d’en faire les perroquets d’un code de la route désuet.
La dernière fois que les vélos ont été immatriculés en France, c’était sous le régime de Vichy…
La relativité des préceptes du code de la route est de plus en plus avérée. Y compris pour les voitures. On aurait tort d’accepter les remontrances des automobilistes qui sont loin d’être exemplaires et qui pensent pouvoir jouer les justiciers à notre égard. Je pense à toutes sortes de comportement comme le stop dit « glissé » où les voitures passent au pas. Comme moi avec mon vélo. Dès lors il ne reste plus que l’infraction sanctionnée subrepticement par des forces de police en mal de délinquance routière facile. Pour les feux rouges commandés par la fée électricité jusqu’au tréfonds des hameaux, c’est plus délicat. C’est devenu un poison de la route puisque les communes ont inventé une pédagogie du feu qui consiste à passer au rouge lorsqu’on s’approche et qui repasse au vert une fois le pied à terre. Le monde à l’envers! Il est urgent qu’on invente un code du vélo dont nous serions les seuls dépositaires. Un code tacite qui va de soi.
« Si le cycliste est rejeté c’est qu’il est nouveau venu sur la scène. » Encore une phrase incompréhensible pour moi.
Toute nouveauté perturbe les habitudes, donc dérange, quelle que soit sa qualité. Il y a donc toujours d’abord rejet, ensuite ça finit souvent par se passer très bien.
Le velo a été inventé en 1864, je ne sais pas pourquoi il serait question de « nouveauté » le concernant.
Une politique d’éradication du vélo moyen de déplacement a été mené avec acharnement de Pompidou jusqu’aux années 90 – 2000.
Comme avec le tramway, il fallait faire place nette pour la bagnole. Le cinglé sus-cité voulait transformer les avenues et boulevards parisiens en autoroute avec glissières de sécurité.
Dans l’agglomération de Paris, la préfecture de police est toujours dans ce registre de la chasse aux cyclistes ou au moins au rejet de tout aménagement qui ne serait pas dans l’intérêt des constructeurs d’enclumes.
Cette politique a été remarquablement efficace jusqu’à un renversement de tendance à partir des années 200O qui voit un retour de l’usage du vélo.