En France 1/3 des feux pourraient être supprimés

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Les feux rouges ne sont pas seulement une calamité pour piétons et cyclistes qui passent leur temps à attendre. Ils créent du danger, font accélérer, font du bruit et créent des nids à pollution. La journée d’étude Carrefours à feux, vers de nouvelles pratiques pour une ville des mobilités actives a conclu sur le bien fondé de supprimer un maximum de feux de signalisation. Au moins 1/3.

1/3 des feux de croisement de la métropole de Grenoble pourraient passer à la trappe, car ils sont jugés antinomiques avec la notion de ville des modes actifs. La métropole de Bordeaux en a déjà fait sauter 75 sur ses 930, Lyon a recensé 450 carrefours dont les feux pourraient être démontés.

Les feux sont apparus aux participants à cette journée d’étude du Cerema comme une survivance du 20ème siècle. La journée avait fait le plein et provoqué une longue liste d’attente. 

Cette calamité pour les piétons et cyclistes a été inventée dès 1859, mais le 1er feu parisien date de 1912 et était actionné à la main. 1/3 des feux français d’aujourd’hui sont en région parisienne, et 80% de tous les feux sont dans les grosses agglomérations. Leur expansion correspond à la croissance du trafic motorisé et à l’étalement urbain, et n’a vraiment commencé qu’en 1950, avec une aggravation en 1974 lors de l’apparition des caissons piétons. Voir toute l’histoire dans l’exposé de Christophe Damas, référent « carrefours à feux » au Cerema. 

La plupart des carrefours n’ont pas de feux

Il y a sur la commune de Paris 1808 carrefours à feux, ce qui n’est pas le pire en France rapporté à sa population. Selon Caroline Grandjean, directrice de la Voirie à Paris, Strasbourg et Bordeaux en ont proportionnellement beaucoup plus. 

A Paris 6 carrefours seulement ont à ce jour été privé de leurs feux, dans le quartier Plaisance, 14° arrt., après une longue expérimentation. On avait constaté que pendant 40% du temps d’attente il ne venait aucun véhicule dans le sens perpendiculaire. Les 3/4 des piétons en profitaient pour traverser. Après suppression de ces feux la circulation des piétons est plus facile, bien que la galanterie automobile n’ait pas encore fait beaucoup de progrès, paraît-il. On constate aussi une petite baisse des polluants et du bruit. Les piétons s’en montrent satisfaits, mais prétendent, dès qu’on généralise, qu’il fallait conserver les feux. Quant aux mal-voyants, ils manifestent !  

A Grenoble aussi tout le monde est d’accord pour que les enfants puissent aller à l’école à pied, mais veut aussi aller à l’autre bout de la France en roulant à 130 km à l’heure. Pourtant les rues ne devraient pas être des routes. Les rues doivent être des lieux de bienveillance, selon Yann Longaburu, vice-président aux déplacements de Grenoble.

Plein d’autres raisons pour supprimer les feux

Les observations et comptages montrent que, en l’absence de véhicule motorisé à l’approche, les 2/3 des piétons traversent au « rouge-piéton ». Sur ce point voir l’exposé Traversées piétonnes.

Le bruit au démarrage, l’accumulation des polluants aux carrefours sont d’autres raisons de vouloir supprimer des feux. On sait aussi que les feux sont en réalité des « accélérateurs » (pour passer au vert). De plus certains ne servent plus à rien, ou même, finalement, aggravent la situation. En retirant les feux on supprime les vitesses extrêmes, on harmonise les vitesses pratiquées et on crée davantage de vigilance1 Sans oublier qu’une chaussée à voie unique incite moins à la vitesse qu’une double, comme une chaussée à double sens par rapport à une en sens unique.. 

Les feux c’est le contraire d’une ville des modes actifs, mais comment s’y prendre?

Il faut commencer par supprimer les feux qui ne servent plus à rien et ceux qui sont régulièrement ignorés pas piétons et cyclistes : ce qui n’est pas crédible ne peut pas être respecté.
Ensuite, on peut traiter un axe très visible, une rue de centre commercial, le devant de la gare, les rues qui entourent un parc, des rues avec des écoles, là où c’est très visible ou bien là où cela a du sens. On peut aussi régler le sort d’un « super-connecteur » comme dit Sonia Lavadinho. Tout cela c’est aussi de la tactique, tout comme s’arranger pour que la demande vienne des habitants (« Qui veut, qui est candidat ? ») ou que la majorité des maires de l’agglo y soient favorables (voir l’exemple de Grenoble). Faire revenir de la nature est aussi une aide à la reprise de pouvoir par les habitants, mais de toutes façons il faut commencer par faire un diagnostic.

Supprimer les feux peut augmenter la sécurité

A Paris les 2/3 des accidents ont lieu dans un carrefour et 30% d’entre eux concernent des piétons, 1/3 d’entre eux étant en train de traverser au vert-piéton. 

A Bordeaux 23% des accidents ont lieu dans un carrefour à feux, 1/4 avec franchissement du rouge par le véhicule. 18 des 19 carrefours bordelais comptant le plus d’accidents ont des feux. 

Autant rappeler que les feux ne sont pas là pour assurer la sécurité (note)

2 Déjà en 2016 Thomas Jouannot, du Cerema, avait montré que les feux pouvaient être créateurs de danger : Le club des villes cyclables joue à guichet fermé.

mais pour organiser les flux de véhicules motorisés3 De nombreux feux, au moins à Paris, ont aussi été ajoutés pour obliger les motorisés à respecter le code de la route, par exemple les passages piétons. On peut penser que c’est l’ensemble de la configuration qui pose problème.. 

D’une façon générale il est recommandé de ne pas raisonner carrefour par carrefour mais de penser à une échelle d’axe ou de quartier, et aussi de ne faire que si le maire y adhère pleinement. C’est lui en effet qui doit l’assumer devant les citoyens.

Et puis pas d’angélisme, il faut aussi souvent dégager la visibilité, changer des sens uniques, faire en sorte que les vitesses soient naturellement modérées, mettre des dos d’âne en amont des passages piétons, et faire des tests.

Par ailleurs il n’a pas été caché que la question de la perception par les personnes mal-voyantes ou ayant un handicap mental n’était pas résolue.

La question des transports en commun

On l’ignore souvent, mais les tramways ont la priorité sur tout et tous, et même sur les piétons et cyclistes. Ce n’est pas le cas des autobus, en revanche, car ils sont des véhicules routiers. La réflexion est ouverte pour proposer diverses solutions leur assurant la priorité sans ajouter de feux (note)

4 Les couloirs centraux pour autobus, avec intersections protégées par des stops, sont une des solutions qui semblent efficaces. J’ai vu celui de Lorient, je vous en parle bientôt. A Grenoble, même les bus à haut-niveau de service n’ont pas priorité sur les piétons, voir L’autobus n’a pas priorité sur les piétons. Pour eux c’est une question de principe.

.

Pas de problème avec les cyclistes   

Pour les cyclistes, retirer les feux est déjà possible, c’est le système des panonceaux qui les autorisent à passer même si le feu est rouge. Si on en a mis autant à Paris, c’est que cela se pratiquait déjà et n’avait causé aucun accident. Après le tourne-à-droite seulement, complété par le « tout droit » lorsque cela est possible (carrefours en T, simple mesure de gestion ou de renforcement d’un passage piéton…), le tourne-à-gauche a aussi fait son apparition. Dans certains cas s’avancer dans un carrefour est le seul moyen de le traverser en sécurité, a montré Pierre Toulouse, l’adjoint de Sylvie Banoun. Mais seulement pour le cycliste averti, fut-il complété dans la salle, si le carrefour est complexe ou chargé.

5 Rappelons d’une façon générale que les cyclistes n’ont pas besoin de feux.

Pour quelle urbanité ? 

Finalement les feux c’est du passé. Pourtant « le client » de l’action urbaine, selon la Suisse Sonia Lavadinho, c’est l’automobiliste. Il faut qu’il dise : «ah, oui !». 

Elle plaide pour une ville où la régulation ne se fait pas par des machines mais par le dialogue, par l’inter-action d’humain à humain, par la courtoisie. Thomas Jouannot, du Cerema, dit « Passer de la robotique à la micro-négociation ». Pour elle l’objectif c’est d’arriver à une ville où l’on vive, où on joue, où on traîne, où on rencontre, où on bouquine. Il faut pour cela qu’elle soit « apaisée », bien sûr, mais cet apaisement n’est pour elle qu’un moyen.

Ce dont elle est sûre c’est que personne n’est capable d’acheter en roulant à 50 à l’heure. C’est à pied que l’on fait ses achats. Elle constate aussi que c’est la vitesse ambiante qui fait les parents impatients avec leurs enfants.
La ville est le lieu de la rencontre, des familles, des enfants, rappelle-t-elle, ainsi n’y a-t-il pas d’urbanité qui soit compatible avec la circulation dominante.
Supprimer les feux oblige tout le monde à faire attention, conclut-elle en harmonie avec la tonalité de la journée. 

—Relire—

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Yves Le Jan
5 années

Il manque un peu de gouvernance pour faire de ces idées un succès plus net. La rue Raymond-Losserand, 75014 (comme les rues Castagnary / Falguière, 75015) n’est pas apaisée et conserve encore un trafic de transit trop important pour que le retrait des feux et quelques ralentisseurs agissent par magie. Pour cela un ajustement du plan de circulation reste nécessaire.
Dans le XVe, l’axe à 50 naturel le plus proche dans cette direction est la rue de Vaugirard. Mais il n’y a même pas de sortie de Périphérique à son extrémité, Porte de Versailles. Les GPS envoient donc les motorisés sur les « zones 30 » pour rejoindre le coeur de Paris et les motorisés accélèrent dès le ralentisseur passé. C’est une tâche ardue avec de nombreuses contraintes, notamment des itinéraires bus, mais elle semble indispensable pour atteindre l’objectif, si c’est bien réellement d’apaiser ces rues.

Dominique Perruchon
5 années

Je ne puis que regretter d’avoir été sur la liste d’attente et manqué cette très intéressante journée du CEREMA… Une fois de plus « Isabelle et le Vélo » ouvre la voie !

Yan Le Gal
5 années

Je suis étonné qu’on ait parlé de suppression de feux sans relater l’exemple et l’expérience de Nantes Métropole qui :
1° a supprimé plusieurs centaines d’anciens carrefours à feux depuis 40 ans,
2° conçoit les nouveaux carrefours sans feux.
Par ailleurs, attention à ne pas jeter le « bébé » avec l’eau du bain : les feux « exceptionnels » sont souvent très utiles pour assurer la priorité aux transports en commun dans les carrefours sans feux.

5 années

Les aménageurs suppriment parfois des giratoires pour installer des carrefours à feux. C’est le cas dans le centre ville de Blois, comme dans sa périphérie, par exemple le carrefour Brossolette ainsi que devant une toute nouvelle piscine.
La question des feux qui sont en réalité des « accélérateurs » pour passer au vert se pose pour l’avenue Maunoury, toujours à Blois, avec ses grandes perspectives et ses feux. Elle a d’ailleurs été le lieu d’un dramatique accident mortel….

Lekin
5 années

Pour avoir assisté à cette journée, je trouve ce compte rendu très intéressant. Une nouvelle façon de voir la ville à laquelle il faudra s’habituer, la voiture a perdu son trône, vive la douceur et la convivialité d’une ville apaisée.

5 années

Ici à Annecy, le tendance serait à supprimer les feux pour les remplacer par des rond-points. C’est tout bénéfice pour les voitures qui voient leur trajet moins haché (en dehors des heures de pointe). Par contre c’est la hantise des cyclistes qui ont du mal à s’insérer et qui se font régulièrement couper la priorité une fois engagés. Sans parler des angles morts avant. Et vu qu’ils aiment les RP de grand diamètre pour écouler plus de flux, ça fait des gros détours pour les piétons. Bref, pourquoi pas supprimer les feux, mais sans les remplacer par des rond-points !

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