Peinture ou dorure, sérieux ou marketing, on trouve de tout dans les classements de villes. Mais des convergences se dessinent, qui tendent à disqualifier la plus célèbre d’entre les enquêtes. Rigueur ou paillettes ?
Jusqu’à il y a peu l’Allemagne était le seul pays à disposer d’un classement sérieux de la cyclabilité de ses villes. Cela depuis 1998, grâce à une enquête remarquable auprès des usagers réalisée par l’ADFC (la FUB allemande). Nous en avons déjà parlé[1. Le bicyclimat allemand sur ce blog.].
Depuis sa première enquête, en 1998[1. Pour un bon résumé des enquêtes voir le tableau publié dans Wikipedia.], l’ADFC en est, en 2016, à sa septième enquête pour le bicyclimat (Fahradklima-Test) allemand. Celle-ci a mobilisé 120 000 participants et fournit les résultats pour 539 communes, sur les 11 330 que compte le pays.
Le trio de tête des villes supérieures à 200 000 habitants est, pour la troisième fois, Münster, Karlsruhe et Freiburg.
Ce monopole de championne du monde des enquêtes de cyclabilité est en train de changer. En effet, en attendant avec impatience le classement issu du premier Baromètre des villes cyclables français, réalisé par la FUB, qui sera dévoilé lors de son congrès le 16 mars prochain, le Fietsersbond (la FUB néerlandaise) vient de publier son Vélo top 100.
Le Fietsersbond vient de choisir la ville de Houten comme LA Véloville 2018 des Pays-Bas. Cette élection a déjà eu lieu plusieurs fois mais sa méthode a été fortement modifiée cette fois-ci, en s’inspirant de la méthode allemande.
Les élections précédentes se faisaient par un jury qui choisissait parmi des villes ayant fait acte de candidature[1. De palmarès en parmarès : et alors? ].
L’élection de 2018 a comporté deux phases :
- D’abord une vaste enquête auprès des cyclistes, qui a permis de distinguer les cinq villes les mieux notées. Ce ne sont plus les villes qui se manifestent, ce sont les habitants qui les désignent. Les 5 meilleures villes furent Houten, Veenendaal, Zoetermeer, Winterswijk et Etten-Leur.
- Ensuite c’est un jury qui a fait un travail comparatif, parmi les villes désignées par les habitants, pour nommer LA Véloville.
L’intérêt de l’enquête néerlandaise réside dans la forte participation des cyclistes : 45000 réponses, concernant la quasi totalité du pays : 384 des 388 communes ! Cela donne une belle carte interactive avec une vue d’ensemble inédite du pays entier avec cinq niveaux d’appréciation pour les communes (allant de très mauvais à très bon)[1. Classement néerlandais sur le site du Fietserbond.].
Ces travaux considérables permettent en conclusion un constat et une question de fond
Le constat concerne le taux de participation.
Les Pays-Bas arrivent en tête avec une réponse pour 375 habitants.
La FUB réalise l’exploit, dès sa première enquête, de faire passer le taux de participation devant celui de l’Allemagne : une réponse pour 585 habitants français et une pour 675 habitants allemands.
La question de fond concerne la pertinence de l’approche internationale.
Nous parlons ici des palmarès de Copenhagenize, par rapport à ces enquêtes nationales qui cherchent à exprimer la satisfaction des cyclistes de manière détaillée. C’est en comparant les deux approches que l’on voit les paillettes du Copenhagenize Index se ternir. Là où les classements se tissent….
Le Copenhagenize Index classe les 20 « Bicycle friendly cities » du monde (sur un total de 136 villes en 2017).
Les écarts entre ce survol international et le travail de terrain local sont assez étonnants :
- Allemagne.
Le Copenhagenize Index situe Berlin à la 10ième place et Hambourg à la 16ième place mondiale.
L’enquête de l’ADTC a réussi à évaluer l’ensemble des 39 villes supérieures à 200 000 habitants.
→ Berlin se retrouve n° 36 et Hambourg n° 31 (sur 39). - Pays-Bas.
Le Copenhagenize Index situe Utrecht à la 2ième place et Amsterdam à la 3ième place mondiale.
→ L’enquête du Fietsersbond situe Utrecht à la 76ième place.
Et la grande surprise est le verdict des cyclistes qui est encore plus sévère pour Amsterdam qui ne figure ainsi même pas dans le Vélo top 100.
Attendons pour voir si le Baromètre des Villes Cyclables français confirme ces écarts.
Le Copenhagenize Index n’engage que ceux qui veulent bien y croire. Il s’agit surtout des élus fiers de leurs distinctions « données par les pays du Nord et donc c’est du sérieux » qui sont utiles pour la forme, pour la communication. Par contre les sujets abordés dans les enquêtes nationales sont bien plus utiles pour le fond, puisqu’ils sensibilisent les élus au sujet de leur politique du vélo.
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Il y a d’autres « palmarès ». Par exemple celui de la Suisse, tous les 4 ans. 15 000 personnes avaient participé en 2013, les villes de Coire, Winterthour, Berthoud et Bienne ayant été distinguées. Nous attendons le résultat de l’enquête de l’automne 2017 (17 000 réponses). Voir Villes cyclables.ch. (Source : Pro velo info, septembre 2017.) IsL
—Notes—
Habitant dans Orléans Métropole, je vois avec plaisir que Munster est dans le trio de tête des villes cyclables en Allemagne. Cette ville est jumelée avec Orléans, d’où mon rêve de voir Orléans au même niveau en France. Un rêve car la réalité est loin, très loin, du compte !
Ces enquêtes ont un intérêt – faible – dans les pays où les cyclistes ne sont pas marginaux, où leurs profils très variés vont de la retraitée de plus de 75 ans au collégien en passant par le vélotafeur très expérimenté. Ce qui est très loin d’être le cas français.
Ces enquêtes ressortissent de la politique menée au fil des sondages, très à la mode aujourd’hui. Sauf que la FUB n’est pas une collectivité territoriale, elle est supposée avoir des revendications et les défendre auprès des conseils territoriaux et de l’Etat.
En outre, il existe aujourd’hui quelques militants qui savent ce dont nos villes ont besoin. Vont-ils défendre des « revendications » exprimées (sans trop réfléchir à leurs conséquences) par des cyclistes dont nul ne peut contrôler qu’ils en sont vraiment ?
Il y a tant d’autres choses à faire pour les militants, bien plus importantes !
Je pense au contraire que ces enquêtes peuvent avoir un intérêt. Prenons l’exemple de Strasbourg, autoproclamée capitale du vélo.
Au niveau communication il font le maximum. Dans le concret on roule sur un réseau qui date majoritairement de plusieurs dizaines d’années, l’évolution du réseau est faible, les points noirs le sont restés et l’entretien minimal n’est pas assuré.
Si ça ressort par l’enquête FUB et que la ville se prend un gadin, j’espère qu’ils descendront de leur piédestal et que ça fera un peu évoluer les choses. L’espoir fait vivre…
Pas faux. Dommage que la FUB mette 6 mois pour publier ses résultats. Pour quelle raison ? Un plan marketing douteux ?Ils se sentent propriétaires des réponses de tous les participants ? Bref pour ce fameux gadin et pour la réaction qui pourra s’en suivre ça fait 6 mois (de plus) de perdus.
Cher Laurent, avant de publier ce palmarès tant attendu nous devons vérifier attentivement nos calculs, les faire valider par des experts externes, fixer des choix méthodologiques qu’il ne s’agit pas de changer à chaque édition etc. Aussi nous sommes tous bénévoles et avons été un peu dépassés par le succès de cette première édition …
Mais le début du printemps est aussi une très bonne période pour parler vélo, patience !
Le Copenhagenize Index profite habilement du congrès international Velo-city, organisé par ECF, pour annoncer son classement pendant ce congrès.
Le travail abattu par la FUB pour la préparation du Baromètre des villes cyclables est considérable. Dans ce cas il paraît assez logique que la FUB crée un peu de suspense et de mise en scène pour l’annonce des résultats pendant son propre congrès annuel.
Merci pour cette synthèse éclairante entre l’approche et l’analyse technique (à vérifier toutefois pour Copenhagenize qui ne communique pas sur les critères pris en compte !) et le ressenti, le vécu des usagers. On retrouve aussi ces « écarts » pour les véloroutes allemandes et internationales à travers les travaux de l’ADFC : les résultats de l’enquête annuelle auprès des usagers qui diffèrent quelque peu du classement (établi sur une base de critères techniques = certification) des véloroutes 5*, 4*, 3*… Cf le site (en allemand) : https://www.adfc.de/deutschland/adfc-qualitaetsradrouten/ausgezeichnet-radurlaub-mit-guetesiegel et https://www.adfc.de/radreiseanalyse/die-adfc-radreiseanalyse-2017.
En charge des aspects méthodologiques du Baromètre, j’apporte quelques précisions :
– Surtout ne pas parler d’évaluation de la cyclabilité ! Ce que le baromètre mesure est une différence entre deux grandeurs subjectives des usagers : la perception de la situation d’une part / les attentes d’autre part. La perception diffère selon l’usager (débutant/expert etc) et les attentes évoluent dans le temps; elles se renforcent au fur et à mesure des progrès, donc les notes peuvent ne pas suivre les améliorations physiques : c’est ce que les Allemands observent.
La note prend donc en compte implicitement la dynamique : une ville pas franchement cyclable mais ayant une vraie dynamique aura une note plus flatteuse que son ratio de linéaire cyclable, et inversement
– Le classement en absolu (par exemple pour Berlin) n’a pas trop de sens car au-delà des premières villes les incertitudes ne permettent pas, parfois, de dire si une ville est 30ème ou 40ème. Pour le Baromètre on donnera une classe plutôt qu’un rang.
– François a raison de se méfier de « la voix du peuple ». Mais si un expert a une bonne vision technique, il ne peut pourtant pas seul imaginer ce que ressentent les cyclistes, leurs préférences, leur degré de satisfaction et ce selon l’age, le sexe, le niveau de pratique. Le Baromètre nous donne ça, là où il y a suffisamment de réponses, et force est de constater que les premières analyses donnent des résultats très cohérents. Voir les analyses détaillées interactives ici : https://public.tableau.com/profile/fub4080#!/vizhome/barometrevillescyclablesanalyses061217/Participation
Ensuite bien sûr l’expert est nécessaire pour interpréter et convertir ce ressenti en propositions pertinentes.
S’il s’agit seulement de faire du bruit médiatique, alors je retire ce que j’ai dit. Même si je continue de penser qu’il y a danger à se mettre à la remorque de la vox populi.
Il me semble cependant que nous devons être un peu plus ambitieux. Pour une bonne prise de décision -qui appartient toujours au politique- celui-ci doit s’entourer :
– d’experts (bureaux d’études indépendants, services de l’Etat et de ses instituts, conseils territoriaux)
– de l’avis des usagers, représentés ou non par des associations.
Le politique est censé représenter tous les autres intérêts, et, le cas échéant, convoquer leurs représentants. C’est un scénario qui devrait s’appliquer dans tous les cas et pas seulement au vélo.
Il y a donc délégitimation des associations de cyclistes à faire appel à un sondage pour exprimer des revendications – même s’il s’agit de « perceptions », d' »attentes ». Usager depuis 55 ans, militant depuis 25 ans, je revendique pour moi-même et pour des dizaines d’usagers-militants expérimentés, animateurs d’associations d’usagers, d’être capable d’exprimer leurs perceptions et attentes. Ou alors nos associations ne sont pas représentatives des cyclistes ?
Ce que nos associations peuvent faire, ce sont des pétitions qui permettent au cycliste lambda de soutenir nos revendications.
A l’Etat et aux CT, s’ils considèrent que leurs experts et leurs élus ne connaissent pas le ressenti des cyclistes et/ou que nous ne sommes pas suffisamment représentatifs, d’organiser ce type de baromètre, mais pas à nous.