Le projet de Loi sur les Mobilités a enfin été présenté hier. Il modifie en profondeur l’organisation des responsabilités et le vocabulaire utilisé. Il renverse l’ordre des propositions, partant du besoin, passant par le financement pour arriver au projet. Il réaffirme la préoccupation de la « mobilité du quotidien », c’est-à-dire celle de tous. Mais nulle part n’est affirmé que le vélo peut remplacer une bonne part des déplacements carbonés.
Changement d’époque ———–
Cela semblera mineur mais ce projet de loi est sans doute aussi fondateur que l’avait été en 1982 la LOTI. La LOTI (Loi d’orientation des transports intérieurs, publiée le 31 décembre 1982) affirmait dès son article 1er « le droit qu’a tout usager de se déplacer et la liberté d’en choisir les moyens ». Aujourd’hui on va affirmer, en quelque sorte, le droit à ne pas être obligé de choisir la voiture, et même le droit à choisir de se déplacer par ses propres moyens, ce que ne disait pas vraiment la LOTI dans la suite de la phrase : « ainsi que la faculté qui lui est reconnue d’exécuter lui-même le transport de ses biens ou de le confier à l’organisme ou à l’entreprise de son choix ».
On passe du transport à la mobilité
La nouvelle Loi, dans son texte soumis à discussion, élimine le mot « transport » du code des Transports pour le remplacer par celui de «mobilité», et c’est une avancée majeure.
Service de transport devient ainsi solution de mobilité, système de transports devient système des mobilités, et versement transport devient versement mobilité.
Enfin la ministre des Transports affirme que ce projet de loi d’orientation des mobilités s’inscrit bien dans la question de la transition énergétique :
Un cadrage neuf ———-
Ce sont les Régions qui auront la responsabilité de l’organisation des services à la mobilité (billétique, information, coordination, planification…), sans récupérer la responsabilité des infrastructures. Pour les infrastructures l’Etat ne veut pas non plus être seul, il veut bien aider, comme la ministre l’a précisé en réponse à une question sur le canal Seine-Nord, mais appelle à ce que chacun prenne ses responsabilités.
Tous les territoires auront désormais une instance d’organisation des déplacements (Autorité Organisatrice des Mobilités, AOM), même les zones rurales, alors qu’aujourd’hui 80% du territoire n’en a pas. Dans les zones très peu peuplées une aide de l’Etat pourrait être décidée. C’est une décision forte car cela implique que ces régions regardent elles aussi comment faire pour que tout le monde puisse se déplacer sans ruiner quiconque. Cela pourra notamment amener à penser à des transports à la demande ou à du covoiturage organisé, plutôt qu’à des lignes régulières d’autocars. Cela devient envisageable maintenant que le « numérique » est partout, a-t-on précisé.
Les préfets (c’est-à-dire l’Etat) là-dedans ne jouent plus aucun rôle, se contentant d’accompagner, favoriser, abonder, rappeler le cadre, sans décider eux-mêmes.
Les Plans de déplacement urbains (PDU) deviennent des Plans de mobilité, et la notion de « urbain» devient « de territoire ». Les « bassins d’emploi » deviennent les « bassins de mobilité ».
—–Sur le vélo ———–
- L’article L. 1214-4-2 précise : «Le plan de mobilité définit un schéma structurant cyclable et piéton visant la continuité et la sécurisation des itinéraires. Il définit la localisation des zones de stationnement à proximité des gares ou aux entrées de villes et le stationnement des vélos.« Quand c’est écrit au présent de l’indicatif cela veut dire que c’est une réalité, donc qu’il y a obligation de faire.
* - Le vélo se retrouve sous la forme de Mobilités actives, aux côtés des autres « alternatives » à la voiture que sont, par exemple, «le recours au covoiturage et aux mobilités actives» (article L. 1214-2 du même code).
Elisabeth Borne pose la question des « nouvelles mobilités » et des conditions de travail pour leur fonctionnement
- Comme prévu c’est bien un « forfait mobilités durables » qui remplace l’IKV (indemnité kilométrique vélo). Il sera limité à 400€ par an (au lieu de 200 pour l’IKV), somme bloquée là pour ne pas alourdir les frais, à ce qui se dit dans les couloirs. L’Etat le paiera à ses agents (200€) mais cela restera facultatif pour tous.
* - Le titre III s’appelle Développer les mobilités propres et actives, et son chapitre 1er : Mettre les mobilités actives au coeur des mobilités quotidiennes.
Il contient notamment l’obligation de doter les parcs de stationnement neufs ou en rénovation de places pour les vélos. Pour la voirie, comme prévu, il contient que l’on devra dégager les carrefours de tout stationnement sur 5 mètres, sauf pour du vélo.
En revanche on ne trouve plus trace de la mise à double-sens cycliste de toutes les rues à 50 ni des sas systématiques.
* - Le titre V sur les mobilités actives assure en son chapitre 2 que sera créée une identification des cycles vendus. Cette identification comprend l’attribution d’un identifiant exclusif inscrit sur le cadre du cycle et, selon une procédure sécurisée, l’enregistrement dans un fichier national unique de cet identifiant et des indications associées permettant d’identifier le propriétaire. L’identifiant doit être apposé par marquage physique sur le cadre du cycle, « sous une forme lisible, indélébile, inamovible et infalsifiable, en un endroit repérable et visible sans manipulation du cycle. Ce marquage permet la lecture par capteur optique ». Les modalités (certificat de propriété, date d’effet de la décision, etc) seront précisées par décret.
On a remarqué par ailleurs que la place des « nouvelles technologies » (les données numériques, la vidéo-surveillance, etc) prenait une place grandissante, faisant dire à Gilles Savary (ancien député, grand expert des transports publics) que l’on basculait des nouvelles mobilités aux nouvelles technologies.
Les regrets
Certains ont remarqué que les péages urbains avaient disparu. La ministre a assuré que cela n’avait rien à voir avec les agitations en cours (qu’elle n’avait d’ailleurs pas évoquées du tout) mais tout simplement parce que personne ne s’y mettait vraiment (contrairement aux zones à trafic limité). Ce matin le président de la République a lui aussi indiqué que les mesures sur le climat seraient prises, que le cap serait maintenu quoi qu’il arrive. Mais que les « gilets jaunes » seraient écoutés en tant que double victimes des errements des 50 dernières années, logements de moins bonne qualité et usage forcé de la voiture…
La Fub (représentation des cyclistes du quotidien) s’est dite satisfaite de ce projet de loi. Moi je note qu’il s’agit d’un texte d’orientation, d’organisation, mais que dedans on trouve des décisions ponctuelles comme l’espace sans stationnement dans les carrefours ou la façon dont le marquage des vélos sera effectué !!! Il a été remarqué aussi que ce texte ne pose aucun objectif à atteindre, ce que semble assumer parfaitement Elisabeth Borne qui parle vraiment de cadrage, de boîte à outils. Chacun devra s’en emparer, la loi étant censée leur en donner désormais la liberté.
Je trouve que le texte est à la fois très bon dans ses parties générales (le vocabulaire, l’organisation), et manquant d’ambition par ailleurs.
Le Président a dit qu’il fallait aller vers des voitures plus propres, la ministre qu’elle était convaincue que l’automobile resterait «la colonne vertébrale» de la mobilité dans les zones peu denses, et qu’elle la veut propre et partagée. Pourtant elle rappelle par ailleurs que 1/4 des ménages n’avait pas d’auto (ce qui fait bien plus en nombre de personnes), et qu’on avait enfermé les gens dans la dépendance à l’automobile. Au moins le gouvernement parle-t-il d’une seule voix.
Elle dit aussi, en réponse à une question d’un associatif (le président de la Fub), que le vélo était bien une solution pour les territoires peu denses, et qu’il fallait lutter contre la sédentarité. Le texte de la loi pourrait être enrichi sur ce point. Sur cette question on peut relire Décarboner la mobilité dans les zones de moyenne densité.
- J’aurais aimé qu’on suggère qu’on pourrait organiser des transports à la demande pas seulement à la campagne, et qu’on devrait s’assurer que de tout bourg ou village on puisse se rendre en ville à pied ou à bicyclette dès lors que la distance est compatible, et que de toute zone habitée (banlieue, lotissements, cités etc) on puisse faire de même, vers le centre-ville comme vers tous les services publics aujourd’hui repoussés en périphérie.
Ce n’est plus un « cadrage » mais ce serait des « objectifs » permettant que les besoins soient satisfaits. Aussi ceux de l’environnement et des coûts.
* - Au titre du cadrage j’aurais aimé qu’on remette à plat le code de la route et ses amendes amères (ou qu’on annonce qu’on allait le faire), et puisqu’on parle de la taille des reculs de visibilité des carrefours, j’aurais bien aimé trouver une confirmation sur le barême fiscal…
L’agitation actuelle n’a peut-être pas eu d’influence sur le projet de loi; en revanche certains croient que leur révolte « de zones périphériques » disqualifie le vélo, le faisant passer pour un truc de bobo, de riche et de grande ville. De là à dire qu’il ne fallait pas faire de provocation, ce serait trop facile, le texte est prêt depuis longtemps. Alors, puisque la ministre a souhaité qu’on n’attende pas la promulgation de la loi pour agir, allons-y, elle a raison, et d’ailleurs cela se fait déjà.
Emilie Gravier, port de Strasbourg : grâce aux nouveaux aménagements cyclistes les entreprises n’exigent plus le permis de conduire pour les nouveaux embauchés.
Relire
- 3 avancées majeures dans le Plan vélo
- Plan vélo : les bases sont posées, et pas plus
- Assises de la mobilité : que doit contenir la Loi ?
- Où trouver des sous pour le vélo ? (les nouveaux financements)
Lire
- Le texte du projet de Loi fait 106 pages. Il n’est pas encore en ligne sur le site de l’Assemblée Nationale. En voici les 26 premières pages, qui sont l’exposé des motifs : 2018.11.26-Projet de loi des mobilités – exposé des motifs. La date de début des débats n’est pas encore connue. Patrick Maupin nous donne en note le lien vers le texte et des informations sur le calendrier.
- Projet de loi d’orientation des mobilités : une « boîte à outils » pour la mobilité du quotidien. Localtis. Un article complet et compréhensible sur le projet de loi. (repéré par Doc Cerema)
- Loi mobilités : des pas en avant mais un projet de loi insuffisant face à l’urgence climatique. L’avis du Réseau Action-Climat. Le projet de loi devra être renforcé dans le cadre du débat parlementaire, pour être cohérent avec les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris et pour répondre à l’urgence sociale et écologique de sortir de la dépendance aux énergies fossiles, au tout routier et à la voiture individuelle.
Avant que le monde ne change vraiment et que, comme à chaque fois qu’intervient une évolution, ce soient les opportunistes qui soient mis en avant, je tiens à remercier tous les activistes du bon sens cyclable (et donc toi Isabelle, Jean-Luc et tant d’autres, dont on oubliera le courage) qui pendant des décennies de bon sens, avez eu l’obsession du commun salutaire, sans jamais la crainte de vous faire railler. Il est temps de vous dire MERCI.
Concernant le « forfait mobilités durables », vous écrivez qu’il restera facultatif pour tous. Les entreprises ne seront donc pas obligées de le mettre en place ?
En l’état du texte, non, comme l’IKV. Mais le texte pourra être modifié par les députés et sénateurs.
Et comme le texte a été déposé en procédure accélérée, il n’y aura qu’une seule lecture dans chaque assemblée… Bonjour la démocratie !
Chère Isabelle, puissiez-vous trouver des relais de terrain favorables à la mobilité, tous motifs, à vélo. En particulier dans tous les Conseils Régionaux et leurs CESER. En effet, chaque Région dans le cadre de son SRADDET, partout en préparation active, peut décliner régionalement le Plan National Vélo sous forme d’un Plan Régional Vélo (nommé ainsi, ou non, mais ambitieux) et viser au plus grand développement possible des mobilités à vélo, spécialement pour le vélo du quotidien. C’est bien Mme Borne qui, lors des réflexions nationales préalables à la sortie de la nouvelle loi mobilité, a affirmé qu’il ne faut pas considérer le vélo avec condescendance. Alors, « en avant » pour notre promotion des mobilités à vélo.
Le projet de loi est bien disponible mais sur le site de Légifrance et sur le site du Sénat qui va l’examiner en 1ère et seule lecture car le gouvernement a décidé la procédure accélérée…
Grand merci pour ces éléments.
Voilà de bonnes bases qui donnent des possibilités pour développer les mobilités non carbonées et les itinéraires de mobilité active aussi bien dans les agglomérations que dans les campagnes. Développer également les transports en commun, cars et trains, en augmentant les fréquences, à la 1/2heure en pointe et l’heure en dehors, et en rouvrant des lignes fermées.
Mais la mise en oeuvre par les collectivités ne sera possible que si tous les cyclistes montrent ensemble leur volonté de se déplacer à vélo par des manifestations de masse, Vélorution ou Convergence, et par un travail avec les associations de transport, pour convaincre que le vélo et un complément indispensable au développement du transport en commun.
En tant que rural, je suis totalement d’accord avec cette proposition : s’assurer que de tout bourg ou village on puisse se rendre en ville à pied ou à bicyclette dès lors que la distance est compatible. Récemment, sur les réseaux sociaux, l’agitateur répondant au nom de 50euros critiquait un politicien qui avait fait remarquer qu’on ne pouvait pas se passer de voiture à la campagne alors que la moindre école et le moindre commerce sont à 5 voire 10 km. 50euros raillait en remarquant que bon nombre de cyclistes urbains font ces distances à vélo.
Or, outre le fait que ce ne sont pas tous les cyclistes qui font 10 km, il oubliait totalement la différence qu’il y a entre faire 10 km de vélo en milieu urbain avec des aménagements cyclables, et les faire en pleine campagne sur une départementale surchargée et non éclairée, avec des camions.
La campagne peut être plus agréable que la ville pour faire du vélo (car il y existe des petits chemins et même parfois des voies vertes) mais aussi beaucoup plus difficile (quand on se retrouve sur des routes à fort trafic). Or, en général, quand on doit accéder à une petite ville où se trouvent l’école et les commerces, c’est le second cas qui se présente. Le premier cas mène plutôt à des champs, des bois, et des petits villages charmants mais sans commerces.
Dans certains coins de l’Allemagne (et dans tous les coins des Pays-Bas) les routes importantes sont bordées de pistes cyclables et ça change totalement les perspectives de mobilité.