Le jeune président de la République française a fondé son image sur l’injonction à se mettre en marche. Comme si la mobilité n’était pas déjà au centre des vies ! De ce jour le malentendu et le rejet sont palpables. Ceux qui traversent la rue pour se cogner dans un mur et qui sont loin de trouver qu’ils coûtent un pognon de fou … ressentent du mépris. Le livre présenté ici est le fruit d’une résidence de deux ans à Denain, pour le compte du Forum Vies Mobiles. Il fait le portrait dessiné ou en roman-photo de quelques unes des familles qui vivent à Denain. Denain, dans le Nord. Mais il commence par l’histoire d’un bassin industriel qui connut son apogée dans les années 70.
Aujourd’hui la mobilité est tellement inscrite dans les parcours de travail que les ouvriers de Denain peuvent être considérés comme des avant-gardistes. Qu’ils travaillent dans les travaux publics ou qu’ils soient chauffeur-livreur, assistante à la personne, lycéen ou étudiante, ils sont tout sauf immobiles. Pour d’autres au contraire l’immobilité est le meilleur garant de l’entraide et de la vie.
Ce livre est absolument à lire, même si vous avez vu l’exposition Mobile/Immobile que je présentais sous le titre de Mobilité, la terrible ambiguïté. Dans les deux cas on y parle du refuge que constitue la famille, le logement et l’immobilité, dans des vies où la mobilité est totalement intégrée mais envahissante. On y parle de la vraie vie des vraies personnes, pas de celle qui est vue depuis le trottoir de la rue du Faubourg Saint-Honoré.
La France est clairement en marche, mais ne trouve pas toujours de bonnes raisons de l’être. Pour le climat, il vaudrait mieux changer de slogan. Peut-être sommes-nous en train de l’expérimenter.
Ce long reportage a été réalisé pour le Forum Vies Mobiles, qui explore les déplacements avec effarement. Il est en quelque sorte une illustration de l’enquête présentée ici (Il faut privilégier ceux qui se déplacent lentement) et ne contredit pas ce qu’a dégagé le laboratoire de la mobilité inclusive (Les exclus du transport ont parfois besoin de l’automobile). Les citoyens ont-ils vraiment l’envie et les moyens de se déplacer toujours plus ?
Le fait que cette mobilité soit parmi les premières causes du réchauffement climatique devrait nous obliger à nous poser, et à nous ré-organiser autrement. La nature semble avoir décidé de nous y obliger. Prenons-le comme notre chance.
Vincent Jarousseau
Les racines de la colère
Deux ans d’enquête dans une France qui n’est pas en marche
Bande dessinée par Eddy Vaccaro
Les Arènes, mars 2019, 22 €
→ Cet ouvrage a reçu le prix 2020 de La bande dessinée d’actualité et de reportage, décerné par France-info.
→ Du même auteur, L’illusion nationale, 2017, avec l’historienne Valérie Igounet, un ouvrage documentaire sur les villes gérées par le Front National (Beaucaire, Hayange et Hénin-Beaumont).
→ Exposition à la bibliothèque universitaire du Havre jusqu’au 17 avril. 25 rue Philippe-Lebon, quasiment en face de la gare du chemin de fer. Fermée, dossier téléchargeable.
Denain va-t-elle mieux?
Je n’ai pas la réponse à cette question, mais, pour les élections municipales, je m’attendais à voir que Denain avait viré aux extrêmes. Il n’en n’est rien. La maire socialiste de Denain, Anne-Lise Dufour-Tonini, a été réélue dès le premier tour avec plus de 57% des voix. Le second est Sébastien Chenu (RN, député du Nord) avec 30,68% des voix. « L’abstention s’élève dans ce premier (et unique) tour à 50,2%, bien en-deçà [bien en-dessous] des chiffres du Nord et de la France métropolitaine, » France 3, 15 mars. Lutte ouvrière a fait 2,2%.
Et voilà que, par l’assignation à résidence, l’immobilité nous gagne tous … mais maintenant je me demande bien comment se débrouillent Guillaume et Aline, Tanguy, Loïc …
Acheter le livre en ce moment ?
→ En vente sur la Fnac (attention, ensuite vous serez assaillis de publicités), sur Rakuten (suivi des livraisons assez approximatif), ou voir sur Babelio. Parcourir ces sites vous renforcera dans l’idée qu’il vous faut absolument lire ce livre. Mais le réseau des librairies indépendantes a fermé son service de commandes en raison notamment de « l’arrêt progressif des services de livraison », que nous montre aussi, par exemple, le magazine l’Express.
J’en conclus que … le mieux est de finir de lire tout ce que vous avez en retard chez vous. N’empruntez pas non plus de livres … le virus reste sur le papier plusieurs heures, au moins 4 jours sur l’acier et le plastique, et très bien dans les gouttelettes de postillons (voir articles dans Le Temps ou chez RFI).
Bonjour, je me permets juste de réagir à votre conclusion sur le partage de livre, ce n’est pas si sûr… Voir Surfaces, aérosols : le coronavirus survit-il partout ? à France-Culture le 20 mars.
Pour le reste ne changez rien 🙂 Bonne continuation et merci pour votre blog !
Il faut dire « Un pognon de dingue ».