La France est une fois de plus épinglée pour la faiblesse des budgets qu’elle consacre au vélo. L’Alliance pour le vélo s’appuie sur un rapport de l’ECF pour réclamer un meilleur traitement. Mais l’argent fait-il tout ?
Nous vous le disions dès 2017, aujourd’hui c’est la Fédération européenne des cyclistes (ECF) qui le rend public. Son rapport sur les financements pro-vélo des différents pays européens classe la France 21ème sur 27 pour l’investissement par an et par habitant.
Par exemple en 2023 l’État français va investir 2,2 fois moins que l’Allemagne : 3,7 €/habitant pour la France contre 6,6 en Allemagne. L’ECF remarque cependant que la France a un nouveau Plan vélo, alors que l’Italie n’en est qu’à son premier et que le Luxembourg a inscrit le vélo dans son nouveau plan de mobilité… (Analyse des stratégies cyclistes pour 44 pays européens. En anglais.)
Entre 2014 et 2020, la France a pourtant reçu beaucoup plus d’aides européennes pour le vélo que ses voisins : 244,3 M€ contre 131,3 M€ pour l’Allemagne ou 88 M€ pour l’Italie. Pour la période cela fait, toutes les sources confondues, une moyenne annuelle d’investissement en France de 1,2 euros par habitant alors que l’Irlande atteignait 36 euros et les Pays-Bas 13,6 euros. C’est la région des Flandres dont les dépenses gouvernementales sont les plus élevées.
Certes les chiffres ne sont pas tout, et de très loin. Kilomètres de pistes et montants financiers ne préjugent ni de la qualité ni même de l’utilité. Une ville mieux aménagée et mieux réglementée pourrait être très favorable au vélo sans qu’aucun budget spécifique ne soit attribué au vélo. Une rue fermée aux motorisés ne coûte presque rien, un carrefour rétrécit peut être compté comme du « piéton ». A l’inverse, l’élargissement d’une route peut être compté, et subventionné, comme voie verte, si elle se trouve à côté. Cela s’est vu. Les chiffres sont à prendre avec des pincettes. Les chiffres ne disent pas tout.
Vélo : plus on fait ce qu’il faut et plus ça roule
(Travaux de Bruno Cordier)
On sait aussi que l’augmentation du vélo dans la circulation tient autant, ou plus, aux grèves et autres bouleversements qu’à l’action des pouvoirs publics, toujours à la traîne, d’ailleurs.
(Les responsables) manquent cruellement d’ambition, leurs « plans vélos » successifs affichant des objectifs situés très en-deça de ce à quoi mène la croissance qui a lieu sans elles, ce qui revient à tenter de freiner l’essor du vélo …
Julien Demade
Paris, une ville piégée par ses illusions technicistes
(Julien Demade)
Ce raisonnement a cependant contre lui le fait que les pays les plus dépensiers pour le vélo, cités par l’ECF, sont aussi ceux dont les villes sont les plus paisibles (exception faite de l’Irlande ?). Peut-être est-ce aussi ceux qui soignent leurs travaux et s’efforcent de ne pas gaspiller leur argent ? L’argent est nécessaire, le soin aussi.
En 2017 Hans Kremers notait que la France ne savait pas bien combien elle dépensait pour le vélo, et qu’en tout état de cause elle ne se donnait même pas les moyens de savoir si elle avait atteint ses objectifs affichés. Sans sou cela reste mou, concluait-il. Sans objectifs clairs on fait n’importe quoi, selon moi. Du chiffre, des kilomètres … à l’aveugle.
L’année suivante Hans Kremers avait calculé qu’il aurait fallu doubler le budget, et commencer par une forte dotation exceptionnelle au démarrage. Avec le Fonds vélo annoncé alors on atteignait 10 euros par an et par habitant, toutes sources additionnées, alors même qu’un certain nombre de personnalités (relevant de l’ADEME, du club des villes cyclables et de la Fub) se seraient contenté de 7 euros. Le manque d’ambition hexagonal était visible.
400 millions pour le Plan vélo
Alors aujourd’hui c’est l’Alliance pour le vélo[1. Alliance pour le vélo : Club des villes cyclables, Vélo&Territoires, Union Sport&Cycles, APIC, Fub] qui prend la relève.
Citant à peu près les mêmes chiffres que nous, elle relève que la France a un des budgets pour le vélo parmi les plus faibles d’Europe, 1,2 euro par habitant. Parfaitement, un peu plus de 1 euro par an et par habitant, là où il en faudrait 10. Les Pays-Bas, puisqu’il faut toujours les nommer, continueront longtemps à caracoler en tête du trafic à vélo puisque, malgré leurs acquis, ils auront dépensé à peu près 11 fois plus par habitant que en France. C’était entre 2014 et 2020.
Un courrier à Mme Borne
Le 5 janvier l’alliance a donc écrit à la Première ministre pour lui demander un peu plus de réel volontarisme.
Après l’annonce prometteuse d’un plan vélo interministériel, l’attente est longue. Les espoirs s’amenuisent. Nous avons déjà perdu 4 mois depuis son annonce. Le contexte budgétaire des collectivités est très délicat et pourrait les contraindre à réajuster à la baisse leur plan pluriannuel d’investissement pour honorer les augmentations des dépenses, notamment des fluides ou de la restauration scolaire.
Françoise Rossignol, présidente du Club des Villes cyclables (etc) et vice-présidente de la communauté urbaine d’Arras (62).
Rien n’a été concrétisé depuis l’annonce, le 20 septembre dernier, du nouveau plan vélo de 250 millions d’euros pour les infrastructures et le stationnement, note le Club. Paradoxe encore, alors que nous en sommes à un tiers des mandats municipaux actuels, 85% des investissements locaux prévus n’ont pas encore commencé à se concrétiser, faute d’aides, semble-t-il. Et ça pourrait continuer. Le Club révèle que le Conseil d’orientation des Infrastructures, prévu fin janvier, irait très en-deçà des 2,5 milliards pour le vélo en cinq ans demandés. Avec celui-ci on aurait 500 millions par an.
Et si nous apprenions à bien choisir nos investissements, nos objectifs, nos stratégies ? Si nous arrêtions de faire des additions et de mettre les moyens au premier plan, au lieu des résultats ? Si nous avions le soin d’évaluer nos Coups de pouce et autres primes, si nous décidions clairement ce que nous voulons atteindre avec nos programmes, pistes et autres voies vertes ? Si nous mesurions nos résultats et constations ce qui manque et ce que nous avons mal fait ? Si nous discourions moins et si nous avions enfin de l’ambition ? Si nous avions une vraie politique du vélo …
La France ne dépense pas assez ? Peut-être.
Ce qui est certain c’est que
la France dépense sans compter !
La France agit à l’aveugle.
- L’article du Monde du 25 janvier 23 expliquant les nouvelles mesures européennes de contrôle sur l’utilisation des subventions ne me donne pas tord : Comment Bruxelles a conditionné le plan de relance de l’UE à des objectifs concrets.
Encore une petite :
La grande naïveté du Plan vélo français
Le Plan Vélo & Mobilités actives, présenté par le Gouvernement français en septembre 2019, est fantaisiste dans ses ambitions et se donne des moyens bien trop faibles. Il est d’une naïveté confondante.
Dans la métropole orléanaise c’est simple, 20% du coût des requalifications de rues sont imputés au budget vélo… pour quelques pictos sur la chaussée en général, ou un diverticule sans intérêt sur le trottoir (bordures comprises, merci bien).
Le manque d’investissement pour la sécurité des cyclistes se voit dans les chiffres de sécurité routière publiés par l’ONISR : sur dix ans le nombre de cyclistes tués sur les routes françaises n’a pas diminué, au contraire. En 2023 ce chiffre va atteindre environ 250 tués, de loin la plus mauvaise performance depuis 2015. Dans le même temps le nombre d’automobilistes tués sur les routes a significativement diminué depuis 2015. Les cyclistes représentent 3% du trafic routier mais 8% des tués et ça se dégrade. Manque d’ambition général dans la protection des cyclistes, à tous les niveaux (communes, agglos, département, région, état).
Tout à fait, c’est un problème de choix de qualité de vie ! A l’heure actuelle : 400 milliards de prévu pour des engins de guerre et quelques miettes pour le vélo …
A Caen, nous avons l’espoir que la municipalité nous suive dans la réalisation d’un grand axe cycliste nord-sud que nous réclamons depuis des années. Notre association s’est lancée dans la conception d’un projet le plus léché possible sur la base de l’existant pour décrire chaque tronçon de cet aménagement que nous appelons de nos voeux. Nous rencontrons prochainement l’adjoint chargé de la voirie cyclable. Cet axe ferait avancer la cyclabilité de Caen de façon magistrale.
Je confirme ! Les quelques axes qui traversent ma ville (Paris) ont radicalement changé la situation. Je n’étais toujours qu’une cycliste, mais à chaque progrès mes distances, et donc aussi ma fréquence d’usage, a bondit. D’abord sortir de l’arrondissement, ensuite passer la Seine pour une dizaine de kilomètres maximum, maintenant traverser tout Paris quasiment sans hésiter (nuit, froid) !
Pour le vélo il faut agir à deux échelles complémentaires, le structurant (dont nous parlons ici) et l’échelle des quartiers, au traitement d’une tout autre nature.