Le colloque d’Orléans, Ecologisation de la vie politique en France depuis les années 1960, était, comme prévu, un congrès d’universitaires proposant le résultat de leurs travaux. Ce fut très riche, et les actes paraîtront, mais pas avant deux ans … J’y ai vu que tous les partis politiques prennent en compte l’environnement, pas de façon linéaire et pas avec les mêmes concepts, et que rares sont les cas où l’environnement prime sur l’économie… Voici quelques éléments recueillis à l’université d’Orléans. L’écologie, ça nous sert à quoi ?
Les noms des principaux informateurs figurent en bas de chaque partie.
La Droite
Déjà présent avant guerre dans des petits partis, l’environnement prend une figure nostalgique avec De Gaulle, mais dès l’époque de Michel Debré on voit la création des parcs nationaux et de la DATAR (1963), la première loi sur l’eau (1964)1dont ne parlent aucun des documents historiques rédigés par la DATAR et la création des agences de l’eau.
La Droite d’après-guerre a eu d’éminents personnages sur les thèmes de l’environnement, Jacques Chaban-Delmas, Robert Poujade (premier en France à exercer comme ministre de la protection de la nature et de l’environnement), Michel Barnier, Nathalie Kosciusko-Morizet … ainsi que Serge Antoine, haut-fonctionnaire qui jouissait d’une forte aura dans les années 90. Son optimisme chrétien lui fait voir, avec Theillard de Chardin, la mondialisation comme un bienfait. Avec Philippe Saint-Marc, Henry de Jouvenel, Louis Armand, il voit la technique comme étant au service de la protection de la nature, vue comme un paysage et un cadre de vie. D’ailleurs il ne prend pas au sérieux le rapport Meadows (Les limites de la croissance, rapport au club de Rome, 1972), il veut en dépasser le concept et faire de la DATAR un outil au service de la croissance.
Serge Antoine, grande figure de l’Environnement institutionnel et tête de réseau … Une réalité bien différente que celle qui m’apparaissait dans les années d’avant 90.
Aujourd’hui la Droite se rend compte que si elle n’investit pas (à nouveau) ce domaine elle perdra les élections, nous dit l’orateur, ses membres veulent « sauver la Droite en sauvant la planète », mais leurs dirigeants n’apparaissent pas très crédibles là-dessus. Les jeunes LR le seraient peut-être davantage puisqu’ils sont donnés pour favorables à une planification écologique, tout en cherchant à disqualifier les Verts (gauchistes, pas sérieux, kmers verts …). Pour la Droite c’est le marché qui fera l’écologie. Son prix de l’Enracinement-Simone Weil a été attribué cette année au maire de Cannes « pour sa politique environnementale et sa vision de l’écologie ».
Plus à droite, Jean-Marie Le Pen traite les écolos de bobos, Marine Le Pen s’en tient d’abord à de timides propos sur le paysage et les animaux (et devient « Marine et les chats »), avant que Bruno Mégret ne s’empare du sujet. Ils ont pour conseiller Hervé Juvin, entrepreneur, intellectuel et conseiller politique très influent au RN. Il est pro-nucléaire et critique les travaux du GIEC.
Quant à la Nouvelle Droite, née en réaction à mai 68, elle pense que la croissance appauvrit l’humanité, elle rejette la mondialisation qui mène à l’apocalypse, et, pour sortir du libéralisme et reprendre le contrôle du territoire, elle propose de bâtir un mur et de copier la Chine.
Pierre Manenti, ministère aux collectivités territoriales et à la ruralité
Arthur Delacquis, université de Paris-Sorbonne
Basile Imbert, université de Montpellier
Adrien Champroux, université de la Sorbonne
La gauche
C’est un peu plus vite vu, car si François Mitterand parle beaucoup d’environnement lors de sa dernière campagne pour les présidentielles, en 1988, il l’oubliera sitôt élu. Déjà en 1981 il avait asséché les écologistes. Son ministre Michel Rocard en revanche fait bonne figure surtout à la fin de sa carrière (il invente la taxe carbone et a tenté de créer une contribution Climat-Energie). On n’oublie pas Huguette Bouchardeau, Ségolène Royal, ou Edith Cresson qui a dit, lors de son discours d’investiture de première ministre, qu’elle souhaitait réconcilier « l’économie et l’écologie, l’industrie et le respect de l’environnement ». Pour elle « la notion d’environnement ne doit plus rester extérieure au processus de production, mais s’y intégrer ». (source info.Gouv.fr). On en verra plus bas le résultat et vous remarquerez que ce n’est pas loin des idées de la Droite.
Le Parti Communiste lui-même finit par s’ouvrir à l’écologie, alors qu’il défend la classe ouvrière et donc l’emploi. On verra plus bas là aussi ce qu’il en est de ces écartèlements.
Christophe Batardy, ENS-PSI
Noëlline Castagnez, université d’Orléans
Philippe Kernaleguen, UVSQ
En Allemagne
En République Fédérale d’Allemagne l’économie sociale de marché contient une prise de conscience environnementale incitant à adapter l’ordre libéral en évitant de changer de modèle économique. L’Etat, qui veut intervenir le moins possible, édicte le principe pollueur-payeur. Ce sont les industriels de l’automobile qui réclamèrent des normes environnementales pour équilibrer à l’exportation les règles édictées par Nixon.
Les Libéraux (gauche) se présentent comme le parti de l’écologie, puis les Grünen veulent rompre le consensus, et mettent seulement 20 ans à devenir parti de gouvernement.
Mathieu Dubois, IEP Rennes
Les écologistes
Les débuts sont difficiles. Mitterrand les étrangle, Brice Lalonde leur fait concurrence et Antoine Waechter, patron du Mouvement écologiste indépendant, ne se veut « ni de droite ni de gauche » et remporte de bons scores aux élections. Yves Cochet voudra accéder au pouvoir, Waechter voulait garder son autonomie.
Génération Ecologie regroupe Brice Lalonde et les Amis de la Terre, les scientifiques Haroun Tazieff, Alexandre Minkowski, Yves Pietrasanta, les centristes autour de Jean-Louis Borloo et de nombreux déçus de la politique du gouvernement socialiste alors au pouvoir. (Source generationecologie.fr). Il y a aussi Alternative rouge et verte, puis Cap21, petit parti de centre droit mené par Corinne Lepage.
A partir de 1992 la pensée écologiste imprègne la pensée politique générale et les interactions entre Verts et parti socialiste deviennent régulières. Yves Cochet est ministre de l’Environnement de 2001 à 2002, succédant à Dominique Voynet. Plus tard on aura Barbara Pompili, François de Rugy, et Nicolas Hulot, plus ou moins compagnons de route ou exclus des Verts. Eva Joly sera députée européenne, candidate aux élections présidentielles…
La plupart de ces personnalités ont eu du mal à être à la hauteur. Aujourd’hui il semble difficile de savoir si la Gauche récupère les Verts ou si les Verts infiltrent la Gauche.
On relève que le parti des Verts a peu de culture commune entre ses membres et entre les générations. Il y a les intellectuels, souvent plutôt des personnalités avant que d’être encartées, et les adhérents, dont l’adhésion est très souvent liée à une lutte locale : Larzac, Malville, Plogoff, étang de Berre …
Ces intellectuels, José Bové, Michèle Rivasi, René Dumont … sont souvent critiqués. De ce point de vue le seul qui s’en sorte est Dumont, l’homme d’un seul coup (la Présidentielle) qui retourna à ses travaux ensuite.
Chez les écolos il n’y a pas de « barrons », donc pas (ou peu) de transmission culturelle.
- La première génération est constituée de soixanthuitards, avec Dany Cohn-Bendit. Ils agissent contre la société de consommation.
- La seconde naît avec Tchernobyl et la « génération Précaire ».
- La troisième s’occupe du climat et est de la génération du covid. Comme nous sommes dans un congrès d’histoire, l’histoire s’arrête là.
Sébastien Repaire, institut François-Mitterand
Frédéric Sawicki, Université Paris 1
François Thiollet, Europe-Ecologie les Verts
Les ambiguïtés des batailles locales auxquelles l’écologie est souvent cantonnée
Ce fut le cas des batailles autour des rejets extrêmement polluants de Lacq, avec beaucoup d’ambiguïtés. L’usine est polluante, mais elle donne un salaire. On a la nostalgie de la vie rurale antérieure (dévastée par les polluants) mais on est fier d’avoir participé à l’économie régionale. En fait il n’y a pas d’opposition de principe à la grande industrie, seulement à celle-ci. Dans la population comme chez les patrons l’économie passe toujours devant.
Pour la centrale nucléaire finalement jamais construite dans l’estuaire de la Loire, abandonnée en 1997, on note les retournements des socialistes, Jean-Marc Ayrault en particulier, qui sont pronucléaires, puis hostiles suite à l’accident de Tchernobyl, puis à nouveau pour au moment où EDF ne veut plus faire cette centrale. C’est une roselière qui bénéficia d’une protection législative vers la fin qui donna le coup de grâce à ce projet!
A Magara, pôle industriel situé en face de Venise, l’odeur de la pollution lente de l’eau finit par inquiéter, surtout à cause des touristes. L’accident de Seveso, en 1976, qui dégage le même gaz qu’au Vietnam, finit le boulot. Se met alors en place une alliance entre marxistes, victimes de la pollution, et autorités sanitaires, environnementalistes. Cela débouche sur … l’autorisation de l’avortement, malgré l’aide reçue des catholiques.
Dans les Pouilles en ce moment, c’est le même scénario. On est écartelés par le dilemme sauver l’emploi donc polluer, ou l’opposition productivisme / environnement.
Julien Marchesi, université de Pau
Anaël Marrec, Nantes université
Marie Thirion, Université de Grenoble
Lionel Pabion, université de Rennes 2
Grégoire le Quang, institut catholique de Paris
Paris, le vélo symbole à tout faire de l’écologie
Il y a peu d’archives pour traiter de la période d’avant 1970, alors que le vélo était déjà devenu LE symbole de l’écologie et avait été abandonné par le monde ouvrier. Sur le vélo on peut rappeler que la guerre en a été l’âge d’or, et surtout que la paix revenue il a aussitôt été refoulé. Seul le sociologue Philippe Gaboriau avait étudié le vélo dans la vie ouvrière.
Moins connu dans le cercle d’universitaires réunis à Orléans, Velocio (décédé en 1930), qui fut le premier apôtre du vélo, associa très vite vélo à sobriété et éloge de la nature. L’auteur cite également le docteur Ruffier (1875 – 1964), que tout oppose à Desgranges, le patron du Tour de France, exactement comme le vélo s’oppose à l’automobile. En effet, dès la période d’entre les deux guerres le vélo est opposé à l’auto et associé aux vertus de l’activité physique dans la nature.
La vision qui fut portée ensuite est ambivalente, entre souvenirs de ravitos et de système D généralisé (dont les protagonistes tirent une fierté) , et défaite, qui n’a rien de joyeux.
C’est de nouveau l’opposition à l’auto qui relança l’intérêt pour le vélo dans les années 60, avec des personnages typiques tels que Mouna.
La première manif, le 22 avril 1972, n’a que le vélo pour thème, sans politisation ni vision globale autre que celle de la pollution engendrée par la bagnole. Le paroxisme de cette période fut la campagne de Dumont, à qui, en 1974, Jacques Essel, le président-fondateur du MDB (Mouvement de Défense de la Bicyclette), fournit des arguments. René Dumont avait fait du vélo son emblème (et d’un verre d’eau son programme, auraient pu dire ses opposants).
Clément Dusong, université Gustave-Eiffel
Conclusion
Si Environnement et Ecologie ne sont pas synonymes, les partis de gouvernement préfèrent parler d’environnement sans songer à modifier le cours de l’histoire et encore moins le système. Il me semble que Droite et Gauche ne diffèrent pas fondamentalement, les deux ont eu de grands personnages publics qui ont marqué l’histoire de l’Environnement. Les écologistes sont parfois sur des positions plus radicales, mais sont amenés à faire des compromis qui finalement ne remettent rien en cause non plus. Ils n’ont pas été plus efficaces, et de loin, que les ministres expérimentés des partis de Gouvernement, et finalement nous en sommes toujours aux prémices. Leur avantage en revanche c’est peut-être leur absence de culture commune, laissant le loisir à leurs intellectuels de s’exprimer totalement hors parti. Ceci étant je suis frappée par le fait que le contexte est rarement vu, l’eau par exemple, en lien avec le nucléaire. Enfin à mon avis peu importe le parti, ce qui compte c’est la conviction, la connaissance intime du sujet, l’énergie, et le savoir-faire. Et ça … cela ne s’improvise pas.
Ces échanges avaient été organisés par Alexis Vrignon, de l’université d’Orléans, auteur de La naissance de l’écologie politique en France, une nébuleuse au coeur des années 68. Presses universitaires de Rennes, 2017.
Bien entendu je n’ai pas tout dit. Pour avoir quelques informations complémentaires sur ce séminaire, vous pouvez aller là où je l’avais annoncé, ou sur le site de la Maison des Sciences de l’Homme du Val de Loire.
¨¨¨
Archives d’ailleurs
Le Monde, 16 mai 24 : 1988-1992, les quatre années qui auraient pu tout changer à la politique climatique française. A la fin des années 1980, la France entame une politique climatique ambitieuse, à la croisée de préoccupations écologiques et d’intérêts nucléaires. Elle sera abandonnée en raison du lobbying des industriels, en particulier celui des énergies fossiles. Extrait.
Le Huffpost, 26 avril 24 : « En 2009, j’arrivais au Parlement européen, sans savoir que j’y consacrerais 15 ans de ma vie » – TRIBUNE. Karima Delli, eurodéputée écologiste, laissera son siège d’eurodéputée le 9 juin après 15 ans entre Bruxelles et Strasbourg. Elle revient sur son parcours et ses combats dans cette tribune.
Expo A Vélo, à Paris. 2 juin à 29 septembre 24.