22 jours en France vus de mon bureau – 04 – Crise sanitaire

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Coups de gueule et bazar prémédité et annoncé, la France est un pays du Moyen-âge et la fin du confinement n’est pas pour demain. Suite de notre panorama du confinement depuis mon bureau.
04Gestion de la crise sanitaire

Vous le savez, beaucoup se plaignent de la façon dont est organisée la lutte contre l’épidémie, et du manque de masques ainsi que d’appareils respiratoires. Entre confinement drastique et diagnostics pour tous les cas douteux et confinement sélectif, il semble bien que c’est la deuxième solution qui aurait été la meilleure du point de vue sanitaire. Mais il aurait fallu y être prêts. 

Je vous ai déjà dit que nous avions été prévenus (article n°3). Hier soir je découvre que Jean-Luc Mélanchon lui-même avait fait un discours sur ce sujet le 2 avril 2017. Il est sur le fil twitter de Gérard Miller.

Le 20 mars on apprend que 600 médecins portent plainte contre Agnès Buzyn et Édouard Philippe pour « mensonge d’État » . Gent Side, 20 mars
On s’inquiète du fait que les tests du coronavirus ne sont pas généralisés en France. Le 21 mars un problème d’approvisionnement est pointé par Jean-François Delfraissy, président du comité scientifique qui conseille le Président de la république.

Le 23 mars l’OMS condamne l’utilisation rapide de l’hydroxychloroquine, la molécule prônée par le professeur Didier Raoult (en photo), très utilisée dans les pays tropicaux (autrefois sous le nom de nivaquine) contre le paludisme. A la télé Edouard Philippe autorise le traitement pour les malades graves et sur décision collégiale. Et finalement, le même jour, on apprend que l’essai de la molécule sera faite exclusivement à l’hôpital public (environ 20 établissements), au niveau européen, et concernera environ 800 personnes en France. Bichat à Paris et le CHU à Lyon ont commencé dès dimanche 22 au soir, la Pitié-Salpétrière aussitôt après.

Des voix s’élèveront pour dire que c’est l’inverse qu’il fallait faire, en donner aux malades encore bénins. Estrosi, le maire LR de Nice, se trouve en forme et demande donc que le remède-miracle soit accessible à tous. A l’hôpital de l’institut hospitalo-universitaire Méditerrannée-Infection, dirigé par Raoult, les Marseillais affluent au dépistage qui leur est proposé, ouvrant l’accès à cette molécule pour les personnes positives. En faisant la queue du dépistage ils s’infectent mutuellement, fera-t-on remarquer … L’infectiologue marseillais, mondialement reconnu, a décidé de lancer une large campagne de dépistage massif et de prescription de chloroquine aux patients infectés par le coronavirus. « Mais son procédé, qui n’obéit pas aux règles strictes d’un essai clinique, suscite doutes et interrogations au sein de la communauté scientifique, qui ne renonce pas pour autant à l’espoir suscité par ce traitement. » (20minutes, 24 mars

Le 26 la molécule est autorisée à la vente en pharmacie, sous prescription médicale. 

Chacun se retrouve médecin en chef et Premier ministre, oubliant une règle pourtant bien connue : l’autorité du chef ne se discute pas.

Pendant ce temps de nombreuses études sont menées en double-aveugle (ou triple …) sur des médicaments eux aussi déjà connus, utilisés pour d’autres fins, ainsi que sur certaines méthodes de la médecine traditionnelle chinoise. D’autres études s’intéressent aux cellules-souches ou aux vaccins. Personne ne dit que la nivaquine ne vaut rien mais rares sont ceux qui en font un produit universel.

La communauté scientifique et soignante ne veut pas brûler les étapes, ni qu’on fiche le bazar dans les services. La communication de Raoult a désorganisé nos services, déclare le docteur Damien Barraud, il en est « monstrueusement en colère« . Cela a notamment généré une « fatigue psychologique inutile » chez les soignants . Les crises, 6 avril.

La science tente de soigner,
alors qu’il faudrait empêcher le virus,
en amont, de se propager. 

Mais peut-être (peut-être…) mieux vaut-il en rire …

Et alors, pour cela, il n’y a rien de mieux que le théâtre !
Voici Le professeur Raoult n’est pas très content, par Florient Brucker dans une parodie de Cyrano de Bergerac. Ouvrez : 

Raoult de Bergerac 

Le 24 le journal Reporterre publiait une synthèse de la question : Dépister et fabriquer des masques, sinon le confinement n’aura servi à rien. Pour sortir efficacement de la pandémie du Covid-19, le confinement seul ne suffira pas, explique l’auteur de cette tribune. Qui rappelle la priorité dans un contexte d’hôpital public martyrisé par des décennies de politiques néolibérales : permettre le dépistage et distribuer des masques de protection. L’auteur s’appelle Gaël Giraud, il est directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), professeur à l’École nationale des ponts Paris Tech’, et jésuite. L’Occident vit au Moyen Âge, nous dit-il. C’est le démantèlement du système de santé européen et nord-américain commencé depuis plus de dix ans [qui] a transformé ce virus en catastrophe inédite de l’histoire de l’humanité qui menace l’entièreté de nos systèmes économiques. Il aurait fallu « un dépistage systématique des personnes infectées dès l’apparition des premiers cas, […] et en plaçant en quarantaine ciblée le (tout petit) nombre de personnes concernées ». Je ne saurais mieux faire que de vous inviter à lire cet article.

Dépister et fabriquer des masques, sinon le confinement n’aura servi à rien

En voici encore un aperçu : 
Le confinement est une stratégie moyen-âgeuse. Notre confinement, s’il est seul, ne sert à rien, et dès sa fin la pandémie repartira. Ou alors il faut parier sur 9 mois de confinement ! « Il faut donc organiser une sortie « précoce » de confinement, au plus tard dans quelques semaines. Prendre collectivement ce risque n’a de sens qu’à une seule condition : mettre en œuvre, cette fois, la stratégie est-asiatique avec la plus grande rigueur. »

Le silence devant l’école remplace le vacarme épouvantable permanent de cette 3° rocade, en pleine ville…

Au Moyen-âge aussi … certains lieux étaient certainement plus atteints que d’autres. Chez nous ce serait en Seine-Saint-Denis, nous rapporte Le Figaro du 4 avril, mais on ne sait pas exactement pourquoi. Pourtant le chef du Samu le sait, «Le confinement est complexe dans les territoires défavorisés comme le nôtre » , «On sait que les maladies infectieuses touchent plus durement les plus précaires, car la transmission est plus facile, et qu’il sont plus difficiles à suivre». 

Au Moyen-âge aussi, l’Etat était faible. Arnaud Mercier dans La Tribune du 24 mars (reprenant la première publication dans The Conversation) l’exprime de façon très détaillée : La France en pénurie de masques : aux origines des décisions d’Etat. Il montre qu’il y a eu déjà pas mal de rapports, mais que au fur et à mesure du temps on a « rationalisé » la gestion des stocks en en déléguant la responsabilité toujours plus bas, contribuant toujours plus à créer les maillons d’une chaîne de dé-responsabilisation. Passer d’une gestion sanitaire à une gestion comptable nous aura perdus. 

Notez bien qu’en 1720, lorsque la Provence était malade de la peste, c’est aussi le confinement qui fut appliqué, et un mur construit à la frontière. Beaucoup des citadins avaient fui dans leurs bastides. Des familles entières trépassèrent. L’université d’Avignon et le tribunal ferment leurs portes, mais finalement ce sont prières et processions qui ferment la marche. Cela aura duré 2 ans et fait 120 000 victimes. C’est sympa que je vous sorte ça ? C’est une publication de FranceArchives en date du 24 février. Voilà des gens avisés ! 

Quoi qu’il en soit, Jacques Attali, qui n’a pas toujours tort, avertit : Commencer à parler du dé-confinement est une plaisanterie du 1er avril. Franceinfo, le 2 avril. Il ne le voit pas avant fin mai, alors que l’académie de médecine envisage celui-ci pour le 15 avril, sous conditions bien sûr. Déjà ??? mais vous n’avez pas fini de mettre de l’ordre dans vos vieilles affaires ! Certains pays européens y pensent déjà, de façon progressive, mais pour la France cela ne semble pas être encore à l’ordre du jour (LCI, 6 avril à 19h30). Le principe de progressivité est désormais acquis, disait BFMTV 2 heures plus tôt, mais le pire de l’épidémie reste à venir. Alors dans une semaine ? Ça m’étonnerait. Pour l’académie ce n’était sans doute qu’une hypothèse d’école, et l’Espagne espère s’en tirer en juillet. 

C’est quoi ce bazar ?

  • Coralie Chevallier, chercheuse en sciences cognitives et comportementales à l’Inserm et à l’École normale supérieure, parle dans Acteurs publics des messages diffusés par l’administration. La science comportementale l’aiderait à faire plus efficace, faire appel à la morale semble plus gratifiant (j’ajoute : comme dans Corneille), et donc plus efficace, qu’un appel à un sens civique abstrait.  
  • Le 2 avril le journal La Tribune pointe sur le fait que « les technocrates français sont pris au dépourvu« . La manière dont les autorités sanitaires françaises ont géré la crise du Covid-19 a fait apparaître de graves dysfonctionnements de l’administration et des choix stratégiques discutables. Certaines interviews sont parfois très cruelles, après coup … la France est devenue « un pays sous-développé en matière de santé ». Cet article retrace toute l’histoire récente de ces quelques 15 jours, et de leurs antécédents. Il explique aussi pourquoi on a tant réduit les budgets de l’hôpital, et comment les responsables se tiennent par la barbichette.
  • On n’a que ce qu’on mérite. Une usine de masques fermée dans les Côtes d’Armor en 2018 : un crève-coeur pour l’ex-directeur… C’est même plus qu’une usine, c’est une usine absolument pionnière qui avait vendu à l’état les masques du virus H1N1 en 2009 et qui vendait dans le monde entier. Voir l’article de FR3-Bretagne, 29 mars
  • Encore pire, et incroyable, révélé par Le point le 3 avrilla France se prive de 150 000 à 300 000 tests par semaine, en négligeant une solution déjà existante… le dossier est à l’étude, le dossier est à l’étude, une rupture de la chaîne logistique serait terrible pour le pays, sur le front la ligne de soldats se réduit mais nous avons des normes réglementaires à respecter…. qui n’embarrassent ni les Allemands, ni les Belges, ni les Espagnols.

Pourtant, nous dit encore Le Point le 10 mars, Quoi de plus rassurant qu’un ministre compétent ? le nouveau ministre de la Santé, Olivier Véran, a fait un sans-faute en matière de communication. Un article très instructif sur l’efficacité de l’explication / l’affichage du pouvoir (« montrer que »), et sur un fil twitter à suivre, celui du ministère des Solidarités et de la Santé.

Coup de gueule

Avec tout ça et le reste on comprend le coup de gueule du 31 mars. Brut diffusait une prise de position forte de Christophe Prudhomme, Médecin et porte-parole de l’association des médecins urgentistes : Coronavirus : La France prête à faire face à l’épidémie? Il plaide pour un dépistage en grand, et pour qu’au moins tous ceux qui le souhaitent puissent l’être. Le but c’est que les porteurs sains n’aillent pas infecter les personnes fragiles. Le nombre important de décès en Italie et en Espagne est dû à la cohabitation inter-générationnelle, très répandue, quasi-absente en France. Il rappelle quand même que pour l’heure ce virus n’a pas tué plus que la 1ère canicule, ou que l’épidémie annuelle de grippe. Avant 1950 de nombreux enfants pourraient de maladies infectieuses (rougeole, polyo…), c’est maintenant fini grâce aux vaccins.
Ensuite il rappelle que tout ça vient des animaux qui ont perdu leur habitat naturel et donc viennent trop près des humains, de la mondialisation, qu’il dénonce depuis 20 ans, et de l’atrophie des services publics. Il déplore que l’Europe ne serve à rien, chaque pays se repliant dans ses frontières et se piquant le matériel.

Pour en finir …

Et pour finir je tombe sur un avis tout à fait désespérant, mais lucide, qui conforte tout ce que je vous ai raconté ici :

« La France, ce pays en voie d’enveloppement »

Les pays occidentaux ont-ils manqué de modestie face à la pandémie ? Un Français témoigne. Il réside au Vietnam, pays aux premières loges de la crise sanitaire, où l’on ne déplore à ce jour aucun décès. Comment font-ils ??? 

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Crise sanitaire : Les pompes à essence et les bécaniciens restent ouverts
01 La semaine d’avant on ne parle que d’environnement / Confinement /
Arrêtés de couvre-feu
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02bis- Attention le vélo n’est plus autorisé pour «faire de l’exercice»
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06 Ça repart ???

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