La Maison des Sciences de l’Homme, à Paris, présentait début novembre le dispositif très élaboré permettant de sauvegarder les cahiers tenus par Peraire pendant le voyage de Lyon au Japon en passant par l’URSS qu’il fit à bicyclette entre 1928 et 1932, ainsi que les photos et objets rapportés.
Ses carnets commençaient à s’effacer, son écriture en voyage n’est pas très facile à déchiffrer et en plus c’est écrit soit en français, soit en esperanto, et même à l’occasion en sténotypie. Cette documentation inédite de plusieurs milliers de pages a été retrouvée récemment au siège de l’association Espéranto-France.
Le site qui contient et présente textes, photos, méthodes …
et même un moteur de recherche
Lucien Péraire, simple ouvrier ayant quitté l’école à 11 ans, avait entrepris ce voyage en Eurasie par idéal pacifiste, après le traumatisme de la guerre de 14 et alors-même que la Russie commençait à se figer en dictature. On est déjà en pleine période de goulagisation, déportation des paysans riches, bientôt famine de l’hiver 32-33 …
Sa seconde motivation est l’esperanto, langue créée à peine 40 ans plus tôt et qui, effectivement, lui facilita grandement la vie.
La troisième motivation était le voyage et c’est celle-là qui attire les cyclistes… comme nos chercheurs, car le voyage à pied ou à bicyclette est le seul moyen de connaître sans jugement le quotidien des personnes rencontrées.
Lucien a tenu son journal chaque jour, décrivant tout simplement ce qu’il avait sous les yeux, sans filtre ni censure.
A son retour il reprend son travail, se blesse immédiatement et ne peut plus travailler, et la guerre éclate à nouveau. Il reprend la compilation de ses notes à la Libération pour en faire un livre, lequel emporta en 1982 le premier prix au concours de Radio Bleue. Les éditions Garnier l’ont sélectionné, mais il n’y eu aucune suite, Michèle Cotta s’y étant opposé.
Là s’arrêtent tous les espoirs de Lucien Péraire, qui finit sa vie 15 ans plus tard, oublié et resté dans la misère, pendant que le livre de Lionel Brans, Seul à bicyclette de Paris à Saïgon, paru en 1950, est encore aujourd’hui une référence incontournable.
Après sa mort, découverte de son oeuvre …
Ces dernières années un énorme travail a été réalisé pour collecter, restaurer, préserver, traduire et mettre ce corpus exceptionnel à la disposition des chercheurs comme du public. Il est constitué des carnets écrits pendant le voyage, mais aussi des cartes postales, photographies et autres objets rapportés (ainsi que des textes réécrits après coup en vue d’une édition, moins fiables). Ceci constitue un fond unique de documentation sur la vie quotidienne en Europe et Asie dans la période de l’entre-deux guerres.
Pour les chercheurs c’est de l’ethnologie et de l’histoire sociale, pour les espérantistes c’est la célébration d’un de leur héros et la preuve de la pertinence de leur langue, et pour nous c’est un voyage à vélo où le voyageur raconte fidèlement tout ce qu’il a vu, sans se mettre en avant et sans se livrer à des analyses ou jugements. C’est aussi le premier voyage à vélo roulant sur des rails (par un dispositif créé sur place par Péraire, bien avant Magnouloux1Tandem sur le rail, 1994).
L’exposition expliquant le processus d’archivage devrait tourner, elle devrait d’abord être montée à la Maison du vélo de Paris puis au centre culturel espérantiste de Montpellier.
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Documentation
- Lucien Péraire, tra la mondo per biciklo kaj esperanto, centre espérantiste de Toulouse.
- Lucien Péraire 1906 – 1997, wikipedia
- L’Eurasie à vélo, compilation ordonnée du fonds Péraire, objet du présent article.
- À Travers le Monde à Vélo et en Espéranto, par Lucien A. Péraire, traduit de l’Espéranto par Dimitri. Biblio-cycles, décembre 2008. Cette publication est constituée des carnets de voyage et de certains textes postérieurs, sans que cela soit précisé.
En 1986, avec Roue libre de Rennes, mon club de l’époque, nous avons organisé une rencontre nationale de cyclo-camping.
En 1985 j’avais contacté Lucien Péraire, qui habitait Saint-Cast (Côtes d’Armor) pour sa venue lors de la rencontre en 1986 afin d’une discussion – échange avec les cyclos-campeurs concernant son voyage de 1928 à 1932 .
Il aurait souhaité que la rencontre se fasse en 1987 (centenaire de la création de l’espéranto) mais notre date de 1986 était retenue. Finalement il n’est pas venu à Rennes en 1986.
Maryse, mon épouse, et moi sommes allés chez lui plusieurs fois pendant quelques années. Les discussions étaient très intéressantes.
Je lui ai proposé de publier son manuscrit ; il y a eu des échanges avec la fédération espérantiste de Paris, Henri Bosc (FFCT) et Lucien. Malheureusement il n’y a pas eu de suite. Je ne me rappelle plus pourquoi.
En 1988, j’étais dans le Finistère, très occupé par mon travail.
Un cyclo-campeur de Lille et espérantiste, sous le pseudo de Dimitri, a publié en 1995, comme indiqué, une version simplifiée du voyage de Lucien.
Nous avons revu Lucien en 1989 et 1990 mais il était affaibli physiquement.
Incroyable qu’il n’y ai pas (encore) de livre édité sur ce valeureux témoignage.
C’est la malédiction des grands et des premiers … Espérons cependant que quelqu’un s’y mette enfin, maintenant que le travail sur les archives a été fait.