Le vélo est partout, et il est un objet de socialisation et de définition de soi. Son positionnement social reflète des périodes de l’histoire. En ce moment il est un emblème des catégories supérieures, comme à ses débuts. 42% des Français trouvent qu’aller à vélo est plus élégant qu’aller en auto, nous dit David Sayagh dans son livre Sociologie du vélo, récemment paru. Lorsque le vélo était l’apanage des ouvriers il était un repoussoir pour les patrons, nous rappelle-t-il, ils n’auraient jamais voulu se rendre au siège comme ça !
Si le vélo fond aujourd’hui chez les enfants, il est largement adopté chez les jeunes adultes, plutôt sous des formes ludiques. Voilà de quoi réfléchir.
Nous avons ici à la fois un livre de chercheur, dans lequel on aurait préféré moins de références, qui servent surtout à nous montrer qu’il n’invente pas, et plus d’explications nous permettant de dégager quelques idées claires sans crainte de ne pas avoir suivi. Pour ma part j’ai au moins compris (ou deviné) pourquoi mes parents me laissaient aller le soir faire de grandes virées à vélo. Je pense qu’il était évident pour eux que je saurais me débrouiller seule s’il m’arrivait un problème. J’étais passée du scoutisme au cyclisme et j’avais 16 ans.
L’auteur s’attarde beaucoup sur les différences d’appréhension du vélo selon qu’on est femme ou homme, fortement sensibilisé qu’il est à ces questions. Cela ne suffit pas. Si la Fub s’intéresse aux femmes elle s’occupe peu des inégalités sociales, déplore-t-il.
Ce livre ne peut être réduit à ces considérations, même si elles occupent pas mal de place. Je me suis réjouie par exemple de lire page 29 que « l’assimilation légale du VAE aux cycles constitue une incohérence dans la construction juridique qui mériterait d’être questionnée », puis page 31 que les pratiquants de VAE ont plus d’autos que les cyclistes et même que la population. « L’usage du VAE (chez les jeunes) renforce leur paresse et les rend moins enclins à prendre du plaisir dans l’effort » remarque-t-il. En zones difficiles de montagne les récits tournent plus autour de la batterie que des marmottes.
Or le vélo « façonne les rapports à l’espace et à l’environnement », il favorise la prise de conscience multi-sensorielle de notre relation aux éléments. En résumé l’expérience cycliste est « propice au renforcement des capacités d’adaptation aux aléas de la vie ».
L’originalité de ce livre est la recherche de ce qui façonne les manières de penser et de rouler à vélo. On y voit l’imbrication de différentes formes de pratique, un sujet qui importe lui aussi beaucoup à l’auteur et trouve son illustration sur la couverture : les vélos des extrêmes se rejoignent. « La domination de la culture masculine blanche » est également un marqueur, renforcé fortement sur ce thème par le rôle des applications.
Concernant les dames l’auteur nous fait comprendre que ce n’est pas le vélo qui les libère. Le rôle de la pratique du vélo est de favoriser des dispositions, attitudes ou comportements qui sont favorables à leur émancipation. Il faudrait aussi qu’on cesse de leur conseiller de « ne pas forcer », d’éviter les côtes, etc, ce que j’ai toujours fait pour mon propre compte. Aïe !
Enfin, dans sa conclusion il dézingue la notion de « mobilité active » qui culpabilise ceux qui ne sont pas armés pour répondre aux injonctions dominantes. Dire « mobilités actives » est une stratégie de distinction, selon lui. Je ne me suis pas sentie attaquée mais interpellée. Je vous souhaite qu’il vous arrive la même chose. Et je me prend à souhaiter que l’auteur décline tous ses sujets séparément, afin qu’il ait plus de place pour les développer. Cela n’empêche que, armée d’un crayon, vous aurez comme moi des révélations si vous vous attaquez à ce livre. Il ne fait qu’une centaine de pages si on lui enlève sommaire et sources.

David Sayagh
Sociologie du vélo
Editions La Découverte, octobre 2025
David Sayagh est sociologue, maître de conférences à l’université Paris-Saclay et membre de l’équipe Corps, sport, genre et rapports de pouvoir du CIAMS. Depuis sa thèse sur les socialisations cyclistes durant l’adolescence, il mène des recherches sociologiques consacrées au vélo.
Je l’avais rencontré en 2022 à la Journée Mobiscol de Lyon.
(22 octobre) Si je me suis prise à « souhaiter que l’auteur décline tous ses sujets séparément afin qu’il ait plus de place pour les développer » c’est bien parce que son livre ouvre de nombreuses pistes d’étude ou de réflexion, mais qu’il n’y répond pas toujours. Cela pourrait laisser certains lecteurs sur leur faim.
J’apporte cette précision parce que cela semble n’avoir pas toujours été perçu et qu’il n’est jamais bon de tromper ses lecteurs. Souhaitons donc que l’auteur publie bientôt de nouveaux textes !
Compléments sur le fond, tirés de ce blog :
▶️ Chapter 8: What Makes Women Stop or Start Cycling in France? – David Sayagh, Clément Dusong and Francis Papon.
Source : Veille éditoriale du forum Vies mobiles. Issu de ma Revue de presse vélocipédiste de janvier 2022
On sait aussi que les femmes utilisent davantage les vélo-cargots « familiaux » (par opposition aux vélo-cargos professionnels), pour les raisons qu’on imagine. Mais dans les professions de cyclo-logistique il y a fort peu de femmes, idem parmi les coursiers. Parmi les vélo-voyageuses les ouvrages les plus originaux sont souvent conçus par une jeune femme (cf mon blog : Aurelia Brivet et Florence Ramel). L’industrie du cycle continue assez largement à ignorer les femmes.
▶️ Il faut bien reconnaître que la plupart des statistiques portent sur les chiffres par « mode », auto, TC, vélo, marche… Voir dans la revue de presse de début février 2017 : 1,9 % des gens qui travaillent y vont à vélo.
▶️ Dans la Revue de presse de juillet 25, article Vélos en ville : des tensions qui « résonnent comme des conflits de valeurs et de classes. (Reporterre) qui va tout à fait dans le même sens que David Sayagh.
▶️ On a cependant des chiffres genrés sur les enfants. Ce pays où les enfants ne jouent pas
▶️ Vélo-boulot = mollo, où il y a une illustration graphique qui différencie les sexes et qui renvoie au journal le Monde :
▶️ Qui sont les 2 % de Français qui vont au travail à vélo ? Seuls 2 % des actifs pédalent pour aller au travail, même pour des courts trajets. Ce sont surtout des hommes, cadres, habitant en ville.





J’adore votre phrase : « En zones difficiles de montagne les récits tournent plus autour de la batterie que des marmottes. «
Merci pour la recension.