Les livraisons explosent, l’asphyxie des villes menace

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Les livraisons explosent et obligent les villes à (enfin) prendre des mesures sérieuses pour les organiser. Elles prennent enfin conscience que la logistique leur est aussi vitale que les réseaux d’eau ou de transportsImmeubles, hubs, réglementation, stationnement, organisation et revalorisation de la profession… tout cela se fait, mais l’asphyxie des villes n’est pas pour autant écartée.
Cela fut débattu lors de l’une des dernières rencontres des Assises de la mobilité, le 28 novembre, à Paris. [20 h 47. Une vidéo ajoutée vendredi soir sur ce qui se pratique à Bruxelles.)

La livraison aux particuliers et aux entreprises de ville ont changé de nature et posent des questions difficiles
6% des colis sont désormais des petits paquets. Ils représentent 10 à 20% du trafic, 25% du CO2 rejeté par les transports, 1/3 de l’oxyde d’azote, et la moitié des particules fines.

Les distances réelles parcourues par ces petits paquets ont triplé depuis 1970 car, alors que les kms parcourus par la livraison diminuent depuis la plateforme logistique, la provenance réelle des biens s’éloigne.

Paris était (du temps des Halles) ravitaillé sur son propre environnement, un rayon de 10 à 30 km. Si on y pense bien, aujourd’hui c’est 2000 à 3000 km.

Twitter. Le lien vers la vidéo est donné en fin d’article.

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Le nombre de colis explose
En 2016, dans un seul immeuble new-yorkais de 300 appartements, on a compté 70 colis par jour. A Canton de nombreux halls d’immeubles sont déjà équipés de consignes à colis. Selon Valérie Lacroute[1. Valérie Lacroute, députée, chargée du rapport du groupe intermodalités dans les Assises de la Mobilité.] il y aurait en Ile-deFrance 10 livraisons par habitant et par an, en point relais ou à domicile.

Pour Jean-Louis Missika[1. Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris chargé de l’urbanisme, de l’architecture, du projet du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité.] il va falloir que les clients finaux réalisent qu’acheter sur internet peut créer des embouteillages, et que tout cela ne saurait rester gratuit, alors que cela ne l’est pas.
Par ailleurs, si la livraison est nécessaire au commerce de proximité, la livraison des achats faits sur écran lui fait une concurrence sérieuse.
Les citoyens ne se rendent pas compte de ces « passagers clandestins », selon l’expression de Jean-Louis Missika. L’accès gratuit au stationnement et la livraison gratuite mettent en péril la commercialité des rues.

 

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La logistique du dernier kilomètre est une activité difficile, et peu régulée
L’emploi lié à la logistique du dernier kilomètre, vers les bureaux ou boutiques notamment, sans même parler de l’alimentaire, échappe largement au droit classique du travail.
Les coursiers sont souvent auto-entrepreneurs, toujours organisés par smartphone, et souvent à vélo[1. La livraison depuis les supermarchés en camionnette n’a pas été évoquée, mais les Parisiens connaissent tous ces camionnettes blanc et bleu en perpétuelle infraction sur l’arrêt ou le stationnement.]. La profession de coursier lourd et rapide n’existe que depuis 3 ans environ, et n’est pas sans poser des questions de sécurité routière et de statut, quoi qu’en dise le patron d’une de ces compagnies, invité ici. Celui-ci précise que chez lui les coursiers sont en CDD, mais, ajoute-t-il mezzo-voce, presque tous en temps partiel[1. J’ai présenté cette société à l’occasion d’une offre d’emploi.]. Sa DRH reconnaît que le métier est difficile et que le recrutement en est rendu délicat.
Il nous explique que chez lui le choix du vélo (qui plaît tant au public) provient du simple fait qu’il est moins cher car il n’y a pas de « licence »[1. Ce choix du vélo par économie d’entreprise contraste avec la passion du vélo constatée chez les coursiers, que j’ai eu l’occasion d’évoquer à plusieurs reprises, dans l’article du blog sur leur championnat ou dans le n°9 de Cycle!magazine.]/[1. Un récent article tend à montrer que, en l’absence de cet avantage, la livraison à vélo ne serait pas plus économique qu’en camionnette. Le coursier à vélo moins compétitif que la fourgonnette.]. Au moins n’a-t-il pas tenté de se faire passer pour vertueux.

 

 

La figure de l’entrepôt en lointaine zone est en train de disparaître
Les activités logistiques, autrefois cantonnées aux limites des villes, sont maintenant dispersées à l’intérieur, quelque fois même en étage comme on l’a vu à Séoul ou à Barcelone. Dans cette dernière ville, Amazon occupe une ancienne imprimerie en plein centre-ville et peut servir ses clients en moins de deux heures dans un rayon de 200 km… ce qui ne doit pas plaire aux libraires de la ville. A Beaugrenelle, Paris-15°, la Poste dispose d’un site de 3500 m2, ce qui aurait réduit de 35% les kilomètres parcourus par chronopost.
Plusieurs exemples parisiens ont été présentés, qui montrent les profondes évolutions, et l’adaptation aux contraintes.

  • A Pantin l’espace de 1000 m2 reçoit des camions en provenance d’Arras comme de Rungis. Il est installé sous le boulevard périphérique.
  • Le centre Chapelle international, bientôt construit et exploité comme le précédent par Sogaris, sera à la fois un immeuble de logistique et de logements, comme sera dans doute aussi celui de Bercy-Charenton.
  • A Vitry les Ardoines ce sont 40000 m2 qui sont en cours de construction. L’architecte est le même que celui de la rénovation de la tour Montparnasse, garantissant ainsi la noblesse du bâtiment.
  • En plein centre de Paris, aux pieds de la Maison de la radio et à deux pas du ministère des Affaires étrangères, se met en place un centre de logistique de 7000 m2, et d’approvisionnement en carburants propres (électricité, hydrogène, GPL …). Il réutilise le parking et la station service à laquelle on accédait par la voie express qui longe la Seine. Au-dessus sera construit un espace tertiaire assurant l’équilibre financier de l’ensemble.

La logistique devient une filière d’excellence, où réactivité, innovation et bidouille, adaptation permanente sont de mise, tout comme désormais les moyens électroniques les plus sophistiqués. C’est également devenu une activité immobilière importante.

La destination finale change aussi de figure
Des réseaux de dépôts, ou micro-hubs, se développent partout en pleine ville et ont besoin d’un maillage dense. A Pékin la plus grosse compagnie en a 400. Paris en avait déjà 200 en 2010. Ce sont autant des lieux spécialisés, avec ou sans consignes, que des coins chez un commerçant.

  • La RATP a des stations d’information et réception des colis dans certaines grosses gares, qui marchent très bien nous dit-on. La Poste a ouvert des espaces de consignes à l’entrée de ses bureaux, et les ouvre 24 h sur 24.

Le succès du dernier kilomètre dépend de la qualité et de la densité du maillage. Il concerne autant la livraison à la maison que les commerces et activités en centre-ville, mais la livraison aux particuliers encombre les rues et concurrence les commerces des centre-villes.

La puissance publique locale doit assumer ses responsabilité
Les professionnels de la logistique ont besoin de sécurité réglementaire, et de sécurité pour leur approvisionnement, quitte à faire monter les prix de cet immobilier. Pour tout le reste ils font preuve d’agilité et d’adaptation, a-t-il été répété à l’envi.

La Ville de Paris a donc créé dans son PLU les ELV, Espace de Logistique Urbaine, au nombre déjà de 60, sur site existant (la Poste, la SNCF…) ou non. L’appel à projet Réinventer Paris 2 pourrait voir la candidature de nouveaux ELV dans les parkings en sous-sol.
D’autres idées sont présentes, comme l’utilisation de gros camions venant se stationner sur voirie, libérant une flotte de petits véhicules.

Au total la vraie question est celle du trafic et du stationnement de surface. 
C’est le rôle des villes et elles ont les outils pour ce faire, notamment réglementaires. Les contrôles peuvent bien être automatisés, l’essentiel est que la réglementation soit homogène sur un territoire, qu’elle soit claire et qu’elle soit parfaitement appliquée. Horaires, périmètres, catégories de véhicules, ces règles relèvent bien des autorités locales.

Paris a proposé dès 2001 une charte aux entreprises concernées, revue en 2013, où la question du silence est notamment bien présente. Le club Demeter[1. Le Club Déméter regroupe les acteurs de la chaine logistique afin de développer des pratiques de logistique durable à travers l’expérimentation et la collaboration.] a créé la chaîne du silence (moins de 60 décibels), qui permet de développer la livraison de nuit, avec de plus gros véhicules et donc moins souvent, ce qui demande des dispositifs (sas) particuliers puisque le personnel est absent. C’est compliqué, mais payant. Pour les chauffeurs c’est aussi beaucoup moins de stress.

 

Attention, prévient Jean-Louis Missika, certains se croient les maîtres du lieu, certains demandent même l’accès aux couloirs de bus ! D’où l’importance de créer des zones à accès limité. La bordelaise rue Sainte-Catherine, piétonne sur 4 km, n’est-elle pas la plus grande zone commerciale d’Europe ? Rien d’impossible, lors de la création la Low Emission Zone de Londres, 98% des véhicules étaient en règle dès le 1er jour.

Le règne de l’open-bar, comme dit Missika (on « prend » au supermarché comme au frigidaire ou sur le site web) devra un jour être payé au juste prix.

Voici un très bon résumé en vidéo de cette séance (2,36 minutes).
Et ici une vidéo qui montre ce que fait la Commune de Bruxelles.

  • Les livraisons éparpillées pourraient faire se gripper le système d’approvisionnement des villes. Cette matinée n’a sûrement pas épuisé le sujet.

—Notes—

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Tissot
7 années

La livraison au client final participe certes à l’asphyxie de la ville. Mais comment faisait-on avant? C’était l’acheteur qui se déplaçait et je ne comprends pas bien comment il ne pouvait pas lui aussi générer des pollutions dans ses déplacements. Allait-il à pied? à vélo?… J’en doute.
On voit bien que derrière ce plaidoyer anti-livraison, il y a en cause le jeu des grandes entreprises commerciales de l’internet… et l’inévitable déclin du petit commerce en ville.
Contrecarrer ce phénomène ne va pas être simple. Bon courage aux citadins ! A la campagne, on est très contents de ces livraisons rapprochées.

Lomig
7 années

Dans le modèle précédent, où l’on allait soi-même acheter un objet de petites dimensions, il est clair que le Parisien pouvait se déplacer à pied (ou à vélo). S’il se fait livrer, il est probable que cela occasionne l’arrêt d’un véhicule de livraison au pied de son immeuble, même pour un petit paquet, à moins qu’il ne tienne sur les chariots de livraison des facteurs. Le commerce en ligne à coût de livraison nul ou faible (moins de deux tickets de métro) constitue une incitation forte, qui a dû augmenter la consommation globale en volume, et accentuer les soucis décrits dans l’article.

Lucien
7 années
En réponse à  Lomig

Plus qu’une incitation, un leurre, comment peut-on s’imaginer une livraison gratuite? Comme si les transporteurs travaillaient à l’œil. L’envoi de mon commentaire ne me coûte rien, est-il gratuit pour autant?

Adrien
6 années

Il n’est habituellement pas rare que, dans les débats sur la voiture en ville, la livraison soit présentée comme une des solutions vertueuses (en complément d’un usage quotidien du vélo ou des transports publics au quotidien) pour se passer totalement de voiture quand on est citadin. En général, sa mention s’arrête là.
Si cela est bien réel, cet article clair et détaillé montre qu’elle n’est pourtant pas sans poser des problèmes. Dans une ville de la taille de la mienne (Besançon) ça se voit un peu, surtout le matin, mais ça reste assez supportable. Mais à chaque fois que j’ai fait du vélo dans Paris le matin, même en plein mois d’août, j’ai constaté que certains aménagements cyclables étaient couverts sur toute leur longueur de véhicules de livraison : certains couloirs de bus n’étaient plus praticables qu’à vélo (tant mieux pour moi) tandis que certaines bandes cyclables disparaissaient totalement.
Au final, à l’échelle individuelle, se faire livrer quelque chose est plus vertueux que d’aller l’acheter en voiture (car on mutualise un peu le transport), mais moins vertueux que d’aller l’acheter soi-même à pied ou à vélo.

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