Une nouvelle Convention ??? Pourquoi faire ? Commençons par parler clair
La sémantique a plus d’importance que vous ne le croyez. Les grands auteurs (Claude Lévi-Strauss par exemple) nous disent que l’usage des mots est un miroir de la réalité perçue, il est même admis que c’est le mot, ou le « dire » qui fabrique la réalité (selon les 3 religions monothéistes notamment). Si deux objets portent le même nom on ne les distingue pas, l’objet n’existe qu’à partir du moment où on peut en parler, où on a un mot pour le désigner. Tout cela est de l’actualité, car c’est le verbe qui fait le fait comme nous l’expliquait notre grand ami Paul Fabre concernant l’Histoire.
Il n’y a pas de vélo chez Monsieur Vergriete
Aucun conseiller du nouveau ministre des Transports n’ayant pour attribution la marche, le vélo, les mobilités actives ou les véhicules intermédiaires, il est visible que ces réalités n’existent pas pour M. Vergriete. Voir Patrice Vergriete est le nouveau ministre des Transports.
Là dessus je me trompais. La nomination de la conseillère est intervenue le 7 mars. Sa responsabilité est tout de même floue : mobilités durables.
Quand les mots sont flous rien ne tient debout
Il en est de même lorsque le Gouvernement signe un décret pour renforcer les obligations du secteur public quand aux achats de biens de seconde main ou contenant des parties recyclées. C’est bon pour la planète, mais peut ne rien vouloir dire. Le 23 février le journal Localtis nous en fait une jolie démonstration sous le sous-titre de Quand c’est flou :
Quand c’est flou…
Les catégories de produits ayant été refondues, il n’est pas aisé de comparer les deux textes. Par exemple, la catégorie « bicyclettes » disparaît, et il restera à déterminer si les cycles émargent désormais au rang des « engins de transport » ou des « véhicules » (lesquels faisaient partie précédemment d’une seule et même catégorie). Dans le projet d’arrêté soumis, mais non publié, on notera ainsi que les « véhicules » (la mention « à moteur » a disparu) visaient ceux à » 2,3 et 4 roues », mais que les « bicyclettes et trottinettes » relevaient des « engins de transport »… On imagine par ailleurs que la disparition de la catégorie « sacs d’emballage » est en partie compensée par la nouvelle catégorie « équipement de collecte des déchets », même si les deux ne coïncident qu’imparfaitement. On notera encore que si la catégorie « Matériel d’entretien des espaces verts » fait son apparition, la catégorie « Vaisselle » a, elle, disparu. En revanche, alors que la catégorie « Jeux et jouets » avait été retirée dans le projet de texte, suscitant un véritable tollé, elle a bien été rétablie dans le texte publié.
Localtis, Une commande publique davantage « circulaire » ?
23 février 2024
J’ajoute une lecture complémentaire du texte : Véhicule ne serait plus synonyme implicite de voiture, et compterait les cycles à 2 ou 3 roues (ce qui n’est pas forcément une bonne chose, car avoir dans le même sac réglementaire camions et vélos ne nous a jusqu’ici pas beaucoup aidés), mais alors qu’est-ce que c’est que ces « engins de transport » parmi lesquels il y a vélos et trottinettes (faut-il là aussi confondre les deux ? Pour les statistiques d’accidents ou le caractère actif certainement pas.)? Moins grave peut-être, surtout si on parle de vélo, la vaisselle achetée dans les brocantes n’existe plus comme affaire recyclée, peut-être devient-elle oeuvre d’art ? L’article ne le dit pas.
Des Assises de la mobilité ? La Fub est sur ses gardes
Alors on comprend la méfiance de la Fub lorsqu’elle apprend le 28 février que le même ministre entend réunir une convention citoyenne sur les mobilités et les transports. On sait ce qu’il advient des conventions citoyennes, leurs résultats vont directement au compost. On sait aussi ce qui peut arriver quand on parle mobilité et transports. Souvenez-vous des « Grands débats » pour calmer les Gilets jaunes; souvenez-vous de nos Assises de la mobilité de 2017 … dont il se dit que les résultats attendent encore dans une caisse en carton sous une table (au bout du couloir de droite) : Atelier des Assises de la mobilité : c’était bien pour préparer une Loi ? On a vu aussi ce que la SNCF fait de la concertation … 🎶
J’ai déjà relevé que l’UITP jouait sur les mots, parlant de mobilité pour récompenser des ingénieurs des transports, mobilité étant sans doute plus inoffensif pour les oreilles sensibles ? Ça pourrait aller si « Transports » était inclu dans « Mobilité » à l’égal de Marche et Vélo, mais encore faudrait-il le dire. Mobilité est-il synonyme de Transports ? Non bien sûr, mais vous pouvez faire comme si c’était le cas, si cela est votre intérêt. Je l’ai souvent vu en octobre.
- Octobre 2017 : La « révolution des mobilités » pourrait finir en modernisation des transports. Quand un forum sur les « mobilités durables » est international et organisé par une compagnie de transports, ça donne … des discours de patrons de compagnies de transports.
- Octobre 2019 : Une réunion de spécialistes du numérique pour parler de mobilité. Ou l’on voit l’étendue des malentendus.
- Ou même octobre 2016 : Assises du transport et de la mobilité, une annonce qui se termine par «métiers du secteur du transport et de la logistique». Peu importent les mots, hein ?
Il y a 30 ans on avait déjà perdu le mot Vélo
Remarquez, le mot vélo était absent aussi des attributions de Amélie de Montchalin, la ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires (Toujours pas de vélo au ministère, juin 2022) Elle est restée à ce poste un mois … mais ce n’est pas lié au vélo. Clément Beaune non plus n’avait pas ce genre de gadget dans ses attributions, mais au bout de 2 mois et quelques gaffes il eu une conseillère « innovation, mobilités actives et partagées, stratégies de mobilité » (Une conseillère aux mobilités actives vient d’être nommée chez le ministre !, 8 septembre 2022). Elle a fait ce qu’elle a pu.
En 1989 le Livre blanc de la Sécurité routière ne nommait le vélo que deux fois, dont l’une comme « véhicule à deux roues sans moteur« . En 1990, les Français présents au congrès international Vivre et circuler en ville (tenu à Paris) ne citaient que trois protagonistes de la rue, l’auto, le transport public et le piéton. Les autres congressistes en avaient quatre. L’écologiste Dominique Voynet elle-même, lorsqu’elle était ministre de l’Environnement (1997 – 2001), n’a jamais prononcé le mot vélo en public. Elle lui tournait autour : « usagers non-motorisés de la ville« , disait-elle, de peur d’avoir l’air écolote, m’a-t-on rapporté. Je raconte tout ça dans C’est sérieux votre histoire de bicyclette ? – Cahiers de médiologie n° 5, mars 1998.
Et souvenez-vous qu’à une époque lointaine on ne parlait que des « deux-roues » (dans le recensement, ou pour le salon de la porte de Versailles, par exemple, qui était un salon de la moto avec un coin pour les vélos). Progrès en 1992, l’excellent bouquin fondateur Sécurité des routes et des rues (CETUR) consacrait son chapitre 11 aux « deux-roues légers », comme l’ouvrage de l’IAURIF en 1976 intitulé Les deux-roues dans la ville1disponible à la bibliothèque universitaire de Caen. Figurez-vous que l’ambiguïté est un mal qui se cultive. Il y a quelques jours je recevais une invitation pour le salon du 2 roues 2024 (ce sera à Lyon). On nous y annonce que leurs marques de motos et cyclomoteurs sont « engagées dans les mobilités de demain« . La différence c’est que les auteurs de 1976 et 1992 y mettaient aussi les vélos, et que de l’eau a coulé depuis ces temps héroïques …
Et pourtant, finalement, le mot vélo n’est pas mort ! Il faut croire qu’il est costaud.
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Je vous épargne mes rengaines sur le fait que le « vélo à assistance électrique » ne devrait pas être confondu avec le vélo (autrefois ils étaient regroupés mais restaient distincts), ce qui simplifierait sérieusement les débats et les statistiques d’accidents. Mais si vous y tenez, c’est ici : Attention polémique : les VAE sont-ils bien des vélos ? On y voit en quoi le vocabulaire est utile au commerce… et si vous ne me croyez pas comptez les « ludique » qu’on met partout – pour nous faire croire que la vie est un jeu d’enfant ?
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Ma conclusion c’est qu’on n’a pas forcément besoin d’une « Convention » de plus, et que tant que le mot « vélo » ne figure pas dans les discours c’est comme si le vélo n’existait pas.
Et vous, monsieur Vergriete, de quoi souhaitiez-vous parler ?
Posté après coup : Le forum Vies Mobiles est lui aussi réticent à de nouvelles conventions.
Notre principal point de désaccord est que la démocratie participative ne doit pas consister à demander aux citoyens de se substituer aux élus pour proposer des lois, comme ce fut le cas lors de la Convention Citoyenne pour le Climat. Elle ne consiste pas non plus à exiger des citoyens qu’ils deviennent des experts du transport en quelques jours ou semaines. Son objectif principal est de permettre aux citoyens de définir les objectifs et la finalité des politiques :
➡️ dans quel type de société souhaitons-nous vivre ?
➡️ comment envisageons-nous nos déplacements dans le futur ? à quelles fins et à quelle fréquence ?
➡️ comment voulons-nous organiser nos activités dans l’espace et dans le temps ?
➡️ quelles sont nos priorités ?En d’autres termes, les citoyens doivent pouvoir définir et porter leur vision d’un monde dans lequel ils aimeraient vivre, sans nécessairement se prononcer sur les détails techniques ou financiers des mesures à mettre en œuvre pour y parvenir.
Linkedin, 16 mars 24
Pour reprendre une formule célèbre : quand c’est flou, il peut y avoir un loup.
Donc restons attentifs (et merci Isabelle de l’être pour nous)