MàJ. 9 mai. Le premier comité interministériel pour le vélo s’est tenu vendredi à Paris. Lancé sans grande cérémonie il n’en fut pas moins un beau moment d’euphorie.1Il nous fait rêver d’un avenir radieux mais ne se donne pas les moyens de l’atteindre.
Assez foutraque mais bien quand même
Le premier Comité interministériel pour le vélo n’a parlé que d’un Plan, intitulé Vélo&Marche et ne parlant lui-même que de vélo. Ce Plan s’en trouve donc être le troisième (après ceux de 2012 et 2018). Ou même le quatrième puisqu’il y en a eu un aussi (voir en bas) en septembre 2022. Il ne ressemblait en rien à nos anciens comités interministériels, au sein desquels tel en un conclave nul ne pénétrait et où se prenaient les « grandes décisions ». Ses résultats d’ailleurs avaient été communiqués la veille à une bonne partie de la presse. Ce n’était pas un comité interministériel, c’était la présentation d’un Plan Vélo et Marche où on n’a parlé que de vélo, mais tout de même … Cinq ministres, dont plusieurs se sont déclaré cycliste (au moins Béchu et Lescure) deux députés, dont au moins une est cycliste, des directeurs d’administration centrale, de nombreuses personnalités du monde du vélo, ou leur représentant … rangés en amphithéâtre allongé, et madame Borne donnant le discours d’introduction. Du lourd !
Pour une fin de semaine pendant les vacances scolaires à Paris, la veille d’un pont de trois jours, à l’heure du déjeuner… et une invitation envoyée la veille à 17 h 30 … c’était vraiment bien. Et rien ne prouve que c’était fait exprès2pour se « venger » du harcèlement par la Fub?, alors-même que ce mardi devaient avoir lieu à midi une réunion du Conseil National du Logement, et le matin une présentation du plan de rénovation énergétique des écoles. Heureusement que l’information avait filtré de tous les réseaux sociaux ! Il y avait même un garage à vélos dont profitèrent 16 journalistes, 5 ou 6 se faisant refouler aux grilles habituelles sur le trottoir, le contrôle anti-mines était déjà passé.
Beaucoup d’argent pour les infrastructures
Au total, en additionnant les fonds déjà disponibles et en ajoutant ce qu’il faut, c’est 2 milliards d’euros qui sont mobilisés jusqu’à la fin du mandat présidentiel, en 2027.
Cet argent est destiné d’abord aux infrastructures, et pas pour de la peinture, prioritairement pour les cas difficiles, ponts, énormes rond-points, jonction entre collectivités … Selon Françoise Rossignol, présidente du Club des Villes cyclables et marchables, 60% des collectivités territoriales françaises ont un Plan vélo, mais 84 % d’entre eux ne sont pas lancés faute d’avoir trouvé l’argent.
Christophe Béchu précise que des attributions simplifiées seront mises en place pour les petites communes n’ayant ni personnel ni compétences pour construire des dossiers de subventions.
Les réalisations sont plébiscitées par la population, « avec une augmentation de 8 % des passages (devant ses compteurs) en 2023, la pratique du vélo a définitivement sa place dans les habitudes des Français, notamment en milieu urbain. » indique Vélo&Territoires, sans nier qu’une partie du progrès en semaine est dûe à la nécessité de pallier aux grèves de transports publics, et une stagnation le dimanche à cause de leur absence. Pour les 4 premiers mois de 2023 on a + 10 % en urbain, – 7 % en périurbain et – 10 % en rural.
Il s’agit donc d’une nouvelle ère. « La physionomie de nos villes a changé » remarque Clément Beaune. L’objectif est de doubler le réseau cyclable d’ici à 2030, qui est aujourd’hui de 28 000 km, dont 17 000 km de pistes cyclables et voies vertes. La France ambitionne de doubler l’Allemagne pour la place de première destination de vélo-tourisme.
Calcul rapide : 250m€ par an = 3.7€ par habitant. Pour une ville de 200’000 habitants ça fait 735k€ ou 2km de piste…” Francisco Luciano sur Linkedin, le 6 mai. (voir en bas de cet article)
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De nombreuses décisions à venir sur l’environnement du vélo
Aides à l’achat
Lors de la prochaine Loi de finances l’aide à l’achat d’un vélo ou d’un vae va être prolongée, et étendue aux vélos et vae d’occasion (dans tous les cas seulement s’ils sont vendus par un professionnel) ! Il est très incertain que ces primes remplissent leur mission, comme nous l’expliquions l’année dernière.
Assouplissements de règles
De nombreux changements sont à prévoir dans les règles, tenant compte des usages et donnant souvent, à vrai dire, l’autorisation de faire ce qui se pratique couramment.
D’abord à titre provisoire, pour les tester :
- Pour faciliter le respect des feux rouges, pose de repose-pied sur le côté (mais faut-il respecter le code de la route?)
- Adoption de feux décalés pour les vélos en avant de ceux des automobilistes, comme cela se pratique depuis sûrement 40 ans aux Pays-Bas, et comme il n’a jamais été interdit d’en avoir en France.
- Pose de dispositifs de détection de véhicule dans un sas qui pourront alerter les conducteurs.
De façon pérenne, au fur et à mesure des arrêtés :
- Autorisation de remonter une file par la droite s’il s’agit d’atteindre un sas, mais le doublement d’un véhicule équipé de l’autocollant « Angle mort » reste interdit … Qui savait qu’il l’était (pas moi) et est-ce des deux côtés ?
- Généralisation des sas pour tous les nouveaux aménagements, et 10 ans pour en mettre à tous les carrefours à feux.
- Autorisation d’avoir, en plus des feux réglementaires du vélo, des clignotants de changement de direction (après que leur interdiction nous ait été confirmée avec doctes justifications !).
Apprentissage du vélo
- L’objectif est de 850 000 enfants formés par an ( 200 000 de 2018 à 2022, puis 200 000 rien qu’en 2022) au Savoir Rouler à vélo, malheureusement sans se soucier de vérifier que les enfants vont ensuite en classe par leurs propres moyens, c’est-à-dire, déplore O. Schneider, président de la Fub, sans lier formation à réalisation des infrastructures routières et de stationnement qui vont avec.
- Implication des assureurs pour des ateliers de remise en selle.
Communication
- Recommandation de porter un casque (dont je rappelle une fois de plus qu’aucune évaluation n’a été faite sur l’obligation d’en porter jusqu’à l’âge de 12 ans), incitation à l’ouverture des portières d’auto par la main droite, ce qui a le mérite d’éviter les emportiérages, seconde cause de mortalité après les angles morts.
- A partir de l’an prochain la DSCR devrait avoir chaque année une communication sur les accidents de vélo ou sur les bonnes pratiques. Ce n’est pas ça qui aidera à augmenter le nombre de cyclistes.
Des ambitions dans les ministères
L’industrie
Le ministre de l’industrie a manifesté le même enthousiasme que lors de la présentation des chiffres du commerce pour l’année 2022. Il voit l’avenir de l’industrie française du cycle comme relevant de l’excellence, ou, dit autrement, de l’innovation et de l’originalité. Il ne voit pas l’intérêt que nous aurions à faire des vélos pas chers quand on en trouve facilement ailleurs. Il pense donc qualité plus que quantité.
Le tourisme
La France est déjà la première destination touristique du monde, elle n’est encore que la seconde pour le vélo tourisme, derrière l’Allemagne, alors que le vélotourisme est la première des pratiques d’itinérance de loisir, selon Olivia Grégoire. Les visites sur le site de France vélo Tourisme se montent désormais à 4 millions de visiteurs par an. Il y aura des statistiques vers la fin de l’année.
Les 5 ministres présents :
M. Christophe BECHU, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires ;
M. Jean-Christophe COMBE, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées ;
M. Roland LESCURE, ministre délégué chargé de l’Industrie ;
M. Clément BEAUNE, ministre délégué chargé des Transports ;
Mme Olivia GREGOIRE, ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme.
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La fiscalité
M. Lescure veut que se développe le vélo de fonction, qui est déductible des impôts sur les sociétés, alors qu’aujourd’hui il n’y aurait que 4000 vélos d’entreprise en service pour une centaine seulement d’établissements. Il évoque aussi le fait que la fiscalité des sociétés favorise les véhicules les plus consommateurs par le biais des remboursements de frais (calculés sur la consommation), et si cela débouche sur de vrais changements sur les frais de déplacement professionnels ce sera un vrai levier de prise de conscience et de changement. Autre annonce, la réduction de l’impôt sur les sociétés pour les flottes de vélo de fonction, jusque 2027 (élections présidentielles).
La santé
Diverses mesures devraient voir le jour, mais ne semblent pas encore très concrètes. Les rendez-vous de la Prévention devraient augmenter la culture de la prévention dans le corps médical, et d’y intégrer les mobilités actives, les Maisons Sport-santé y être également sensibilisées, ce qui est bien le moins. 8 millions d’euros seront disponibles pour des actions de mobilité des séniors, les parcours piétons sans rupture bénéficieront d’un label dans le cadre des Villes aimées des aînés3Cela pourrait aussi bien s’appeler ainsi. Je ne corrige pas, un référent sport sera nommé dans chaque établissement d’hébergement, on développera les vélos de service, et bientôt la notion de vélo et autonomie sera présente dans la feuille de route Bien vieillir.
La tonalité générale était hier à l’euphorie devant tant d’argent qui tombe du ciel et marque un avenir glorieux, saluant, comme la députée Maud Gatel, « l’ambition et le coup d’accélérateur des annonces ». On se félicite du coup de maître consistant à mobiliser 5 ministres, et de la présence appuyée de la Première ministre, qui insiste sur son attente de résultats. On se réjouit, tout simplement, de cet évènement qui n’avait l’air de rien et qui certainement marque une nouvelle époque.
On peut malgré tout regretter qu’il n’y ait de perceptible ni méthode, ni stratégie, ni critères de qualité, ni réelle évaluation. On aimerait avoir un bilan sur les aides à l’achat, en nombre et nature comme en usage. On en voudrait aussi sur la pratique du vélo suite à son apprentissage à l’école, comme me le disait le président de la Fub. Christophe Béchu ne répondait-il pas à ma demande sur les garanties de qualité que les chiffres avaient du bon pour se situer ?
Bien sûr on note quelques garde-fous, par exemple que les subventions aux collectivités ne pourront plus concerner les « coups de peinture » 4« auxquels la Ville de Paris nous a tellement habitués », relève Maud Gatel, également Conseillère de Paris, « ce qui va l’obliger à changer de braquet, pour passer d’une ville cyclée à une ville cyclable ! ». Bien sûr on compte sur la sagesse des Villes pour ne pas dépenser l’argent n’importe comment, et à terme cela peut fonctionner. Et on se souvient que le ministre de la Transition écologique a précisé que l’argent de l’Etat doit aller là où il est d’un vrai secours.
D’ailleurs un comité de suivi sera mis en place, réunissant partenaires ministériels et parties prenantes. Une chance aussi pour la prise en compte du premier mode de déplacement de France, celui que l’on nomme la marche ?
Avant :
- Le Gouvernement dévoile son plan vélo (janvier 2012)
- Plan vélo : les bases sont posées, et pas plus (septembre 2018) : faiblesse des moyens, nombreux mêmes objectifs que maintenant : ruptures de continuités, sas à tous les carrefours, stationnement en gare, et d’autres farfelus : DSC partout… On y parlait aussi de barême fiscal et de vélos d’entreprises.
- La grande naïveté du Plan vélo français (février 2019) : courait jusqu’à l’année prochaine (2024), objectifs fantaisistes, délais délirants…
- Ce n’est pas 200 millions qu’il faut mettre sur le Plan vélo, mais au moins 400 en année courante, abondés d’une forte dotation exceptionnelle. 400 millions pour le Plan vélo (août 2018). Au moins 10 euros par an et par habitant, avec une répartition de 5 € à 6 € financés par l’Etat et 4 à 5 € par la collectivité locale.
- Plan vélo, 20 septembre 2022. Pas de trace sur mon blog, pourtant le dossier de presse existe bien et le journal Le Parisien en parle. Elisabeth Borne y dit : « je lance aujourd’hui un nouveau plan vélo. » « Le fonds de mobilité active, créé par le premier plan vélo, sera renouvelé et doté de 250millions d’euros pour l’année 2023. « . La couverture est d’ailleurs la même que cette fois-ci … sauf qu’on y a rajouté « & marche » !!!
On peut lire aussi :
- Plan vélo en France : véloroutes, industrie, formations… Quelles sont les annonces d’Élisabeth Borne ? Ouest-France, 5 mai 23, assez complémentaire au mien (des aspects que j’ai négligé de vous dire).
- Plan vélo : à quoi vont servir les 2 milliards d’euros investis par l’État ? Le Point, 6 mai. Avec la satisfaction d’une association parisienne.
Que peut-on faire ? (ajout du 8)
On grogne, on grogne. Je prétend qu’il n’y a pas de programme, pas de stratégie. C’est bien ce que nous avions dit lors des assises de la mobilité, en 2017 dans notre série collective Assises de la Mobilité, que doit contenir la Loi ? Ma question était simple, Quel est le levier ou le principe qu’il faut selon vous voir absolument figurer dans cette loi?
Ma conclusion résume les réponses et renvoie sur chacune des contributions. Aucun contributeur n’a dit comment il fallait aménager, tous ont tenté de dire comment il fallait penser. En voici les titres :
- Instaurer des plans de traitement des coupures
- Affirmer la nocivité de l’automobile et en tirer les conséquences
- Déterminer sa logique en fonction des distances à parcourir
- Appliquer aux transports le principe de subsidiarité
- S’assurer de l’adéquation des règles et aménagements aux besoins des cyclistes
- 2 principes et 6 mesures pour préserver la santé publique, le développement durable et la cohésion sociale
- Hiérarchiser les modes en fonction de leurs impacts et orienter les usages par le biais des taxes
Les auteurs sont : Héran, Beroud, Demade, Guggenheim, Saladin, Lesens, Papon, Luciano.
Sans prétention à l’exhaustivité !
Je vais reprendre ce que vous aviez mis dans votre présentation de la feuille de route du gouvernement annonçant le plan vélo:
« En matière de transports je cite : « Construction d’une nouvelle donne ferroviaire, visant à investir 100 milliards d’euros d’ici à 2040 dans le train, afin de régénérer, moderniser et développer notre réseau ferré. « Ce qui veut dire dans le texte que l’on veut construire une ligne de chemin de fer POUR dépenser 100 milliards d’euros, et pouvoir le dire. »
La démarche est-elle la même, on veut dépenser 2 milliards pour le vélo et pouvoir le dire, et on ne se préoccupe pas de savoir comment le faire de façon pertinente?
Franchement, oui… et encore plus après la remarque faite par Francisco Luciano (ajoutée en encadré dans mon texte), qui donne raison aux calculs qu’avait faits Hans Kremers et que j’ai ajoutés dans les références en bas de l’article.
Je me répète mais il est indispensable que le gouvernement lance une communication intense sur les « nouvelles » règles du code de la route concernant les vélos et sur le respect par les motorisés de tous les usagers vulnérables en insistant sur la manière de dépasser un vélo, sur la peur que peut engendrer une accélération brutale, sur le fait qu’on doit lever le pied en présence d’un cycliste et ne pas chercher à tout prix à le doubler pour s’en débarrasser etc… et répéter aux automobilistes qu’en ville une voiture ne dépasse guère le 15km/h d’où nécessité d’adopter une conduite douce, sans à-coup et d’anticiper les feux rouges, les stops, les brise-vitesse…