Voies vertes, pourquoi tant de détournements ? Comment y remédier ?

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Nous avons vu dans une première partie que le concept de voie verte était simple. Pourtant sous ce nom on voit de tout, comme si c’était plus commode, et au risque de galvauder complètement le concept. Hans Kremers revient donc pour étudier cette épidémie de fausses voies vertes et proposer quelques solutions pour se tirer de cette mauvaise passe.

Ici dernière illustration de la première partie

La France a adopté en 2005 la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées qui, avec ses décrets, affirme le rôle de sanctuaire des trottoirs pour les piétons. Le détournement des panneaux réglementaires (début et fin de voie verte) concerne principalement les trottoirs, qui par définition ne sont pas des voies vertes. 

Quand il s’agit de voitures la protection est très stricte. Par exemple la circulation des cyclistes ou des piétons est interdite sur la bande d’arrêt d’urgence d’une autoroute … et le montant de l’amende s‘élève à 750 euros maximum. Mais quand il s’agit des trottoirs réservés aux piétons la loi et le code de la route semblent oubliés et bien souvent la protection de ces usagers n’est pas appliquée. Par exemple sur le trottoir le stationnement des voitures et leur circulation ainsi que celle des cyclistes (à partir de 8 ans) et des usagers d’EDPM sont interdits. En cas d’infraction l’amende s’élève à 38 euros maximum.

30 ans après sa création la voie verte n’est toujours pas mûre. Pourquoi ?

La voie verte est un aménagement cyclable intéressant à condition de la traiter en site propre et avec une largeur (3 à 5 m) adaptée au nombre de cyclistes (et usagers des EDPM) et de piétons. Le Cerema évoque un maximum de 3000 cyclistes par jour, mais n’aborde pas la fréquentation des piétons … 

Pourquoi cet outil simple et clair a-t-il dérivé et cela parfois vers le fameux « grand n’importe quoi » ?  Le Cerema dit cela de manière plus modérée : certaines collectivités locales utilisent ce statut de voie verte de manière inadaptée en cherchant à résoudre des problématiques de flux piétons et cyclistes faibles en qualifiant ainsi des trottoirs1Les trottoirs partagés piétons-cyclistes à l’étranger. Cerema 2016. 

Il y a au moins deux explications pour la présence des nombreuses fausses voies vertes :

l’approche ignorante ou incompétente. En effet, il est probable que dans certains cas l’aménageur ait installé les panneaux de début et de fin de voie verte en croyant bien faire et sans se poser beaucoup de questions. Toutefois, avec tous les documents disponibles en 2024 (Cerema, guides, chartes, …), le nombre de ces cas doit être limité.

la pratique « autruchienne »adoptée quand on se refuse d’affronter correctement un problème. Puisque la voie verte concerne les piétons et les cyclistes sa création est souvent considérée comme une solution, une solution de facilité. Elle permet de répondre aux critiques en disant « vous voyez bien que nous nous sommes occupé des cyclistes ». La voie verte est ainsi devenue un fourre-tout servant à se donner bonne conscience. Au fil des années et en absence de tout contrôle réglementaire (un mal bien français)  les fausses voies vertes ont pu ainsi se multiplier.

Peut-on encore remédier à toutes ces malformations ?

Ce sont les fausses voies vertes qui ont terni l’image et la lisibilité de la voie verte et qui ont créé des configurations inconfortables, voire dangereuses pour les piétons. Il est tout à fait possible de redorer le blason des voies vertes. Les propositions suivantes vont dans ce sens.

Si l’on souhaite le respect de la réglementation, ce qui paraît une évidence, alors il est nécessaire de supprimer toutes les fausses voies vertes. C’est le seul moyen de redonner aux vraies voies vertes leur crédibilité. Cette action d’envergure nécessite d’une part une décision forte au niveau national et, d’autre part, une communication soutenue pour sa réussite.

La question qui mérite d’être posée dans ce cas est celle-ci : est-ce que dans certains cas le trottoir pourrait être un espace partagé entre piétons et cyclistes ? Dans la situation actuelle la réponse est : NON, mais plutôt NON, MAIS

Il n’existe pas en France de statut réglementaire permettant aux piétons et aux cyclistes de circuler ensemble sur une même partie de la chaussée du type « trottoir ». Seuls les enfants de moins de huit ans sont autorisés à emprunter les trottoirs sur leur vélo, à condition de rouler à une allure raisonnable et de ne pas gêner les piétons.

« Parmi les signataires de la convention de Vienne sur la signalisation en 1968, la France est un des rares pays à n’avoir retranscrit ni dans son code de la route ni dans l’instruction interministérielle sur la signalisation routière (IISR) la possibilité d’avoir des trottoirs partagés piétons – cyclistes sans séparation ségréguant les modes (panneau D11b de la convention de Vienne : itinéraire mixte vélo et piéton).»2Les trottoirs partagés piétons-cyclistes à l’étranger. Cerema 2016

Un grand nombre de communes a décidé de passer outre à la réglementation en vigueur. Ces quelques panneaux ci-après en témoignent. Là encore il s’agit souvent de solutions de facilité.

Il est fréquent que des pistes cyclables, obligatoires ou facultatives, soient empruntées par les piétons. Or, cela n’est pas autorisé par le code de la route qui spécifie que le terme de piste cyclable désigne une chaussée exclusivement réservée aux cycles et aux EDPM. Dans ces situations il est souhaitable de transformer ces pistes cyclables en voies vertes, à condition qu’elles répondent à leurs règles d’aménagement.


De même certains trottoirs ouverts de manière non réglementaire aux cyclistes peuvent obtenir le statut de voie verte. Il suffit pour cela, d’une part, que le tracé concerné ne comprenne pas de carrefours et d’accès riverains ou que ceux-ci soient rares et distants et, d’autre part, que la largeur soit suffisante (recommandation minimale: 3 m). Cette configuration est fréquente dans des zones d’activités (commerciales, industrielles, …), des zones péri-urbaines, des campus ou autres.

Pour les trottoirs avec des carrefours et accès riverains rapprochés la question des trottoirs partagés piétons – cyclistes mérite d’être remise au débat en absence de toute alternative possible pour les cyclistes. En effet, à titre exceptionnel cette cohabitation devrait être possible lorsque la fréquentation des piétons est très faible.

L’étude du Cerema sur ces trottoirs partagés à l’étranger3Les trottoirs partagés piétons-cyclistes à l’étranger. Cerema 2016 signale parmi les contextes relevés :

  • la situation de comptabilité piétonne : des trottoirs peu fréquentés (< 100 usagers/heure) avec une forte proportion de piétons et une faible proportion de cyclistes
  • une largeur minimale du trottoir partagé piétons – cyclistes de 2 m pour une circulation unidirectionnelle et de 3 m pour une circulation bidirectionnelle.


Tout le code de la route, et rien que le code de la route

En conclusion je dirais qu’il est grand temps que la voie verte retrouve sa place normale parmi les différents aménagements cyclables réglementaires. Pour y parvenir la suppression de toutes les fausses voies vertes sera nécessaire. Cela rendra les voies vertes non seulement plus lisibles et cohérentes mais aussi moins fragiles en termes juridiques. En effet, suite à un accident sur une fausse voie verte la collectivité peut voir sa responsabilité engagée pour défaut d’aménagement.

Les fausses voies vertes à supprimer sont principalement des trottoirs. Pour les trottoirs peu fréquentés par les piétons et dont la fréquentation des cyclistes serait faible, le statut du trottoir partagé piétons – cyclistes mérite d’être expérimenté à l’aide d’un panneau spécifique et d’être rajouté au code de la route en cas d’expérimentations positives.

Hans Kremers

Première partie : Voie verte, un concept pourtant si simple

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Alexandre
26 jours

Juste un petit point de détail, depuis le premier PAMA (plan d’actions pour les mobilités actives), le stationnement d’un véhicule motorisé sur le trottoir est qualifié de « très gênant » et donne lieu à une amende de 135 € (malheureusement très peu appliquée, faute de contrôle, point soulevé par toutes les associations de cyclistes et piétons, et même par le Cerema à l’époque).
Sinon, tout à fait d’accord avec l’article. Il vaudrait mieux édicter des règles claires pour le partage des trottoirs là où c’est possible et pertinent, plutôt que de rester sur le principe de l’interdiction absolue, mais non respectée.

26 jours

S’il faut des modifications du code de la route (partie réglementaire, d’ailleurs, pas besoin de passer par la loi), on peut commencer par mettre la définition du trottoir dans l’article R110-2

Alexandre
25 jours
En réponse à  Thomas Tours

Tout à fait d’accord, surtout que, comme je le disais ci-dessus, modifier une loi qui n’est de toute façon pas respectée, car très rarement contrôlée, n’a pas beaucoup d’effet.
L’exemple du stationnement sur trottoir est assez parlant de ce point de vue. Le stationnement des véhicules sur le trottoir a toujours été interdit (cf Frédéric Héran) : à la création du code de la route, le stationnement sur voirie était interdit, sauf raison impérieuse (panne du véhicule par exemple), ensuite, dans les années 60, quand le stationnement sur voirie a été autorisé, il a été précisé, que, sauf indication contraire (panneau ou signalisation horizontale), c’était interdit sur le trottoir. Pourtant, de nombreux automobilistes sont persuadés d’être dans leur bon droit en garant leur véhicule sur le trottoir. Et comme ça fait 50 ans qu’aucune sanction (ou presque) n’est prise, on peut comprendre qu’ils se trompent. On en arrive quand même à des situations rocambolesques où les gens se plaignent qu’un officier de police judiciaire fasse respecter la loi… (https://www.ladepeche.fr/2024/12/19/des-pv-a-135-euros-pour-stationnement-genant-ca-fait-cher-la-solidarite-des-habitants-excedes-croulent-sous-les-contraventions-depuis-un-mois-12402120.php) (vous noterez le : « ça fait 40 ans que je me gare là, alors arrêtez de m’emmer… », preuve que c’est bien le laxisme des autorités qui explique pour une bonne part ce comportement). Fait intéressant cependant, et contrairement à ce que j’aurais pensé, les commentaires vont plutôt dans le sens du « les trottoirs ne sont pas des parkings » et « bien fait pour eux ». C’est plutôt encourageant je trouve.

Administrateur
25 jours
En réponse à  Alexandre

A mon avis les automobilistes ne se sentent pas sans leur bon droit mais « ne pouvant pas faire autrement », donc en infraction malgré eux, victimes du mauvais vouloir général à leur encontre.

Eric Brouwer
22 jours

Merci à Hans pour ce constat (partagé…) et pour ces propositions.
Petit bémol cependant quand il suggère la transformation de trottoirs en voies vertes lorsqu’ils sont suffisamment larges et ne comprennent pas ou peu de carrefours ou accès riverains…
Il y a à mon avis une troisième condition à respecter : mettre en place une séparation forte entre le « trottoir-devenu-voie-verte » et la chaussée : c’est ce que dit le CEREMA mais c’est aussi indispensable pour pouvoir considérer ce « trottoir-devenu-voie-verte » comme une route, indépendante de la voie qu’elle longe.
Pour y avoir réfléchi au sein de nos associations, nous pensons que cette séparation pourrait prendre la forme :
d’un muret d’au moins 40-50 cm de haut (largeur au moins 20 cm ??),d’une barrière végétale avec plantations d’arbres ou d’arbustes (ou potelets ??) d’au moins 1 m de large,d’une barrière étroite en bois ou métal d’au moins 1 m de haut.

M_a_n_u
3 jours

Je trouve plutôt rassurant que des personnes décident de « faire ce qu’elles peuvent » plutôt que de ne rien faire généralement faute de moyen pour appliquer une règlementation faite pour limiter la mise en place de certains aménagements : dans les exemples donnés, bien souvent, même le flux de piétons / cycles maximal théorique ne justifie pas les largeurs demandées par la réglementation.
Que préfère-t-on ? Des aménagements imparfaits ou pas d’aménagement ?
Attention : ça ne signifie pas qu’il faille faire n’importe quoi, juste que s’arc-bouter sur les règles souvent absconses n’est pas nécessairement gage de succès.

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