Les propos de M. Emmanuel Barbe ont beaucoup plu. Il a présenté son rapport ce mardi devant les participants à la Journée annuelle du Réseau vélo&marche, à l’Hôtel-de-Ville de Paris. Pour répondre à la commande de M. Durovray il a procédé à une centaine d’entretiens parfois très longs, mais a reçu peu de chercheurs car « ils sont meilleurs à l’écrit qu’à l’oral ». Tout a été vérifié et soupesé, mis à l’aune de la contradiction afin de rester neutre et objectif. M. Barbe a même fait quelques parcours à vélo (électrique) pour se rendre compte par lui-même.
▶️ Monsieur Casque est nommé à la tête de la Mission contre les violences routières, pour protéger tous les usagers de la route. Promis juré je ne l’appelle plus jamais « monsieur casque ».
Une revue des travaux étrangers et quelques visites approfondies ont fait le reste, sans pour autant être proposées en exemple car chaque pays a sa culture. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a préféré aller en Italie, sur la recommandation d’Anne Faure, plutôt qu’au Danemark ou aux Pays-Bas. Enfin un atelier avec 40 personnes a obligé à parler simple et non « techno » et a donné quelques idées mineures mais excellentes comme celle d’une sonnette de voiture plus douce (un grelot) pour alerter cycliste ou piéton.
Son rapport ne propose que des mesures pouvant être comprises et acceptées, par l’administration d’abord, par les élus et la société ensuite. Ce ne serait pas une très bonne idée que de provoquer des blocages de rond-points, dit-il, ou de proposer des évolutions vouées à ne jamais se faire. Avec pragmatisme et sans idéologie il est pas mal sorti de la commande, et moi je trouve que c’est très bien.
M. Barbe ne promet pas la lune
Ce rapport est le sien. Il n’a pas vocation à changer la société, et il n’est qu’un outil.
M. Barbe en a d’ailleurs changé le titre et les ambitions, passant de « contre les violences routières, pour protéger tous les usagers de la route » de la commande qui estompait le fait qu’il s’agissait de la mort d’un cycliste tué sans doute délibérément par un automobiliste, en Prévenir les violences et apaiser les tensions pour mieux partager la voie publique, qui renvoie à un fait global de société.
M. Barbe nous dit clairement que les cyclistes sont avec les piétons les usagers les plus vulnérables, ce qui contredit la vision du ministre précédant qui avait vraiment choqué avec son « tous les usagers de la route ».
En effet M. Barbe est frappé par le fait que la violence et la rapidité envahissent nos vies, y compris celle des cyclistes, et que cela n’est pas étranger à l’invasion des outils digitaux
Il met donc en avant non pas la protection mais le partage de l’espace public.
Il insiste, et insistera à nouveau en réponse aux questions, sur le fait que l’Etat n’a aucun outil pour parler de violence et d’agressivité, et que son rapport n’aura aucun pouvoir pour éviter des agressivités comme celle qui a valu la mort à Paul. Contre ça il ne peut rien.
Il faut dire que le retour récent du vélo, avec les trottinettes et autres nouveaux engins, a extraordinairement complexifié l’usage de l’espace commun. Il y a incompréhension des uns et des autres, règles spécialisées ignorées des autres, le tout créant de l’énervement.
L’espace public de la circulation, réseau social avant la lettre, est largement le reflet de notre société, ses tensions, ses incommunicabilités, sa violence.
la route (…) engendre chez l’humain, et essentiellement chez les hommes, des formes de colères propres.
Synthèse
Dans l’après-midi il a bien été montré que c’est l’aménagement qui fait le comportement, que pour ralentir le trafic il faut rétrécir la largeur des voies et rétablir la priorité à droite. On casse directement alors la suprématie du plus fort. Un vibrant appel a aussi été formulé pour que l’on hiérarchise les voies selon leur fonction, de laquelle on déduira les vitesses maximales admissibles.
40 recommandations dont aucune n’empêchera que se reproduise le drame d’octobre dernier
Contre la violence M. Barbe assume qu’il ne peut rien directement, c’est un fait de société. Se focaliser sur les rares cas émergeants n’empêchera pas qu’il y en ait d’autres. Ce qu’il peut faire, par contre, c’est favoriser un certain retour au calme.
Ses 40 recommandations peuvent être décidées rapidement, sans passer par le Parlement, à l’exception de 5 d’entre elles qui ont besoin d’un « cavalier législatif ».
Il y a des propositions importantes et d’autres qui peuvent être vues comme mineures, mais utiles quand même. Pour toutes il restera à balancer le coût à l’utilité, vérifier les effets-rebond (du style vous allez plus vite… donc vous partez habiter plus loin), vérifier que les décisions prises puissent être comprises et acceptées par tout le monde, pas seulement par les cyclistes. Il rappelle que beaucoup d’élus trouvent qu’on en fait trop pour les cyclistes. Pour lui la solution c’est d’arriver à ce que chacun veille sur les autres.
Parmi les recommandations acceptables et pouvant être mises en oeuvre rapidement on peut souligner :
- Revoir le dispositif du SRAV, renforcer certains aspects de l’examen du permis de conduire (plus d’attention aux autres usagers, perception des risques, vérifier que le candidat sait ouvrir la portière de la main droite, valoriser la prudence et minorer le dynamisme, ce qui d’ailleurs favorisera les femmes).
- Rendre obligatoire de changer de file pour doubler un cycliste (en finir avec l’expression de la distance d’évitement en mètres linéaires dont je suis bien certaine que personne ne sait les visualiser.) et donc rester derrière s’il n’est pas possible de doubler.
- Faire connaître les règles : en cas d’amende informer en clair de la règle du code de la route transgressée et à sa raison d’être, en faire autant lors de l’achat d’un vélo.
- Définir le trottoir, uniformiser les aménagements sur toute la France, par exemple les couleurs de sol dans les giratoires et carrefours, mieux signaler les double-sens cyclables, s’assurer des mises en accessibilité pour tous des espaces publics,
- Agrandir les panonceaux M12 (tourner à droite) afin que l’information soit vue par tous.
Les 5 qui ne peuvent être faites qu’avec l’accord du Parlement :
- (5) Rendre les formations à la pratique du vélo ou à la remise en selle éligibles au compte personnel de formation.
- (21) Créer une obligation de mettre au point un aménagement cyclable en cas de création ou rénovation d’une voie interurbaine (ou de trouver un itinéraire alternatif). Le texte actuel est trop mou.
- (29) Renommer le code de la route en Code de la voie publique (comme en Belgique), ce qui est très important car cela change le regard, comme « le dit fait le fait ». (Vous dire Je vous déclare mariés fait que vous être effectivement mariés).
- (34) Compléter la liste des infractions pouvant donner lieu à vidéo-verbalisation; Faire en sorte que celles-ci puissent être davantage utilisées.
- (35) Identifier et créer (au sens réglementaire) de nouvelles infractions spécifiques aux cyclistes, ce qui peut paraître paradoxal, sauf que cela a pour objectif de modérer le montant de l’amende pour ces infractions-là.
Vous noterez par exemple qu’il ne propose pas de réécrire entièrement le code, certainement parce que cela ne serait jamais fait.
▶️ Il faut changer les bases du code de la route, nous dit l’Université.
Les réactions des cyclistes
Sur place, la Fub s’est félicitée de ce rapport, par la voix de sa co-présidente Céline Scornavacca. Mais elle a tout de même bien insisté sur la mise en oeuvre, annonçant qu’elle serait suivie de près… comme si ce rapport était en charge de sa propre mise en oeuvre. Elle avait auparavant demandé que l’on objective la violence, qu’on puisse la décrire, ce que les réponses à leur questionnaire (lancé en octobre dernier) va leur permettre de faire.
▶️ Témoignez des violences routières subies ! un appel de la Fub
La FFCT a fait connaître aussi sa satisfaction, notamment car plusieurs de leurs idées ont été reprises, leur liste recouvrant à peu près toutes les mesures du rapport.
La Fédération française de cyclotourisme a exprimé, lors de cette restitution, sa satisfaction pour l’intérêt porté par le rapport sur la nécessité de maintenir une dynamique positive en faveur des aménagements visant à inciter à la pratique du vélo, notamment en zone périurbaine et, surtout, en zone rurale où le sentiment d’insécurité est très fort.
Communiqué du 29 avril
La fédération venait tout juste de subir le deuil d’un cyclo renversé et tué par un automobiliste à Noailhac (81) ce qui a évidemment perturbé sa communication.
La réaction du MDB, l’association parisienne historique, est réservée. Le titre de son texte est Le rapport contre les violences routières manque la cible. Sous-titre : Rien n’est proposé pour mettre les conducteurs violents hors des routes que l’on nous demande de partager. A croire qu’ils n’étaient pas présents lors de la présentation. Par ailleurs ils se réjouissent du reste, à l’unisson des différents organismes.
Paris en Selle (l’autre association) est sur la même ligne. Elle titre Paris en Selle appelle le gouvernement à prendre des mesures immédiates pour exclure les usagers violents de la route.
On voit bien que les cyclistes parisiens, concernés directement par la mort de Paul Vary, sont sur une ligne de vengeance, donc de violence. On les comprend, mais aussi que violence, même mentale, entraîne violence, même physique.
Premier rendez-vous avec le ministre pour faire un premier point dans deux mois. On espère qu’il ne dira plus combien il tient au respect du code de la route et à la protection de « tous les usagers de la route ».
La présentation du rapport (communiqués de la Fub et du ministère), les propositions de la Fub et le lien vers le rapport lui-même sont dans l’article précédant : Le rapport Barbe est paru.
Ajout du 15 mai 25 :
Pour contribuer à calmer le jeu (le rapport Barbe étant considéré par certains comme hors jeux, tant par rapport aux chauffeurs qu’aux financements) je vous signale l’article publié par le réseau Vélo&Marche le 14 mai : Pour une cohabitation apaisée, contre les violences routières : retour sur le rapport Barbe lors de la Journée Nationale du Réseau vélo et marche.
En voici le sommaire : Un rapport indépendant et constructif / Violences motorisées : des situations à objectiver / L’apaisement, une politique simple et efficace / Apprendre et se comprendre : agir sur les comportements de tous les usagers / Communiquer, la dernière clé essentielle de la sécurité / Du rapport à une politique nationale, le dernier pas.
Bonjour Isabelle,
je note favorablement l’agrandissement des panneaux M12. Mais je ne comprends pas pourquoi dans ce panneau on ne met pas le petit vélo et la (les) flèches en noir pour être plus lisibles. Le jaune pâlit au soleil : j’en ai un près de chez moi presque totalement blanchi. Les indications sur tous les panneaux utilisent le noir, le rouge, ou le blanc ( si fond bleu).
Mauvaise qualité du panneau ? Vers chez moi, aucun n’est décoloré, bien qu’ils aient plus de 10 ans.
Commencé à lire le rapport hier… Je voudrais déjà voir une lutte active contre le genre de véhicule qui a tué Paul Varry: https://road.cc/content/news/cyclists-44-cent-more-likely-be-killed-suvs-313839
A ce propos, dire que les associations, qui demandent à ce qu’on retire leur arme à des auteurs de violences, sont « sur une ligne de vengeance, donc de violence », c’est un peu fort de café je trouve.
Merci pour cet article très utile. Petite remarque: je ne pense pas que les associations parisiennes sont « dans la vengeance ». Neutraliser des personnes dangereuses n’est pas la même chose que « vengeance », c’est une simple mesure de protection nécessaire pour éviter des récidives dont le risque est évident.
Bonjour Isabelle, merci beaucoup pour cette analyse !
Juste sur ce point : les associations ont réclamé la protection (et pas la vengeance, bien sûr 🙂 ), et c’est aussi la commande du rapport « Vous aborderez […] la détection, la constatation et la réponse pour les comportements dangereux et/ou violents sur la route« .
C’est pourquoi le fait que le rapport mette en avant « non pas la protection mais le partage de l’espace public » est une déception pour les associations parisiennes qui ont parlé de cible manquée.
Bonjour Isabelle,
Seul·es les cyclistes parisien·nes seraient directement concerné·es par la mort de Paul Varry ? Il me semble que cet acte de violence concerne non seulement toustes les cyclistes, qui sont, comme les piéton·nes plus vulnérables, mais tous les usagers et usagères de la route. Le recueil de témoignages de la FUB le montre assez bien.
Je me suis contenté de lire les réactions publiques. Mais il faut reconnaître que les associations parisiennes ont été en quelque sorte touchées dans leur chair, ce qu’a d’ailleurs dit aussi M. Barbe.
Le fait que M. Barbe nie d’emblée le caractère systémique de la violence routière (p. 25 de son rapport) en dit long sur l’ensemble de son rapport. Je ne trouve nulle part dans ses pages une reconnaissance du fait qu’un véhicule motorisé, de fait de son poids, sa taille et sa vitesse est, selon les implacables lois de la physique, plus dangereux qu’un véhicule non motorisé.
Une voiture de 1,5 t à 50 km/h a une énergie cinétique de plus de 110 fois supérieure à un vélo/cycliste de 85 kg à 20 km/h, celle d’un camion ou de bus de 20 t près de 1500 fois. La dangerosité y est directement proportionnelle, et ceci avant que la moindre infraction n’ait été commise.
Je ne vois nulle part non plus une reconnaissance du fait que conduire un véhicule motorisé n’est pas un droit comme l’est l’utilisation de la route pour le piéton, le cycliste ou le cavalier. Pour très bonne cause (voir ci-dessus), utiliser une voiture est soumis à une permission, le fameux permis de conduire, dont l’obtention et la conservation sont, à priori, liées au respect des règles de la route codifiées.
M. Barbe met tous les utilisateurs de la route sur un pied d’égalité. Il n’a donc pas vraiment compris/voulu comprendre les véritables enjeux de la question.
Oui, la violence routière est systémique, et sur la route comme partout ailleurs notre modèle de société encourage constamment le droit du plus fort. Il est parlant que, lorsqu’il évoque les SUVs, nulle part M. Barbe mentionne le fait que ces véhicules sont beaucoup plus dangereux pour les utilisateurs vulnérables. Pourtant tout, et surtout le sentiment croissant d’insécurité émanant directement de cette société du plus fort, encourage les gens, et notamment aussi les femmes comme M. Barbe le souligne, vers ce type de véhicule.
Mort du cycliste Paul Varry à Paris : « Chacun doit se respecter et montrer un peu plus de courtoisie et d’attention à l’autre », estime Emmanuel Barbe, auteur d’un rapport après le drame. France info le 19 avril. Ici la fausse équivalence que M. Barbe fait entre cyclistes et motorisées devient encore plus claire. Pas un mot sur les chauffeurs dangereux, pas un mot sur la place prépondérante de la voiture en ville. Peindre les pistes, éduquer les cyclistes, et si recalcitrants les punir, vraiment, M. Barbe ??? Appelez-le Monsieur voiture, M. Casque, M. Gilet, c’est un lobbyiste de la voiture.
Isabelle, comme tu le remarques, « contre les violences routières » a été supprimé du titre du rapport. Ca rend tout à fait pertinent les réactions des associations MDB et Paris en Selle.
Traiter, comme tu le fais, leur analyse de réaction vengeresse et donc violente a déjà été désapprouvé -à juste titre- dans plusieurs commentaires. Ton opinion mise en cause est « les cyclistes parisiens, concernés directement par la mort de Paul Vary, sont sur une ligne de vengeance, donc de violence ».
L’émotion a effectivement été très vive, de mon point de vue c’est justifié et ça ne se limite pas aux Parisiens. Le discours récent des dirigeants de ces associations lors des présentations en interne du rapport, était au contraire dans la dignité.