Les pistes cyclables en milieu rural sont aussi indispensables qu’en ville, a-t-on constaté lors des 27emes rencontres de Vélo&Territoires, la semaine dernière à Amiens. Elles donnent confort et sécurité comme en ville, et, plus qu’en ville, elles ont aussi une fonction récréative. Dans les deux cas elles assurent des liaisons entre territoires qui n’en ont souvent plus d’autres pour les simples humains.
- Similitude des solutions
- Les financements se ressemblent aussi
- La question des opposants
- Les déplacements du quotidien
1- Similitude des solutions
Les rencontres de Vélo&Territoire ont, en octobre 2023, beaucoup parlé de vélotaf, alors que la mission originelle de l’association d’élus est le vélo à l’échelle départementale. L’ex-association des Départements cyclables assure d’ailleurs la coordination et le suivi du schéma national des véloroutes. Elle retrouve l’ex-Club des Villes cyclables au sein de la démarche « Stratégie nationale du vélo ». L’une comme l’autre a fait évoluer son nom1On peut voir un vieil article périmé sur le sujet.
Dans tous les cas la méthode doit être solide, nous a-t-on répété. On doit toujours savoir à qui on va s’adresser, pour qui on travaille et qui fera quoi, notamment qui fera l’entretien ! Il paraît convenable que les Départements s’occupent du réseau structurant. Mais s’agissant de rural, ce sera aussi le réseau secondaire, entre les bourgs, hameaux et villes.
Comme ailleurs le besoin réside dans du linéaire raccordé et sécurisé, et pas forcément uniquement en pistes cyclables. Chemins ruraux (y compris à ré-ouvrir …), routes vicinales, et autres, peuvent très bien compléter les anciennes voies de chemin de fer et les chemins de halage. On a même attiré notre attention sur le fait qu’il ne fallait pas condamner trop vite les voies ferrées, leur avenir en tant que support de nouveaux matériels de transport pourrait nous surprendre. Ces chemins ou routes existantes peuvent fort bien être interdites à tous véhicules à moteur sauf…, ou mises partiellement en sens interdit sauf … etc. Un plan de circulation est indispensable, tout comme en ville.
Au commencement était le plan de circulation
Les deux types de territoires sont irrigués, conjointement, par les (vrais) REVes, Réseau Express vélos, dont les qualités non-négociables sont cohérence, attractivité et confort. Cela veut dire REV prioritaire, avec passages dénivelés si besoin, largeur confortable etc… comme nous avons vu entre Nimègue et Arnhem.
En ville cela va de soi, en campagne moins, et pourtant dans les deux cas c’est là la véritable alternative à la voiture, à condition, a-t-il été souligné une fois de plus, que leur qualité soit comparable à celle du réseau routier.
Faut-il pour autant adopter toutes les solutions citadines ? Il est assez admis que les règles permettent d’éviter le pire mais qu’elles sont aussi source d’inadaptation fine aux réalités. Les chaucidous que le Département de la Somme utilise assez souvent pour sa véloroute interpellent. Ils sont longs de plusieurs kilomètres, et garnissent des routes limitées à 70 km/heure. Le site en lien dans la photo en donne une liste impressionnante.
Nulle part l’infrastructure ne suffit. Il faut aussi un jalonnement de qualité, or celui du département, archaïque mais fonctionnel, ne tient compte que du village le plus proche, oubliant qu’un cycliste ne s’arrête pas forcément après 3 km… ni qu’il peut ne pas avoir en tête la liste des lieux à parcourir jusqu’à sa destination. Pour créer du solide, il faut aussi services (garages de réparation, sources d’eau, tables et bancs, signalisation, restaurants et hébergements, exactement comme pour les motorisés) … et communication.
2- Les financements se ressemblent aussi
L’ADEME demande des projets cohérents, avec réflexion structurée et perspectives. Pour AVELo aucune chance non plus sans schéma directeur, prévision des services, programmation de la communication. C’en est bien fini du « là où on peut » des années 90 ! Les contrats de plan Etat-Région eux-même intègrent enfin les véloroutes. Les régions ayant pris la responsabilité d’autorité organisatrice des transports s’emparent aussi du sujet par le biais des aides financières, du vélo à l’école ou du lien avec les transports publics …
3- La question des opposants
A l’ordre du jour se trouvaient aussi les revêtements, c’est-à-dire le sol. Ce blog vous en a déjà bien parlé.
Les opposants s’appuient souvent sur une illusoire imperméabilisation et pourraient aussi se servir de valeurs esthétiques ou patrimoniales. Les réponses sont simples si on les connaît.
Tous les revêtements se valent sous cet angle … sauf le stabilisé, ce chéri des pseudo-écologistes. Il n’y a qu’à voir les flaques d’eau qui y restent des jours entiers après l’orage, puisque la terre est si tassée que l’eau n’en part que par évaporation ! Ailleurs on a des rigoles en rives, et même des caniveaux, et des légères déclivités dans la largeur, obligeant l’eau à s’infiltrer sur les côtés immédiats. Et puis ça fait rigoler, la plupart des voies vertes sont construites sur des axes construits depuis au moins deux siècles !
Le stabilisé est un peu moins cher mais il contient lui aussi du ciment et il faut le refaire très souvent, l’enrobé même bien noir à ses débuts est le choix évident. Avec tout ça et pour en finir des polémiques le département de la Somme a dû faire semblant. L’enrobé clair de couleur façon stabilisé lui a doublé sa facture. Et heureusement que quelques citoyens lui ont soufflé les réponses, notamment le délégué local de l’AF3V !
D’autres oppositions peuvent naître d’un fort désir d’insertion paysagère ou de préservation de la nature. Les réponses elles aussi sont simples à partir du moment où l’on a pris la précaution, en amont, de réaliser les inventaires utiles comme l’a indiqué Geneviève Laferrère, de Nature-Environnement. Si un cas se présente on trouvera le moyen de passer un peu plus loin.
Tous insistent sur la nécessaire concertation, à la fois pour identifier les vrais problèmes et pour débusquer les oppositions à motif extérieur au sujet… comme en ville.
4- Les déplacements du quotidien
On parle d’infrastructure, il faut aussi parler d’aménagement du territoire, et de longueur de déplacement. Et là c’est simple à nouveau, c’est comme en ville.
Nous le savions depuis la présentation des travaux du Shift project. Les distances sont équivalentes (par exemple en Ille-et-Vilaine la moitié des déplacements font moins de 3 km) ce qui ne l’est pas c’est la commodité incomparable de prendre la voiture.
Or l’avenir de l’auto est compromis, et je dirais même plus, il faut déjà penser aux véhicules intermédiaires : dans 3 mètres de large en double-sens ça ne passe pas… C’est Aurélien Bigo qui l’a montré dans un exposé conclusif à l’américaine. Il a aussi parlé de la multi-modalité, train + vélo, autos partagées etc. Sans oublier de préciser que vélo et kilomètres parcourus ou à parcourir allaient de pair. L’adoption du vélo est aussi une affaire d’aménagement du territoire et de mode de vie.
Il y a sécurité perçue et sécurité réelle, et elles ne sont pas souvent la même chose. N’empêche, soyons cruels, seule la sécurité perçue risque d’amener au vélo de nouveaux usagers. Dommage, c’est souvent la plus dangereuse (l’exemple des fins de pistes cyclables est bien connu). On peut aussi se fixer des règles, comme l’a proposé une représentante du Cerema :
Ne pas chercher la lune (du genre le mieux est l’ennemi du bien, ou faire plutôt que de rêver d’atteindre d’emblée une perfection fantasmée).
Canaliser les automobiles. Les autos vont trop vite et elles sont trop nombreuses. Dans certaines régions, dont la Somme, c’est terrifiant … Les autos sont le principal obstacle à l’adoption du vélo.
Légitimer la présence des cyclistes.
La hausse des vitesses est un obstacle majeur, mais pas pour la sécurité, nous a-t-on fait remarquer, car aucun cycliste n’ose aller sur une voie à 90. C’est à l’usage-même du vélo que la vitesse est un obstacle radical.
Le programme de ces deux jours comportait bien sûr beaucoup d’autres sujets, et outre les séances plénières les ateliers ont permis de s’exprimer sur des cas particuliers.
Comme dit Chrystelle Beurrier, la présidente,
nous, élus de territoires, sommes confortés par nombre de citoyens qui veulent avoir la possibilité de circuler à vélo au quotidien. Parmi les arbitrages que nous avons donc à faire, le vélo, ce gadget sympathique d’il y a vingt ans, s’impose aujourd’hui comme une politique publique et de mobilité de premier rang pour laquelle nous devons prévoir et programmer.
Pour en savoir (beaucoup) plus : page des rencontres d’Amiens sur le site de Vélo&Territoires
Pour mémoire, le livre de Aurélien Bigo s’est très bien vendu et je continue à vous le recommander : Avec « Voitures » Aurélien Bigo nous fait tout comprendre de l’avenir des déplacements
A noter également l’existence d’un livret publié par la Fub : Associations et départements : un tandem gagnant pour le développement du vélo. Sera bientôt disponible sur le site de la Fub.
Très intéressant
Juste une remarque, « car aucun cycliste n’ose aller sur une voie à 90 ». C’était et c’est encore dans certains département, la vitesse maximale de l’ensemble des départementales et voies vicinales sans lesquelles on ne se déplace pas.
Bah c’est pour ça que la France a une part modale du vélo de 3 (ridicules) %.
Les chaucidous…j’ai découvert lors de mon dernier voyage qu’en Bretagne par exemple on semble les considérer comme une panacée… Probablement parce que pas cher avant tout. Je n’en ai pas vu là-bas sur des routes à 70, mais à 50, dont des routes avec clairement bien au delà de quelques milliers de voitures/jour et empruntées par de nombreux camions !
Le sens de « chaussée à circulation douce » semble décidément difficile à comprendre. Peut-on en vouloir aux automobilistes qui malgré la présence de panneaux explicatifs ne comprennent pas du tout comment les utiliser et roulent dessus comme sur une route à deux voies (la peinture des voies cyclables est systématiquement usée en son milieu…) ? Lorsqu’en voiture on les utilise comme il faudrait, on se prend des appels de phare, des coups de klaxon, des gestes furieux. Et à vélo… je vous laisse deviner.
Des chaucidous ça n’a aucun sens sur des voies à plus de 2000 véhicules par jours.
Les chaucidous…j’ai utilisé. Peu convaincu du bien fondé de la démarche qui présente le seul intérêt d’économiser les finances publiques. La sécurité pour le cycliste est nullement pris en compte.
Dans les marais salants de Guérande il y a aussi des chaucidous. La circulation y a été très déconseillée aux cyclistes cet été pour raison de sécurité: trop d’autos et camions! Voir l’article de Ouest-France
Les remèdes à tout faire ça ne marche pas pour n’importe quoi.
Merci pour ce parallèle entre vélo des villes et vélo des campagnes. On pourrait en faire un aussi entre vélo du quotidien et vélo en vacances concernant le balisage des itinéraires.
Les aménagements des villes sont souvent balisés pour un usage quotidien de proximité, de courte distance.
Les ménagements des campagnes utilisent un balisage souvent de longues distances.
Si les velotafeurs s’en accomodent facilement car ils connaissent l’environnement, il en est autrement pour les cyclos voyageurs qui se retrouvent souvent perdus pour traverser les villes.
Par exemple sur la Loire à vélo, à Nantes, aucune indication d’Angers quand on vient de l’ouest, ni de Pornic ou St Nazaire quand on vient de l’est !!
Quand on fait des aménagements, il faut penser à tous les utilisateurs.
Merci, chère Isabelle, pour ce très intéressant article. J’applaudis à la reconnaissance de la complémentarité du vélo des champs et du vélo des villes, calée depuis toujours au coin du bon sens. Il y a plus de 10 ans, c’était déjà le cœur de la politique vélo du Coordonnateur interministériel pour le développement du vélo et de feu la Mission nationale des véloroutes et voies vertes. Pour nos voisins européens, cette complémentarité est une évidence depuis longtemps.
Malheureusement, une direction générale de l’administration centrale chargée des infrastructures de transport n’a jamais voulu considérer le vélo comme un moyen de transport, mais comme du tourisme. De ce fait, les contrats de plan Etat-Région ont été d’une incroyable pauvreté dans la réalisation des grands itinéraires cyclables. La même DG assurant par ailleurs la tutelle de VNF et de la SNCF, il y a eu peu d’incitation à mettre en œuvre les outils juridiques permettant la création d’itinéraires cyclables sur les supports fonciers disponibles de ces établissements publics.
Dans notre pays caractérisé par le mille feuille administratif doublé de juridisme, il faut beaucoup d’énergie pour faire avancer les projets. C’est une grande tristesse quand on connait les avantages de l’utilisation du vélo rappelés dans la nouvelle étude.
Espérons qu’il y ait enfin un signal politique fort pour surmonter les obstacles, unir les partenaires et faire du vélo un moyen de déplacement utilitaire et d’agrément reliant les villes et les campagnes.
Je suis d’accord sur le fait que le vélo des champs a besoin d’aménagements, comme celui des villes. Mais pas partout : juste aux endroits où le réseau routier empêche la pratique du vélo (comme dans les villes, en fait, mais dans les villes c’est dense, et donc il y a beaucoup d’endroits comme ça).
Partout ailleurs, finalement, on est déjà tout à fait tranquilles pour faire du vélo.
Mais le problème n’est pas là : il est dans le fait que le vélo ne se développe qu’à la marge à la campagne, car les gens ont la flemme d’en faire et la voiture est d’un usage beaucoup plus facile et pratique… Alors qu’en ville, objectivement, le vélo est bien plus simple à utiliser qu’une voiture qu’on stationne difficilement
Après, entre villes et champs, il y a tout le périurbain, où les problématiques sont encore différentes. Il y a le même problème qu’à la campagne (voiture bien plus pratique que le vélo) et le même problème qu’en ville, mais en pire : quantité de voitures phénoménale, qui s’accapare toute la voirie et ne laisse aucune chance aux autres modes, ce qui n’est heureusement pas le cas à la campagne, la vraie, où j’habite.
Bref, je ne suis pas trop optimiste sur les usages du vélo hors des villes denses. C’est possible, mais de là à devenir significatif et à réduire la pollution… je crois qu’il faudra attendre qu’on n’ait vraiment plus d’énergie à gaspiller !
Pour terminer, on commence à voir arriver des trottinettes électriques dans les villages, et à en croiser de temps en temps sur les départementales entre les villages. Ont-elles plus de chance de concurrencer la voiture ? Peut-être. Ça demande moins d’efforts que de pédaler. Il y a aussi des vélos électriques, mais ça reste assez marginal (principalement des utilisations à l’intérieur des villages, et un peu de balades de loisirs).