Noël Jouenne publie son second livre sur le vélo. Suite logique du travail récent, il contient cependant des chapitres complémentaires. Surtout, on peut en disposer sous forme maniable et déjà imprimée.
Ça peut vous être égal de savoir que finalement c’est la selle (et non la pédale) qui est le fondement du vélo mais vous ne devriez pas faire l’autruche quand on vous montre que le vélo est, notamment, un faire-valoir du capitalisme. Le vélo est certes un objet technique, sur lequel on a raconté pas mal d’histoires inventées, mais c’est aussi et surtout, pour l’ethnologue, un objet social.
Ce livre, le 3eme ouvrage que Noël Jouenne m’autorise à vous présenter, fait le point sur l’état des recherches en cours de l’auteur, qu’il ne limite pas dans le temps. Il y a des erreurs factuelles et il lui arrive d’oublier qu’il aura des lecteurs.
L’histoire autour de la notion de « petite reine » nous a permis de mettre en évidence l’apparition régulière d’informations fausses, de légendes ou d’approximations qui peuvent être colportées par des chercheurs, des historiens amateurs ou des journalistes
La simplicité apparente … p. 177
Ainsi les lecteurs pourront rester dans l’ignorance de qui est ce « Simondon » largement cité, et ils pourront croire l’assertion selon laquelle Kobayashi a « consacré sa vie à la draisienne », alors que cela n’est pas exact1 Keizo Kobayashi a débusqué (et publié en1993) une possible origine de la création du vélo, origine qui est rapidement devenue un mythe, d’ailleurs de plus en plus battu en brèche (avec son entière complicité). Si Keizo Kobayashi apparaît aujourd’hui comme un héros dans les manifestations patrimoniales autour du cycle, parmi les quelles certaines sont centrées sur la draisienne, il ne leur consacre pas sa vie non plus.. Ailleurs Jouenne confond l’entreprise de logistique Fludis et une entreprise de paysage … Ce ne sont que des exemples, il s’agit de travaux en cours, vous dis-je.
Une fois cela admis, sachant que publier à l’Harmattan a pour avantage de permettre aux universitaires d’élargir leur lectorat en rencontrant un public averti mais non spécialiste, mais ne garantit aucune relecture avant publication, revenons à l’essentiel.
Le capitalisme
L’auteur semble très attaché à montrer que le vélo est lié au capitalisme dans l’injonction à se déplacer et à aller vite, mais aussi par la récupération dont il est l’objet (publicité, politique, etc) qui a pour résultat de lui enlever toute substance. « Le vélo est une entreprise de moralisation du capitalisme », dit-il, ce que je soulignais déjà dans ma précédente présentation en insistant sur le fait que les nouveaux cyclistes ne s’en rendaient pas compte. Qu’est-ce donc que cette « mobilité active » ? Une injonction sanitaire ? se demande-t-il encore. Et l’ »urbanisme tactique », n’est-ce pas plutôt une stratégie pour cacher que jusqu’alors il n’y avait pas grand’chose ?
Le vélo est-il un véhicule ?
Un autre sujet est ouvert, quasiment dès l’origine du vélo, et il ressort ces temps-ci : le vélo est-il « comme » une auto ou « comme » un piéton ? Doit-il payer des taxes et respecter le code de la route, ou doit-il rouler sur les trottoirs ?
Le livre nous dit que la question est posée depuis juillet 1894. Les cyclistes déclarent alors que les cycles sont « comme des voitures ». La Cour de cassation décide contre eux que le vélo est « comme le piéton » et doit donc céder la place aux autos. En 2001 les cyclistes américains réclament « le droit à la rue ». Plus d’un siècle après le début N. Jouenne dit que le vélo est un cousin du piéton (p. 157).
Ce qui est sûr c’est que les vélos avec un moteur sont attestés très tôt. En 1900 il y en avait 11 252, et 975878 vélocipèdes, nous dit-il. Cela n’empêche pas que rouler sur un VAE c’est faire semblant d’être cycliste, explique M. Jouenne pour qui c’est une marotte qui m’arrange bien.
Au service de qui ou quoi, le vélo ?
Dans les années 60 le vélo devient le fer de lance de la lutte contre la voiture, mais se retrouve surtout symbole de l’écologie2 Les écolos ont finalement préféré s’attaquer à un adversaire plus facile que l’automobile… le nucléaire !!!.
Le livre nous offre un panorama des « manifs à vélo » en France, la première datant de 1894, ce que d’autres que moi vérifieront, et des « injonctions contradictoires » de la période des confinements. Sur ce point je vous invite à revenir à mon article Alors comme ça, le vélo ne serait plus autorisé pour «faire de l’exercice» ? du 9 avril 2020, qui avait été repéré par l’émission Arrêt sur image.
L’auteur s’interroge sur l’efficacité des associations cyclistes, et passe un peu vite sur leurs réelles ambitions. Il se promet d’y revenir, intrigué qu’il est par leurs moyens de financement.
Il est (…) facile d’imaginer des futurs dans lesquels la mobilité indivituelle motorisée deviendra impossible ou très rare. Imaginer l’avenir d’une société humaine sans vélo est beaucoup plus difficile
Elsberg, 2016, cité p. 239
La simplicité apparente du vélo face aux enjeux de société
Exploration d’un objet technique et social
Noël Jouenne, L’Harmattan, octobre 2022.
Un livre que je recommande aux lecteurs assez spécialisés, c’est-à-dire vous, lecteurs de ce blog, qui pardonnerez les erreurs factuelles pour vous passionner à la découverte des questions fondamentales et nombreuses que pose le vélo. Vous pourrez être ravis comme moi de voir les mots enfin posés sur ce qui vous préoccupe, et soulagés de lire les premières réponses. C’est un bon début.
Sommaire simplifié
- La machine à courir du baron de Drais
- Avantages et inconvénients sociaux liés à l’innovation
- Quelques considérations sur l’innovation qu’a repésentée l’invention du vélocipède à pédales
- Deux éléments complémentaires à l’histoire sociale et technique de la bicyclette
- L’invention de la bicyclette moderne au prisme de Gilbert Simondon
- Brève histoire d’un champion du monde où comment la souffrance a été synonyme de valeur et d’exemple
- Le voyage à vélo
- Un vieux moyen d’expression dans la sphère publique
- L’accélération des pratiques, la transition écologique et la pandémie
Voir aussi
- Noël Jouenne, Notes sur le vélo et la bicyclette, 2019
- Travaux intermédiaires : Les cyclistes sont piégés par le capitalisme, selon le chercheur Noël Jouenne, ils perdent même le sens profond du vélo. Présenté ici en août 2022.
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Comme indiqué dans ma sélection de Noël, vous pouvez faire connaissance avec l’auteur grâce à une émission de l’Université populaire de Marseille, Radio Galère, 17 novembre, 56 minutes. Il y explique notamment (minute 30) pourquoi les aménagements pour les cyclistes ne résolvent rien, ce que montre aussi Bruno Cordier. En très résumé, il faut imposer notre présence, devenir partenaire (bien sûr ce n’est pas si simple). Plus loin (minute 40) il montre que le VAE est un piège en ce qu’il prive le sujet de se rendre compte de sa forme physique. Résultat, prise de vitesse, accident, mauvaise réaction par faiblesse…
Le vélo est certainement lié au développement du capitalisme et son succès auprès de la gent féminine est fortement lié à l’effort des magazines de la fin du XIXe siècle pour présenter au public ce nouvel objet sous un jour favorable comme l’explique Anthony Galuzzo dans « La fabrique du consommateur » (Zones, 2020, p. 97-98).